Beyrouth. Alors que les libanais pensaient enfin voir le bout du tunnel avec le dénouement des nœuds “druzes“ et “chrétiens” qui bloquaient le processus depuis quatre mois, le Premier Ministre sunnite, Saad Hariri, a accusé le Hezbollah d’entraver la mise en place d’un gouvernement alors que celle-ci devient de plus en plus pressante. En effet, “le résultat de la conférence CEDRE du 11 mai 2018, où les organisations internationales et les bailleurs de fonds ont apporté leur soutien au programme d’investissement du gouvernement libanais, a offert l’occasion d’engager des réformes et des investissements sur les cinq prochaines années propices à la croissance” (3). Le plan d’investissements bâti par les autorités libanaises vise à moderniser les infrastructures du pays, qui connaît d’importants retards de développement, à commencer par l’alimentation en eau, la production d’électricité et le traitement des déchets (5). Celui-ci est néanmoins conditionné par la formation d’un gouvernement. Or le fait que celui-ci soit retardé constamment pourrait faire perdre la patience des investisseurs potentiels.

Quelles sont les raisons actuelles du blocage ? Le parti de Dieu juge qu’il est de son droit de nommer comme ministre un de ses alliés sunnites dits indépendants (2) afin que soit représentée la tranche sunnite de la population, ce qui serait un revers pour Saad Hariri, selon qui cette exigence n’est qu’un prétexte (6). Car, pour bien le comprendre, ce blocage doit être analysé sous le prisme de plusieurs rivalités extérieures, comme c’est souvent le cas au Liban. L’alliance du leader sunnite Hariri est soutenue par l’Arabie Saoudite et les occidentaux, bien que l’Arabie ait perdu une partie de son influence depuis que ce dernier a été détenu dans le Royaume saoudien en novembre dernier. De l’autre côté, l’alliance pro-Hezbollah est soutenue par l’Iran, que certains accusent d’utiliser le terrain libanais, via le Hezbollah comme levier potentiel en bloquant les institutions (1), en réponse aux sanctions américaines. De plus, on peut penser que la formation d’un gouvernement rendrait plus facile la mise en vigueur des sanctions américaines récentes contre le Hezbollah, raison pour laquelle ce dernier ne souhaiterait pas former de gouvernement pour le moment (1). Samedi 10 novembre, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah a démenti ces accusations, dans son discours à l’occasion du Jour du Martyr, et rejeté l’hypothèse de l’ingérence de Téhéran, prétextant que la question du ministre sunnite était discutée depuis le début et ce de manière volontairement non médiatisée (2).

La Banque européenne pour la reconstruction et le développement a pour sa part annoncé un prêt de 1,1 milliard d’euros sur six ans. L’Union et la France ont respectivement annoncé 150 millions d’euros de dons pour subventionner les prêts accordés par les institutions financières européennes. La somme totale des prêts s’élève à 11 milliards de dollars et représente une somme significative à l’heure où l’économie libanaise est en panne (5). Avec un taux de chômage dépassant actuellement les 20 pour cent, une dette qui atteint 150 pour cent du PIB de 2017 (3), auxquels s’ajoutent les questions des réfugiés syriens, de l’eau polluée, des déchets et l’approvisionnement trop intermittent en électricité, les signaux d’alerte ne manquent pas (4).

Perspectives :

  • “Le bras de fer irano-américain est engagé sur le terrain libanais et n’est pas près de se calmer” (1). Par conséquent, il n’est pas exclu que cette confrontation dont les enjeux dépassent largement la seule politique interne libanaise puisse s’installer durablement dans les semaines qui suivent, même si les tentatives de déblocage continuent.
  • Les prochains jours voire semaines seront déterminants dans ce qui semble être le dernier “nœud” du dossier gouvernemental. Hariri reste incontournable pour la formation d’un futur gouvernement en ce qu’il demeure le ministre sunnite le plus consensuel, soutenu par l’alliance saoudienne/occidentale dont dépend notamment la mise en place de CEDRE. Le Hezbollah, n’a d’autre choix que de composer avec s’il veut pouvoir exercer sa politique. Toutefois la récente affaire Khashoggi, qui est venue réduire davantage l’influence saoudienne déjà mise à mal au Liban depuis la séquestration du premier ministre l’an passé, ainsi que le contexte des sanctions contre l’Iran ont changé la donne. Le suivi de l’évolution de ces deux dossiers à dimension internationale sera probablement déterminant pour la suite.
  • À terme, nombreux sont les analystes qui font part de leur crainte de voir le Liban sombrer dans une crise majeure qui leur semble de plus en plus imminente (4) si rien n’est fait assez rapidement, mais il semblerait que les libanais y soient habitués.

Sources :

  1. ABI AKL Philippe, Iran vs US sur le terrain libanais, L’orient le Jour, 08 novembre 2018.
  2. كلمة الامين العام لحزب الله السيد حسن نصر الله في احتفال يوم الشهيد 11 تشرين الثان, Al nour radio, 10 novembre 2018.
  3. Le conseil d’administration du FMI achève les consultations au titre de l’article IV avec le Liban, FMI, 22 juin 2018.
  4. KODMANI Hala, A Beyrouth, l’écroulement est imminent, Libération, 10 novembre 2018.
  5. OUAZZANI Kenza, CEDRE : plus de 11 milliards de dollars pour « préserver le trésor qu’est le Liban dans la région », L’Orient le Jour, 06 avril 2018.
  6. Liban : Saad Hariri accuse le Hezbollah de bloquer la formation d’un gouvernement, Rfi, 14 novembre 2018.

Jonathan Sawaya