La tradition de neutralisme de la Finlande en politique étrangère est le fruit d’un héritage historique marqué par ses relations avec l’Union soviétique durant la guerre froide. Depuis, la politique étrangère du pays semble avoir considérablement évolué. S’engageant en faveur de la paix et contre le changement climatique, favorisant la coopération régionale, la Finlande se tourne aujourd’hui vers un multilatéralisme plus ouvert et dynamique, au service de l’intégration européenne.

« Ruotsalaisia emme ole, venäläisiksi emme koskaan voi tulla, olkaamme siis suomalaisia », c’est-à-dire « Nous ne sommes pas Suédois, nous ne voulons pas devenir Russes, soyons donc Finlandais ». C’est en ces termes que l’écrivain finlandais Adolf Ivar Arwidsson (1791-1858), considéré comme le précurseur de l’idée d’indépendance de la Finlande, résumait sa position singulière de pays d’Europe du Nord baigné par la mer Baltique et le Lac Ladoga au sud et par la mer Blanche et le cercle polaire arctique au nord, à mi-chemin entre la Russie et l’Europe, entre Est et Ouest.

Du fait de sa position géographique singulière, la Finlande a connu une histoire récente pour le moins tourmentée. Ainsi, après avoir arraché son indépendance de l’Empire russe le 6 décembre 1917, et malgré la signature du traité de Tartu du 14 octobre 1920 reconnaissant son indépendance, le pays a longtemps suscité la méfiance de son puissant voisin soviétique. Cette méfiance à l’égard d’un État au territoire considéré comme stratégique par les dirigeants soviétiques déboucha sur la Guerre d’Hiver (30 novembre 1939 – 13 mars 1940) qui vit la jeune nation finlandaise résister avec acharnement à l’agression soviétique1 pour finalement s’incliner face à un adversaire mieux armé et numériquement supérieur. Au terme du traité de Moscou du 12 mars 1940, la Finlande se vit amputer de la Carélie – soit 10 pour cent de son territoire – et 422 000 personnes durent quitter leurs terres.

Après une période de paix précaire connue en Finlande sous le nom de « Grande Trêve », et dans un contexte d’expansion de la Seconde Guerre mondiale à l’Europe du Nord, la guerre ne tarda pas à éclater avec l’Union soviétique à partir du 25 juin 1941. Durant celle que les Finlandais nommèrent « Guerre de Continuation », la Finlande s’allia à l’Allemagne nazie, plus par nécessité stratégique et tropisme historique que par adhésion idéologique, mais elle dut se résoudre à signer un armistice séparé avec l’Union soviétique dès le 19 septembre 1944. Malgré la situation difficile de l’après-guerre, les Finlandais réussirent à préserver leur système démocratique et leur dynamique modèle économique et social durant la guerre froide par l’établissement d’une politique extérieure neutraliste visant à ne pas mécontenter l’Union soviétique.

Si cette politique extérieure a d’abord été perçue comme une contrainte géopolitique, la Finlande a rapidement pris appui sur son neutralisme à partir de 1955 pour s’engager activement dans la voie de la diplomatie multilatérale. Elle a accueilli de nombreuses négociations internationales entre Est et Ouest durant toute la guerre froide. Toutefois, depuis la dislocation de l’URSS en 1991, et après une période d’accalmie marquée par son adhésion à l’Union européenne en 1995, la Finlande fait de nouveau face au retour des tensions régionales en Baltique.
Alors que la Finlande a fêté le 100e anniversaire de son indépendance en 2017, il est important d’étudier sa posture internationale. Celle-ci est le gage de la préservation de l’indépendance du pays, par l’établissement de relations de confiance avec la Russie. Ce socle lui permettant de développer une diplomatie multilatérale dynamique comme instrument de rayonnement sur la scène internationale.

I – Le neutralisme en héritage

Principale caractéristique de la politique extérieure de la Finlande, le neutralisme est le fruit d’un héritage historique récent marqué par les relations entretenues avec l’Union soviétique durant la guerre froide.

A – La genèse du neutralisme finlandais (1944-1955)

Dans le contexte difficile que connaissait la Finlande au sortir de la guerre, le Président Juho Kusti Paasikivi2 entreprit de refonder totalement la politique extérieure de son pays. C’est le véritable « architecte de la politique étrangère de l’après-guerre  »3. L’objectif de cette nouvelle politique, connue sous le nom de « Ligne Paasikivi » (Paasikiven linja en finnois), était d’assurer l’indépendance de la Finlande tout en orientant la politique étrangère du pays de manière à éviter tout conflit avec l’Union soviétique et à convaincre les dirigeants soviétiques de la sincérité de cette politique réaliste. Aussi, afin d’assurer sa propre sécurité, la Finlande devait s’efforcer d’établir des relations de confiance avec l’Union soviétique, ce qui passait en premier lieu par le paiement des réparations de guerre.

