Londres. Le 16 novembre ont été publiées les conclusions alarmantes de la mission du rapporteur des Nations-Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme au Royaume-Uni. Durant deux semaines, Philip Alston a arpenté le Royaume-Uni. Il est ainsi parvenu à un verdict navrant et implacable : depuis 2010, les politiques d’austérités menées par le gouvernement conservateur ont porté un coup mortel aux populations les plus vulnérables. Parmi les politiques visées par Alston pour leurs lourdes conséquences sur les populations les plus pauvres, on trouve les changements importants apportés au système de protection sociale, à savoir la mise en place du très critiqué universal credit (une aide sociale rassemblant et remplaçant six autres) et sa digitalisation qui en complexifie la demande. Alston a critiqué la partie la plus riche du Royaume-Uni pour avoir créé un désastre social en même temps qu’une catastrophe économique (3).
Comme on pouvait s’y attendre, la dénonciation d’Alston n’a donné lieu à aucun acte de contrition de la part du camp conservateur. Au contraire, certains prétendent que son estimation de la pauvreté est trop pessimiste et que son approche penche trop à gauche. Les analyses d’Alston montrent que, dans ce pays riche, une partie importante de la population – environ 14 millions d’habitants – sont pauvres et que quatre millions vivent avec des revenus ne dépassant pas les 50 pour cent du seuil de pauvreté. La Rowntree Foundation a déclaré qu’un cinquième des sommes dépensées dans les services publics sert à atténuer les ravages causés par la pauvreté (3).
Jusqu’à quel point les critiques d’Alston sur les conséquences de la pauvreté au Royaume-Uni sont-elles justes ? À quel point sont-elles révélatrices de l’importance croissante des inégalités de santé à l’échelle mondiale ? Cela fait aujourd’hui plusieurs décennies que les inégalités d’espérance de vie se creusent au Royaume-Uni. Ce problème a émergé dans les années 1980 en conséquence des politiques flexibilité du marché du travail qui ont eu pour conséquence d’augmenter le chômage et les inégalités de revenus. Mais l’augmentation globale de l’espérance de vie moyenne ne s’était pas arrêtée pour autant. Des gains continuent d’être enregistrés à chaque génération, mais ces gains ont pour contrepoint étonnant l’augmentation de l’écart entre les plus pauvres et les dix pour cent les plus riches. Cet écart grandissant s’explique par le fait que les populations les plus pauvres sont plus exposées à la mortalité infantile et à de nombreuses maladies contre lesquelles traitements et préventions existent pourtant, comme les maladies respiratoires, les ischémies myocardiques et les cancers des poumons et de l’appareil digestif. En 2016, le facteur le plus important de l’augmentation des inégalités de santé furent les morts causées par ces maladies. L’injustice des inégalités est mise en évidence par un simple regard sur les statistiques : le nombre de morts enregistrées pour chaque type de maladies par groupe d’âge est plus élevé dans les milieux sociaux les plus défavorisés. Au Royaume-Uni, les femmes les plus pauvres ont à présent le même espérance de vie que celle des Libyennes et les hommes les plus pauvres ont la même espérance de vie que celle des Guatemalans (2).
Comprendre les divers facteurs des inégalités de santé est nécessaire afin de choisir les politiques publiques appropriées, mais cela représente un véritable défi. Parallèlement aux facteurs économiques et sociaux, il convient de prendre en compte les comportements à risque et les facteurs environnementaux locaux. Parmi les défis des politiques de santé publique, les plus importants sont le coût des produits frais, de plus en plus difficile à supporter, et les conséquences de plus en plus désastreuses sur la santé de ceux qui renoncent aux soins médicaux. Ces problèmes de fond sont particulièrement difficiles à traiter. De récentes recherches à propos de l’émergence des comportements à risque au Royaume-Uni publiées dans la revue Lancet montrent que les conséquences des comportements à risques sont plus graves pour les populations les plus pauvres que pour les populations plus aisées exposées au même comportement à risque (1).
Perspectives :
- L’investissement public dans la santé continuera de contribuer aux inégalités de santé si les politiques n’arrivent pas à prendre en compte les déterminants sociaux et environnementaux des modes de vie.
- Les gouvernements ne devraient pas adopter de politique de réduction de la pauvreté sans volet macroéconomique, ni négliger l’urgente nécessité d’accroître l’accès aux services de santé dans les régions les plus délaissées. Selon les termes d’Alston, “la pauvreté est un choix politique. L’austérité aurait facilement pu épargner les pauvres si une véritable volonté avait poussé en ce sens” (3).
Sources :
- FOSTER H et al., The effect of socioeconomic deprivation on the association between an extended measurement of unhealthy lifestyle factors and health outcomes : a prospective analysis of the UK Biobank cohort, The Lancet Public Health Journal,19 novembre.
- NEWTON John, Dissecting the life expectancy gap in England provides clues on how to reduce it, The Lancet Public Health Journal, 22 novembre.
- United Nations Human Rights, Office of the High Commissioner, Statement on Visit to the United Kingdom, by Professor Philip Alston, United Nations Special Rapporteur on extreme poverty and human rights, 16 novembre 2018.
Gráinne Dirwan