Bogotá. « Dime la verdad, solo la verdad, no hay reparación ni justicia si no es con verdad ». C’est au rythme de ce chant mélancolique, qu’elle a choisi comme hymne, que s’est ouverte jeudi 30 novembre la très attendue Commission de Vérité colombienne. Une première étape entamée à un moment où l’histoire de la guerre dans ce pays sud-américain est très controversée.
Créée dans le sillage de l’accord de paix signé, en novembre 2016, entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et l’ex-guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), elle a pour lourde mission de faire la lumière sur le conflit armé qui a déchiré le pays depuis plus d’un demi-siècle et causé plus de huit millions de victimes (1). Le coup d’envoi des travaux a été donné lors de la cérémonie d’inauguration à Bogotá en présence de chefs guérilleros des FARC, aujourd’hui désarmée et transformée en parti politique (2).
La cérémonie était notamment marquée par le discours émouvant de Francisco de Roux, Président de la Commission et prêtre jésuite respecté en Colombie pour son engagement dans la défense des droits humains. « La vérité doit être un bien public, un droit et un devoir incontournable lorsqu’il s’agit d’expliquer pourquoi la vie et la dignité ont été dévastées par ces milliers de massacres, de disparitions forcées, d’enlèvements, de meurtres extrajudiciaires, de sévices infligés aux femmes, de déplacements, de vols, d’assassinats de syndicalistes, de politiciens, de gouverneurs et d’hommes d’affaires, de décès de nombreux jeunes dans des combats insensés, et par ces destructions de rivières, de montagnes et de peuples indigènes », a-t-il déclaré (4).
Parmi les autres orateurs de la journée, se sont succédées toutes sortes de victimes dont la grande diversité permet de prendre la mesure de la nature complexe du conflit colombien : une femme autochtone qui a appelé à bannir le regard discriminatoire envers sa communauté, un policier ayant marché sur une mine antipersonnel, un activiste LGBTI, une dirigeante d’ascendance africaine obligée de quitter sa région, un soldat menacé de mort pour avoir dénoncé les exécutions extrajudiciaires de l’armée, le fils d’un homme d’affaires enlevé et assassiné en captivité, ou encore un survivant de l’Union patriotique (UP), ce parti de gauche créé en 1985, dont la quasi-totalité des membres a été victime d’une campagne d’assassinat. Des témoignages douloureux qui devraient être répétés au cours des trois prochaines années (4).
La Commission dispose de trois ans pour remettre à l’État colombien son rapport final. Elle est composée de onze membres (six hommes et cinq femmes) qui ont été élus par des représentants des Nations unies, de la Cour européenne des droits de l’Homme, ainsi que de la justice colombienne et des universités publiques du pays. Il s’agit d’une institution étatique sans compétences juridiques. Elle ne peut ni juger ni condamner. Son travail va consister à reconnaître les causes de la violence, à identifier les parties en conflit, à enquêter sur les violations des droits humains et à établir les responsabilités juridiques qui en découlent. En écoutant la parole des victimes, elle assume en outre une dimension cathartique que ne saurait remplir pleinement un tribunal. Les victimes peuvent y soumettre leur témoignage dans l’une des vingt-six « maisons de la vérité » (Casas de la Verdad) réparties dans neuf régions du pays (3).
Les conclusions de la Commission auront un caractère historique, éthique et humain. Elles sont d’une importance capitale afin de favoriser la réconciliation nationale et de stabiliser le pays. Depuis une dizaine d’années, la Colombie est en effet le théâtre d’un processus de justice transitionnelle qui peine à aboutir. La Commission fait partie de ce système intégral de vérité, justice, réparation et non répétition dont elle ambitionne d’être la phase finale. Son mécanisme s’inscrit en parallèle du mécanisme judiciaire chargé d’appliquer des sanctions pénales et n’a de fait pour objectif que de consolider la cohésion nationale en pérennisant la mémoire du conflit (4).
Toutefois, l’aboutissement du processus de paix que représente la Commission de Vérité ne doit pas éluder la réalité bien plus complexe de la Colombie. Alors que les accords de paix fêtent ce mois-ci leurs deux ans, il ne faut pas oublier que leur mise en pratique a déjà pris beaucoup de retard et que la fin des affrontements dans les faits est bien loin d’être acquise. La construction de la paix en Colombie se trouve actuellement dans une période d’incertitude.
Perspectives :
- Les instances gouvernementales peinent à mettre en œuvre les dispositions de l’accord et ne parviennent pas à trouver un terrain d’entente avec l’Armée de libération nationale (ELN), une autre guérilla ayant pris le relai de la violence. Le cycle des négociations avec l’ELN a été récemment interrompu par l’État suite aux attentats et aux prises d’otages commis au nord du pays à la fin de l’été. Cette interruption fragilise un processus déjà instable et critiqué par une partie importante de la population.
- Une grande partie de la société colombienne condamne en effet les accords de la Havane. Bien qu’ils aient été plébiscités par la communauté internationale, ils ne jouissent pas du même crédit auprès de la population colombienne qui se retrouve à nouveau divisée.
- Au-delà de ces lacunes, la pression exercée par les réfugiés vénézuéliens est venue ajouter de nouveaux défis pour la construction de la paix en Colombie. Le nombre de ces « caminantes » ne cesse d’augmenter sur le territoire colombien, et l’entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation péruvienne risque de bientôt provoquer la multiplication des franchissements de la frontière équatorienne. La stabilisation des régions concernées n’en est que plus délicate.
Sources :
- Amnesty International, Rapport 2017-2018 sur la situation des droits humains dans le monde.
- BEN MESSAOUD Mohammed, Colombie : la Commission de la vérité sera-t-elle en mesure de panser les plaies du conflit armé ?, Map Express, 3 décembre 2018.
- Aclare sus dudas sobre la Comisión de la Verdad, El Espectador, 30 novembre 2018.
- TORRADO Santiago, Colombia pone en marcha su Comisión de la Verdad, El Pais Internacional, 30 novembre 2018.
Camille Pin