Fruit d’un important effort industriel, le paiement des réparations de guerre se déroula quasiment dans les délais fixés4. Toutes les industries étant tournées vers l’exportation, les biens produits ne bénéficièrent pas aux Finlandais qui durent supporter une situation de pénurie chronique et un niveau de vie relativement bas durant l’après-guerre5. Paradoxalement, les réparations de guerre ont ainsi obligé la Finlande à accélérer sa transition économique en passant d’une économie essentiellement rurale à un système plus industrialisé6.

En second lieu, afin de recouvrer sa pleine et entière indépendance et de stabiliser la situation du pays notamment avec l’Union soviétique, Helsinki signa, le 10 février 1947 à Paris, un traité de paix avec les Alliés de la Seconde Guerre mondiale qui mettait un terme définitif aux hostilités dans le cadre d’arrangements globaux reprenant la convention d’armistice signée à Moscou en 1944. Après avoir décliné la proposition américaine de bénéficier du Plan Marshall,7 et au terme de négociations habilement menées par les diplomates finlandais, le traité d’Amitié, de Collaboration et d’Assistance mutuelle finno-soviétique fut signé à Moscou le 6 avril 1948.

Il rappelait en premier lieu les principes de la Charte des Nations unies et reconnaissait l’aspiration de la Finlande à rester à l’écart des conflits entre les grandes puissances. Il se limitait au cas de figure où l’Union soviétique serait l’objet d’une agression armée, à travers le territoire finlandais, de la part de l’Allemagne ou d’une puissance alliée de celle-ci. Les échanges économiques permis par ce traité revêtaient en outre une grande importance politique, dans la mesure où ils concrétisaient et banalisaient les relations bilatérales et rejetaient à l’arrière-plan la sphère politico-militaire. Pierre angulaire des relations finno-soviétiques, ce traité est généralement considéré comme le fondement de la politique orientale de la Finlande durant toute la période de la guerre froide.

Ainsi, la fin de l’après-guerre, marquée par la tenue des Jeux Olympiques d’été à Helsinki en 1952 et la levée des dernières hypothèques soviétiques avec la restitution de la base navale de Porkkala et l’adhésion de la Finlande aux Nations Unies en 1955, vit le pays établir de bonnes relations avec l’URSS en échange de la préservation de ses institutions démocratiques.

B – L’étirement de la « ligne Paasikivi-Kekkonen » (1955-1995)

Dès lors, la Finlande consolida une politique de neutralité active, dite « ligne Paasikivi-Kekkonen » qui, tout en s’efforçant de ne pas mécontenter l’URSS, accompagna le formidable essor économique et diplomatique du pays sur la scène internationale. Ainsi, durant toute la guerre froide, la Finlande mena une politique de bons offices. Engagée pour la paix internationale et, étant considéré comme un espace neutre à l’instar de Genève ou de Vienne, la Finlande devint une plaque tournante des relations Est-Ouest durant la guerre froide.

Par exemple, elle accueillit les négociations américano-soviétiques sur la limitation des armes stratégiques (Strategic Arms Limitation Talks, SALT I) de novembre 1969 à mai 1972, puis la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) à Helsinki à partir du 3 juillet 1973 qui permit de lancer un dialogue bilatéral Est-Ouest sans précédent en matière de coopération et de sécurité européennes appelé « processus d’Helsinki ».

Après la réunion à Helsinki en 1974 des ministres des Affaires étrangères de tous les pays européens (à l’exception de l’Albanie), et ceux des États-Unis et du Canada, les chefs d’État et de gouvernement de 35 États se réunirent le 1er août 1975 à Helsinki pour la signature de l’Acte final de la CSCE, plus connu sous le nom d’ « Accords d’Helsinki ». A ce titre, comme le souligne Matti Klinge : « Depuis le congrès de Vienne en 1815, c’était la première fois que les chefs d’États et de gouvernements européens (plus les Américains et les Canadiens) se trouvaient réunis à la même table  »8. Considérés comme un immense succès pour le président Kekkonen et la diplomatie finlandaise – le diplomate français Jacques Andreani a parlé d’ « esprit d’Helsinki »9.-, ces accords devinrent une référence obligée et le statut de la Finlande comme acteur international neutre se trouva considérablement renforcé. Ainsi, malgré la dislocation de l’Union soviétique en 199110 et la fin de la guerre froide, la posture neutraliste de la Finlande constitue encore aujourd’hui une caractéristique majeure de sa politique extérieure.

