San Salvador. Victime depuis l’âge de 12 ans de viols répétés de son beau-père, Imelda Cortez attend actuellement d’être jugée pour tentative d’homicide aggravé. La jeune fille affirme qu’elle ignorait être enceinte avant le 17 avril 2017, jour où elle a donné naissance à une petite fille dans les toilettes de sa maison. Imelda attribuait les douleurs ressenties à une crise de coliques – mal dont elle souffrait fréquemment. Cet accouchement fit saigner abondamment Imelda : elle perdit connaissance et fut aussitôt conduite aux urgences par sa mère. À l’hôpital, un médecin de garde suspectant une tentative d’avortement a alerté la police. Depuis lors, Imelda Cortez est emprisonnée sans réelle justification légale ; elle s’est vue refuser le droit à la présomption d’innocence et n’a reçu aucun suivi médical ni psychologique. Son procès, reporté pour la huitième fois ce mois-ci, devrait avoir lieu en décembre prochain.

D’après le Centre pour la Justice et le Droit International (CEJIL), 27 salvadoriennes sont aujourd’hui injustement emprisonnées des suites d’une urgence obstétrique ou d’un accouchement extrahospitalier (1). La législation du Salvador en matière d’avortement est en effet une des plus répressives du monde : depuis 1998, l’article 33 du Code Pénal interdit toute interruption de grossesse, y compris en cas de viol, lorsque la vie de la mère est en danger ou quand le fœtus n’a aucune chance de survie. Cette criminalisation absolue constitue une grave atteinte aux droits fondamentaux des femmes et bafoue notamment leurs droits à la vie et à la santé. Elle stigmatise particulièrement les femmes en situation de vulnérabilité – tout comme Imelda Cortez, les 27 emprisonnées sont jeunes, peu éduquées, et issues de milieux pauvres. Par ailleurs, les trois-quarts des 129 femmes jugées pour avortement ou homicide aggravé entre 2000 et 2011 ont été dénoncées par le personnel médical, ce qui instaure une méfiance croissante à l’égard des hôpitaux et restreint l’accès aux soins (2).

Une mobilisation internationale contre la sévérité de la législation salvadorienne a débuté en 2013 autour du cas de Beatriz, dont la vie était menacée par la gestation d’un fœtus non viable (atteint d’anencéphalie). Grâce aux pressions internationales et à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), Beatriz fut autorisée à accoucher par césarienne d’un bébé qui mourut quelques heures plus tard.  Depuis, la CIDH et le Haut Conseiller des Nations Unies pour les Droits de l’Homme (3) ont réclamé à plusieurs reprises la mise en place d’une réforme législative et d’un moratoire sur l’article 33. Les eurodéputé.e.s ont également formulé une résolution demandant la “libération immédiate et inconditionnelle” des femmes et jeunes filles “ayant fait des fausses couches ou accouchant d’enfants morts-nés” au Salvador (4). Cette année, cinq femmes accusées à tort d’homicide ont été libérées des suites de la campagne obstinée de groupes nationaux et internationaux de défense des droits de l’homme.

Perspectives :

  • Une pétition réclamant un jugement impartial, indépendant et conforme aux normes internationales a été signée par une vingtaine d’organisations régionales et internationales. L’histoire d’Imelda Cortez est relativement bien relayée dans la presse européenne (notamment par deux articles d’opinion publiés par The Guardian et El Pais), et le hashtag #SalvemosAImelda circule sur les réseaux sociaux. Cette mobilisation internationale pourrait prendre de l’ampleur et influencer l’issue du jugement.
  • Deux propositions de réforme de la loi ont été proposées récemment (en 2016 par une députée du parti au gouvernement FMLN, puis en août 2017 par un député du parti Arena). Cependant, ces initiatives sont restées lettre morte et les enjeux liés aux droits des femmes et à l’avortement ne sont pas débattus dans le cadre de la campagne pour les élections présidentielles de l’année prochaine.

Sources :

  1. CEJIL, Justicia y Libertad para Imelda, 25 octobre 2018.
  2. El privilegio de abortar, El Faro, 1er février 2018.
  3. HCDH, Declaraciones del Alto Comisionado de las Naciones Unidas para los Derechos Humanos Zeid Ra’ad Al Hussein al final de su misión en El Salvador, 17 novembre 2017.
  4. Parlement Européen, Résolution du Parlement européen sur les femmes poursuivies pour fausse couche au Salvador, 13 décembre 2017.

Riwanon Gouez