Téhéran. Les députés du Madjles (Parlement iranien) ont de nouveau voté mercredi 5 décembre en faveur d’un amendement de la loi CFT (Combattre le Financement du Terrorisme) (4). Cette loi fait partie d’un ensemble de lois proposées par le gouvernement Rohani afin de mettre l’Iran en conformité avec les standards du GAFI (Groupe d’Action Financière) et ainsi rompre avec l’isolement financier de la République Islamique. Malgré cet amendement, un différend subsiste sur ce texte entre le Madjles modéré et le très conservateur Conseil des Gardiens (chargé de vérifier la conformité des lois avec la constitution de la République Islamique et avec la charia).
Le texte a donc été envoyé au Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime, organe de contrôle mixte chargé d’arbitrer les litiges entre ces deux institutions : elle rejoint ainsi le projet de loi contre le blanchiment d’argent et le projet d’adhésion à la Convention de Palerme (Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée), qui toutes deux attendent l’avis final du Conseil. Prenant acte des efforts engagés par le gouvernement modéré malgré les embûches du processus législatif, le GAFI a décidé en octobre d’accorder un délai à l’Iran pour se mettre en conformité. La République Islamique a donc jusqu’à février pour adopter ces lois, sous peine de voir le GAFI prendre des « contre-mesures » qui feraient de l’Iran un paria financier comparable à la Corée du Nord.
Le progrès des réformes économiques iraniennes et la décision finale du GAFI pèsera lourd sur la destinée du SPV (Special Purpose Vehicle) européen, visant à protéger des sanctions le commerce avec l’Iran (2).
Le système de messagerie inter-bancaire SWIFT, rouage essentiel du système financier international, a par ailleurs annoncé le 5 novembre, le lendemain de l’entrée en vigueur des nouvelles sanctions américaines, qu’il déconnecterait certaines banques iraniennes (3). Cette décision rendra extrêmement difficile les transactions de ces banques avec le reste du monde : SWIFT est quasi-universellement reconnu comme le moyen le plus sûr pour les institutions financières d’échanger des informations et des ordres de paiement. La déconnexion de l’intégralité des banques signifierait littéralement la déconnexion de l’Iran du système de transactions internationales. SWIFT s’est refusé à cette option, tant il est vrai que l’organisme, basé à Bruxelles, se trouve pris entre deux feux : l’extraterritorialité des sanctions américaines est illégale en droit européen, et pourrait donner lieu à des poursuites conformément à l’actualisation de la loi dite « de blocage » de 1996, conçue pour protéger les entreprises et les institutions européennes des sanctions secondaires.
SWIFT se trouve donc au cœur du clivage entre les États-Unis et l’Union sur le dossier iranien, et pourrait devenir le fer-de-lance d’une politique anti-sanctions européenne alors qu’aucune action en ce sens n’a encore abouti, ou au contraire signer l’impuissance des Vingt-Huit face à la domination du dollar dans la finance internationale (1).
Perspectives :
- Le GAFI doit réévaluer la situation de l’Iran en février 2019, et décider en conséquence la réimposition de contre-mesures, ou au contraire le retrait de l’Iran de la liste des “juridictions à haut risque et non-coopératives”.
Sources :
- ARNOLD Aaron, Not very SWIFT, Belfer Center, 6 novembre 2018.
- BATMANGHELIDJ Esfandyar, GERANMAYEH Ellie, Bankless task : Can Europe stay connected to Iran ?, European Council on Foreign Relations, 10 octobre 2018.
- SWIFT system to disconnect some Iranian banks this weekend, Reuters, 9 novembre 2018.
- Iranian MPs approve amendment to bill on Iran’s accession to CFT, Tasnim News, 5 décembre 2018.