C – La Finlande au défi du retour des tensions régionales : vers une évolution du neutralisme ?

Dans un contexte marqué par la montée en puissance militaire de la Russie11 et la dégradation continue du contexte stratégique régional, la Finlande a assisté à la multiplication des incidents en mer Baltique allant de la simple coupure de transpondeur12 à la violation d’espace aérien13, et de l’intensification de l’activité des services de renseignement russes en Estonie, Finlande et Suède14 à l’inquiétante pratique de la « guerre hybride »15– mêlant « petits hommes verts »16 et cyber-attaques des infrastructures sensibles – utilisée par la Russie dans l’Est de Ukraine et en Crimée. Si la population finlandaise ressent une faible vulnérabilité face à la Russie17– ce sentiment s’expliquant par la stabilité de la frontière finno-russe18-, le Gouvernement finlandais a mené plusieurs réformes de ses forces armées au cours des années 2000. Ces réformes ont porté une attention particulière à l’amélioration de l’instruction militaire qui a permis de diminuer la durée du service militaire obligatoire19.

Depuis le début de la crise ukrainienne en novembre 2013, le gouvernement finlandais a décidé d’augmenter le niveau du budget de la Défense – 1,4 pour cent du PIB y était consacré en 2015 – afin de doter les forces armées de nouveaux véhicules blindés et d’avions de chasse pour pouvoir continuer à assurer la défense du pays de façon autonome. En février 2014, peu de temps après l’achat de 100 chars Leopard 2A6 d’occasion auprès des Pays-Bas, le ministre finlandais de la Défense, Carl Haglund, a ainsi affirmé que « si les niveaux du budget restent en l’état, dans les années 2020, les forces armées ne seraient plus en mesure de défendre toute la Finlande »20, tout en rappelant en avril 2014 qu’« en cas de crise, la Finlande doit être prête à se défendre seule »21. Ainsi, malgré la modification de la situation géopolitique régionale, Helsinki a jugé préférable de conserver son neutralisme en maintenant des relations suivies avec l’OTAN dans le cadre du Partenariat pour la paix auquel elle a adhéré le 9 mai 1994.

En Finlande, l’idée selon laquelle l’adhésion à l’OTAN coûterait cher, que les garanties de sécurité seraient limitées et que l’adhésion à l’Alliance atlantique entraînerait la Finlande dans le marasme des crises internationales sans qu’elle puisse de quelque manière agir sur les décisions, est partagée par une importante portion de la population22 et des représentants politiques, comme le président Sauli Niinistö lui-même23. De même, l’adhésion à l’OTAN affecterait bien évidemment les rapports avec la Russie.

La question lancinante de l’adhésion à l’OTAN est pourtant revenue sur le devant de la scène à la fois par les publications d’analystes des pays nordiques2425 , mais surtout après la parution le 30 avril 2016 d’un rapport issu du travail d’un groupe international d’experts indépendants portant sur ce sujet26. La parution de ce rapport a suscité de nombreux commentaires et a cristallisé encore un peu plus les tensions entre les partisans de l’adhésion et les défenseurs du neutralisme, déjà échaudés par le flou entourant les exercices militaires conjoints américano-finnois du début de l’année 201627.

Plus récemment, le 17 juin 2016, à l’occasion de la publication du rapport sur la politique de sécurité du gouvernement, le ministre des Affaires étrangères, Timo Soini, a indiqué que si la Russie ne représentait pas une menace immédiate pour le pays, la Finlande allait tout de même continuer à participer aux exercices militaires de l’OTAN et qu’elle n’écartait pas l’option d’une adhésion le cas échéant. Concluant son intervention, il a toutefois souligné que pour répondre à l’évolution de la situation sécuritaire la Finlande devait augmenter la coopération internationale avec ses partenaires. Ainsi, malgré les discussions concernant le maintien du neutralisme comme pivot de sa politique extérieure, la Finlande a réaffirmé son engagement en faveur du multilatéralisme sur la scène internationale.

II – Le multilatéralisme en action : la Finlande médiatrice pour la Paix

La politique extérieure de la Finlande est également caractérisée par la promotion du multilatéralisme sur la scène internationale. En s’appuyant sur la culture du dialogue propre aux pays nordiques, la diplomatie finlandaise s’attache ainsi à promouvoir la résolution des crises internationales, à approfondir la coopération régionale à plusieurs niveaux et à soutenir l’aide au développement.

A – Un engagement en faveur de la résolution des crises internationales

La Finlande participe activement à la résolution des crises internationales en mobilisant de nombreux experts civils et en déployant ses soldats dans le cadre d’opérations militaires multilatérales. En matière de gestion civile des crises, Helsinki mène une politique promouvant le respect de l’État de droit et des droits de l’homme, la démocratie, la bonne gouvernance et la vitalité de la société civile dans les régions concernées. Afin d’atteindre ces objectifs, la Finlande déploie chaque année un nombre important d’experts civils prioritairement dans le cadre des missions de l’UE, mais également auprès de l’ONU, de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) et plus rarement de l’OTAN dans 16 pays.

La Finlande est ainsi, proportionnellement à sa population, le premier État membre de l’UE en terme de personnels engagés dans les missions civiles européennes. Les fonctionnaires finlandais déployés dans le cadre de ces missions concourent à la surveillance des élections, à la structuration et à la formation des forces de sécurité, de l’appareil judiciaire, du système pénitentiaire et des administrations nécessaires aux États. En parallèle de ces missions, ils veillent également à la surveillance des accords de paix ou de cessez-le-feu. Le pays a ainsi fait partie des premiers États à déployer des observateurs en Ukraine dans le cadre de l’OSCE ce qui n’a pas manqué de renforcer sa relation avec d’autres États neutres comme la Suisse28.

Du fait de son neutralisme, la Finlande pourrait d’ailleurs être un exemple à suivre pour résoudre la crise ukrainienne selon certains analystes29 dont l’ancien Secrétaire d’État américain Henry Kissinger30 Symbole de l’expertise finlandaise en la matière, le Centre de Résolution des Crises (Crisis Management Centre, CMS), situé à Kuopio, constitue un centre d’excellence mondiale pour la formation des experts engagés dans les missions de résolution civile des crises. Enfin, la Finlande est réputée sur la scène internationale pour la qualité de ses médiateurs, dont le plus célèbre, le président Martti Ahtisaari31, pour qui « tous les conflits du monde peuvent être résolus  », a reçu le prix Nobel de la Paix le 10 octobre 2008 pour « ses importants efforts, sur plusieurs continents et pendant plus de trois décennies, pour résoudre les conflits internationaux »32.

Ministère des Affaires Étrangères – Finlande

En matière de gestion militaire des crises, la Finlande participe actuellement à 20 opérations de maintien de la paix ou d’observation placées sous l’égide de l’ONU, de l’UE ou de l’OTAN. Régi par la loi sur la gestion militaire des crises adoptée en 2006, l’engagement des forces armées finlandaises hors des frontières nationales est limité aux opérations de maintien ou de rétablissement de la paix ainsi qu’aux opérations ayant des objectifs humanitaires ou visant à protéger les populations civiles33 Conformément à la loi, un maximum de 2000 militaires finlandais peut servir simultanément en opérations extérieures. L’existence de ce cadre juridique particulièrement précis est issue de l’engagement précoce du pays dans les opérations de l’ONU. Ainsi, la Finlande a participé à la Première Force d’urgence des Nations Unies (FUNU I) en dépêchant à Suez, en novembre 1956, des troupes de surveillance composées de volontaires.

Dans les années qui suivirent, Helsinki envoya des observateurs militaires à Chypre dans le cadre de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP) déployée à partir de 1964, au Proche-Orient en 1967 dans le cadre de l’Organisme des Nations Unies chargé de la surveillance de la trêve (ONUST), des soldats au Sinaï de 1973 à 1979 dans le cadre de la Deuxième Force d’urgence des Nations Unies (FUNU II) et est présente au Liban depuis 1982 dans le cadre de la Force d’interposition des Nations Unies au Liban (FINUL) avec un total de 320 soldats déployés.

Plus récemment, après avoir participé à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) déployée en Afghanistan34, la Finlande a renouvelé son engagement en participant à l’opération Resolute Support à partir du 1er janvier 2015. La Finlande a également envoyé 50 formateurs militaires en Irak dans le cadre de l’opération Inherent Resolve, dans le cadre de la coalition établie pour lutter contre l’organisation État islamique. En outre, Helsinki a joué un rôle central dans le développement des opérations de maintien de la paix en adoptant en 1964, en coopération avec ses voisins scandinaves, une loi créant des forces en attente (standby forces) prêtes à être déployées rapidement en cas de crise. La Finlande a ainsi développé un véritable savoir-faire en la matière en établissant des programmes multinationaux détaillés de formation et d’entraînement et en publiant des guides onusiens de maintien de la paix, comme le Guide nordique des forces en attente ou Livre bleu, qui a notamment servi de base à l’établissement et à l’entraînement de contingents de casques bleus. Par ailleurs, la Finlande a été le premier pays à créer, dès 1970, un organisme exclusivement dédié à l’entraînement des soldats participant à des opérations de maintien de la paix, le Centre d’entraînement de l’ONU, situé à Niinisalo.

B – Le choix d’une coopération régionale à plusieurs niveaux

L’engagement multilatéral de la Finlande s’est également traduit par son action en faveur de l’approfondissement de la coopération régionale, que ce soit au sein de l’Union européenne, du Conseil nordique ou du Conseil arctique. Membre de l’Union européenne depuis le 1er janvier 1995, la Finlande a placé la construction européenne au cœur de sa politique extérieure. L’investissement enthousiaste de la diplomatie finlandaise lui a d’ailleurs valu « une réputation “d’élève modèle” de l’Union, concentrant son énergie sur les grands dossiers et tenant ses engagements  »35.

La Finlande a ainsi publié en juin 2013 un Livre blanc sur l’Union européenne plaidant pour une intégration plus étroite, « juste et équitable », solidaire et responsable, dans le cadre des traités existants. Dans ce document, elle a particulièrement insisté sur plusieurs domaines communautaires comme la promotion de la compétitivité et l’emploi, la garantie du modèle social, mais aussi la politique énergétique et climatique, la liberté de mouvement et le renforcement d’une défense commune intégrée.

Ainsi, tout en suivant avec attention les évolutions de la crise de la dette dans la zone euro36, la Finlande a réaffirmé son soutien au renforcement du rôle de l’Union au sein des organisations internationales et dans le cadre de ses relations partenariales, notamment à travers la politique européenne de voisinage. Le pays a été un fervent partisan de l’élargissement de l’Union et a accueilli avec enthousiasme l’adhésion de dix États supplémentaires, le 1er mai 2004, dont faisaient partie plusieurs pays de la région baltique (Estonie, Lettonie, Lituanie et Pologne). De même, il promeut activement la consolidation de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

Amorcé lors du Conseil européen organisé à Helsinki du 10 au 11 décembre 1999, l’engagement finlandais en faveur de la PSDC ne s’est jamais démenti depuis cette date. Ainsi, l’existence d’une frontière commune avec la Russie longue de 1340 km37 et l’Estonie imposant à la Finlande, depuis son entrée dans l’espace Schengen, des obligations en matière policière et douanière, le gouvernement finlandais a décidé de renforcer les moyens de ses gardes-frontières (Rajavartiolaitos) et de renforcer la coopération européenne en promouvant la création de Frontex en 200538.

De même, face au retour des tensions en Baltique, Helsinki s’est pleinement investi dans la diplomatie européenne en renforçant le dialogue avec la Russie. La visite en Finlande de Vladimir Poutine au début du mois de juillet 2016, peu de temps avant l’ouverture du Sommet de l’OTAN à Varsovie, a été l’occasion d’aborder avec le président russe l’état du contexte sécuritaire en Baltique. Tout en condamnant fermement les violations du droit international39 et en se montrant réticente aux sanctions économiques40, la Finlande a également encouragé le renforcement de l’intégration économique avec la Russie en signant, le 13 avril 2012, un accord de promotion de la coopération transfrontalière dans le cadre du programme Kolarctic41.

Plus récemment, le 15 juin 2016, à l’occasion de sa visite diplomatique en France, le Premier ministre Juha Sipilä a réaffirmé l’engagement du gouvernement finlandais en faveur de la PSDC. A ce titre, la Finlande a participé à 5 périodes de veille opérationnelle de la Force de réaction rapide de l’Union européenne et va participer à une nouvelle période sous commandement britannique au dernier semestre 2016.

La coopération régionale en Europe du Nord est une pierre angulaire de la diplomatie finlandaise depuis la création du Conseil nordique en 1952 et du Conseil nordique des ministres en 1971. Ainsi, dans le cadre de ces forums de coopération rassemblant 5 États nordiques (Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède), 3 territoires autonomes (Åland, Iles Féroé, Groenland) et les 3 États baltes, la Finlande trouve une interface d’échange régionale adapté aux problématiques baltiques et nordiques. Coordonnée par le Secrétariat pour la Coopération nordique du Ministère des Affaires étrangères, la coopération qui s’est établie a permis la conclusion d’accords dans les domaines de l’harmonisation des législations, l’environnement, l’accroissement des échanges commerciaux ou encore la circulation des personnes.

En plus, avec le développement de la coopération en Baltique, la Finlande a exprimé son inquiétude face à la réaction de la Russie après l’élargissement de l’OTAN à sept nouveaux États d’Europe centrale et orientale, notamment aux trois pays baltes, réalisé le 29 mars 2004. En septembre 2008, critiquant l’attitude de l’Estonie face à la Russie, la présidente Tarja Halonen avait ainsi affirmé que ce pays souffrait de « stress post-soviétique »42.

Finalement, suite à la publication du « Rapport Stoltenberg » en février 2009 qui soulignait la nécessité d’une coopération militaire nordique, Helsinki participa à la création du programme de coopération entre les États nordiques dans le domaine de la Défense, appelé NORDEFCO (Nordic Defence Cooperation) par la signature d’un protocole d’accord le 4 novembre 2009. La Finlande s’est ainsi employée à approfondir la coopération avec la Suède, dont le neutralisme et l’appartenance à l’Union européenne font un partenaire de premier plan43. Plus récemment, en 2016, dans le cadre de sa présidence du Conseil nordique des ministres, la Finlande a porté un programme axé sur les problématiques liées à l’eau, la nature et la population, et a soutenu plusieurs projets de coopération régionale en mer Baltique, attirant l’attention sur cet espace maritime à l’environnement menacé44, foyer d’un processus de régionalisation issu de l’essor du trafic maritime45.

Problématique émergente sur la scène internationale, la coopération en Arctique est l’objet d’une attention particulière. En effet, l’ouverture de la route du Nord-Est de l’Arctique, tout en étant porteuse d’incertitudes, permet également le développement des possibilités d’exploitation des minerais et hydrocarbures de la région et a suscité l’intérêt d’Helsinki qui y a vu une intéressante perspective de développement économique pour ses entreprises, spécialisées dans la construction navale et des stations offshore. En outre, la Finlande étant extrêmement dépendante du gaz et du pétrole russes, la stabilisation des approvisionnements en provenance de la région euro-arctique constitue un enjeu prioritaire. Ainsi, la Finlande participe activement aux travaux du Conseil de l’Arctique depuis sa création en 1996. La centralité de la question arctique est démontré aussi par la publication, au printemps 2013, d’une Stratégie Arctique fixant trois objectifs : le renforcement de la coopération multilatérale en Arctique, la participation à l’élaboration d’une politique européenne dans la région, et la promotion de l’expertise finnoise.

C – La promotion de l’aide au développement international

Malgré les difficultés économiques qui l’ont poussée à revoir à la baisse son soutien financier affecté à la lutte contre la pauvreté46, la Finlande continue à promouvoir activement l’aide au développement à travers la défense des droits de l’homme et une politique en faveur du développement durable, notamment par la lutte contre le changement climatique.

Les objectifs finnois en matière de droits de l’homme, à savoir l’élimination des discriminations et la promotion de sociétés inclusives, irriguent toutes les facettes de sa politique étrangère. Troisième État donateur en faveur d’ONU Femmes en 2015, la Finlande promeut particulièrement « l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et des filles, et la pleine réalisation de leurs droits  » selon les mots du président Niinistö47 en s’appuyant sur la résolution 1235 du Conseil de Sécurité qui encourage leur participation politique et économique, en agissant pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes et en soulignant l’importance des droits relatifs à la santé sexuelle et reproductive. Dans ce contexte, la Finlande prépare actuellement un Plan d’action national en faveur de l’égalité des sexes.

De même, elle soutient activement les droits des personnes LGBTI. Pour cette raison, en 2009, le magazine américain Forbes a classé la présidente Tarja Halonen parmi les plus puissantes femmes du monde48. En parallèle, la Finlande promeut également l’application des droits des personnes handicapées et agit en faveur des droits des peuples indigènes.
La lutte contre le changement climatique global joue aussi un rôle central dans la définition de la politique d’Helsinki : la Finlande a porté d’ambitieux objectifs lors de la COP21 de Paris. Possédant un important parc nucléaire, la Finlande fait figure de modèle à suivre en matière de transition énergétique par son orientation vers les énergies renouvelables, notamment l’énergie hydroélectrique et la biomasse issue de l’exploitation de ses ressources forestières. Plus largement, elle apporte son soutien aux initiatives en faveur de la lutte contre la déforestation et de la préservation de la biodiversité.

Naissant de la conjonction de relations bilatérales asymétriques entre la Finlande et la Russie et d’une volonté de rayonner sur la scène internationale par une diplomatie multilatérale au service de la Paix, la politique extérieure de la Finlande a, avec la fin de la guerre froide et la recomposition de l’environnement régional, considérablement évolué, devenant à la fois un outil au service de l’intégration européenne et de la coopération multilatérale, mais également une garantie de crédibilité.
En adoptant une stratégie de stabilité dynamique dans la conception d’un neutralisme consensuel, la Finlande a indéniablement réussi à préserver son indépendance et son modèle démocratique nordique tout en menant une politique étrangère active. Pour cela, face aux nouveaux défis auxquels elle se trouve confrontée dans son espace stratégique, il est permis de penser que la Finlande sera capable de renouveler encore une fois sa politique de neutralité.

Sources
  1. Jugée illégale par la Société des Nations, l’attaque de la Finlande provoqua l’exclusion de l’Union soviétique dès le 14 décembre 1939.
  2. Juho Kusti Paasikivi (1870-1956), Premier ministre (1944-1946) puis Président de la République de 1946 à 1956.
  3. ZETTERBERG Seppo, La Finlande après 1917, Helsinki, Editions Otava S.A., 1991, p. 100.
  4. Il convient de remarquer que la Finlande fut le seul pays belligérant à avoir entièrement honoré ses engagements concernant les réparations de guerre.
  5. Détail saisissant, signe de la pénurie de matières premières nécessaires aux biens de consommation courants, le tissu des habits produits en Finlande durant l’après-guerre était issu des usines de papier (GUEX André, Finlande, Lausanne, Editions Rencontre, 1965, p. 154). Il fallut attendre le milieu des années 1960 pour que la Finlande parvienne à retrouver des niveaux économique et social comparables aux autres pays nordiques.
  6. RAJANIEMI Niko, « Les difficultés de la reconstruction : le cas de la Finlande, 1944-1948 », in : Histoire, économie et société, Paris, 1999, 18e année, n° 2, La reconstruction économique de l’Europe (1945-1953), pp. 325-347.
  7. Malgré la ratification finlandaise du traité de paix intervenue le 18 avril 1947, les Soviétiques décidèrent d’ajourner la ratification du traité de paix avec la Finlande afin de pousser le gouvernement finlandais à décliner l’invitation américaine (MAJANDER Mikko, « The Limits of Sovereignty. Finland and the Question of the Marshall Plan in 1947 », Scandinavian Journal of History, Stockholm, Scandinavian University Press, 1994, vol. 19.).
  8. KLINGE Matti, La Finlande, terre d’Europe, Keuruu, Editions Otava, 1995 (2e édition : 2004), p. 143.
  9. ANDREANI Jacques, Le Piège : Helsinski et la chute du communisme, Paris, Editions Odile Jacob, 2005.
  10. En 1991, le gouvernement finlandais dénonça unilatéralement le traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle signé en 1948, pour conclure, le 20 janvier 1992 à Helsinki avec Boris Eltsine, un nouveau traité de coopération – dépourvu cette fois de toute obligation militaire – avec la Fédération de Russie.
  11. EINHORN Catrin, FAIRFIELD Hannah, WALLACE Tim, « Russia Rearms for a New Era », The New York Times, 24 décembre 2015.
  12. MILNE Richard, « Scandinavians warn Russia after air near-miss », Financial Times, 15 décembre 2014.
  13. « La Finlande accuse l’aviation russe d’avoir violé son espace aérien », Zone Militaire, 14 juin 2013.
  14. « Russia’s enthusiasm for espionage increasing », Helsingin Sanomat, 20 décembre 2012.
  15. RACZ András, Russia’s Hybrid War in Ukraine – Breaking the enemy’s Ability to Resist, Helsinki, The Finnish Institute of International Affairs, 2015.
  16. SHEVCHENKO Vitaly, « Little green men or Russian invaders », BBC World, 11 mars 2014.
  17. « Russia not a security threath for Finland », YLE.fi, 2 janvier 2015.
  18. VARDOMSKIJ L, GOLOUNOV S. V., Bezopasnost’ i transgraničnoe sotroudničestvo v zone novykh pograničnykh territorij Rossi (Sécurité et coopération transfrontalière dans la zone des nouveaux territoires frontaliers de la Russie), Moscou, Volgograd, FORUM, 2002, p. 163.
  19. « Le service militaire obligatoire en comparaison européenne », Center for Security Studies (CSS), ETH Zurich, 2010. désormais comprise entre 6 et 12 mois.
  20. DELAUNAY Michael, « La Finlande modernise sa cavalerie blindée », 45eNord.ca, 13 février 2014.
  21. TRUC Olivier, « L’Europe du Nord face à la menace russe », Le Monde, 23 avril 2014.
  22. « More Finns on the fence over NATO membership », YLE.fi, 26 octobre 2015.
  23. « Finland joining NATO would alienate Russia – President Niinisto », RT News, 25 novembre 2014.
  24. DEMPSEY Judy, « Should Finland and Sweden Join NATO ? », Carnegie Europe, 21 mai 2014.
  25. ANDERSSON Jan Joel, « Why It Is Time For Finland and Sweden to Join the Alliance », Foreign Affairs, 30 avril 2014.
  26. « Mixed reactions to NATO assessment », YLE.fi, 30 avril 2016.
  27. MP bemoans lack of information on US military exercises, YLE.fi, 20 février 2016
  28. « En Finlande, Didier Burkhalter salue le « pouvoir neutre » à l’OSCE », RTS, 7 avril 2014.
  29. NYBERG René,« Finland’s Lesson for Ukraine », The New York Times, 2 septembre 2014.
  30. KISSINGER Henry, « To settle the Ukraine crisis, start at the end », The Washington Post, 5 mars 2014.
  31. Martti Ahtisaari est né le 23 juin 1937 à Viipuri en Carélie méridionale finlandaise (actuellement Vyborg, en Russie). Négociateur chevronné entré au ministère des Affaires étrangères en 1965, il en prit la tête à partir de 1991 puis président de la République de 1994 à 2000.
  32. « The Nobel Peace Prize for 2008 to Martti Ahtisaari », Nobel Prize, 10 octobre 2008.
  33. Sur la politique de gestion des crises de la Finlande, on peut utilement consulter : « Finlande : Gestion des crises et Défense territoriale », Center for Security Studies (CSS), ETH Zurich, février 2010.
  34. Bien que placée sous l’égide de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), la FIAS était également mandatée par la résolution 1386 du Conseil de sécurité datée du 20 décembre 2001.
  35. KLINGE Matti, La Finlande, terre d’Europe, op.cit., p. 161.
  36. Après avoir été le seul pays nordique à adopter l’Euro en 2002, la Finlande a durci sa position au sein de l’Eurogroupe depuis l’éclatement de la crise de la dette en 2010. En juillet 2015, à l’occasion du Sommet de la zone Euro, le Parlement finlandais, sous la pression du parti eurosceptique des Vrais Finlandais, a ainsi demandé au ministre des Finances Alexander Stubb de soutenir l’option d’une sortie de la Grèce de la zone Euro (« Grexit »). Plus récemment, le 28 avril 2016, les députés finlandais ont débattu d’une sortie de l’Euro suite au dépôt d’une pétition signée par 53000 citoyens.
  37. La plus longue frontière terrestre extérieure avec la Russie à la fois pour l’espace Schengen et l’Union européenne. Sur ce sujet, on peut utilement consulter : MARIN Anaïs, « Du bon voisinage en relations internationales. La frontière finno-russe, laboratoire et modèle de coopération en Europe », Revue d’études comparatives Est-Ouest, volume 1, 2007, N°1. La Russie : géographie des territoires. pp. 121-148.
  38. Le finlandais Ikka Laitinen, général des gardes-frontières finlandais, fut ainsi le premier directeur de Frontex entre 2005 et 2014
  39. A l’occasion de sa déclaration devant la 70e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, le président Niinistö a ainsi déclaré : « Nous saluons les mesures prises dans la mise en œuvre de l’Accord de Minsk. Toutes les mesures illégales comme l’annexion de la Crimée ne peuvent et ne doivent pas être reconnues ».
  40. « Finland denies obstructing EU deal on Russia sanctions », Financial Times, 9 septembre 2014.
  41. MARIN Anaïs, « Du bon voisinage en relations internationales. La frontière finno-russe, laboratoire et modèle de coopération en Europe », Revue d’études comparatives Est-Ouest, volume 1, 2007, N°1. La Russie : géographie des territoires. pp. 121-148.
  42. SALMING Per Olaf, « Halonen : Etonia still experiencing post-soviet trauma », UpNorth, 26 mai 2015.
  43. « What price neutrality ? », The Economist, 21 juin 2014.
  44. BAYOU Céline, « Baltique. Une mer en péril », P@ges Europe, La Documentation française, 25 juin 2014.
  45. SERRY Arnaud, « Transport maritime en mer Baltique : un processus de régionalisation à l’heure de la mondialisation », P@ges Europe, La Documentation française, DILA, 16 décembre 2015.
  46. En 2015, le Gouvernement a ainsi décidé de diminuer de 43 % le montant de l’aide au développement par rapport à 2014 : « La Finlande sabre la moitié de son aide au développement », EurActiv, 12 juin 2015.
  47. Discours de Sauli Niinistö, président de la République de Finlande, devant l’Assemblée générale des Nations Unies, 27 septembre 2015.
  48. « The 100 Most Powerful Women », Forbes, 19 août 2009 : http://www.forbes.com/lists/2009/11/power-women-09_The-100-Most-Powerful-Women_Rank_3.html. Entre 1980 et 1981, Tarja Halonen avait d’ailleurs été la présidente de Seksuaalinen tasavertaisuus (abrégé par SETA), la principale organisation pour les droits des personnes LGBTI en Finlande.