En bref – Le dernier cessez-le-feu mis en place entre les groupes palestiniens de Gaza et Israël ne fait pas que mettre en lumière les désaccords entre les différentes tendances du pouvoir politique israélien. Il confirme également le rôle de médiateur désormais incontournable de l’Égypte, dont la politique répond à son ambition de peser dans les grands dossiers régionaux, mais surtout d’assurer sa propre sécurité.

Gaza. Mardi 13 novembre, les groupes palestiniens de la bande de Gaza, dont le Hamas, ont annoncé la mise en place d’un cessez-le-feu avec Israël, après une effusion de violence qui a ôté la vie de sept Palestiniens et d’un officier israélien en seulement vingt-quatre heures. Ces hostilités faisaient suite à une opération commando de Tsahal qui a mal tourné, dans le secteur de Khan Younès (4). Dans leur communiqué conjoint, les groupes palestiniens n’ont pas fait mystère du rôle central joué par le Caire dans la négociation de ce cessez-le-feu, tandis que le ministère égyptien des Affaires étrangères appelait de son côté Israël à “cesser immédiatement toutes les formes d’actions militaires” (3). Rappelons qu’en août 2014, à l’issue du dernier conflit de grande ampleur qu’ait connu la bande de Gaza au cours des dernières années, le président Sissi avait également joué un rôle clé de médiation en vue d’obtenir une trêve.

L’Égypte, qui présente la particularité d’être le premier pays arabe à avoir signé un accord de paix séparé avec Israël, s’est désormais imposée comme un acteur incontournable dans le cadre du conflit israélo-palestinien, aux côtés du coordinateur spécial des Nations unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, Nikolay Mladenov. Tandis qu’en août dernier, alors que la bande de Gaza connaissait une poussée de violence, le premier ministre israélien Nétanyahou effectuait une visite secrète au Caire (2), au début du mois de novembre c’est Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, qui se rendait dans la capitale égyptienne.

La politique égyptienne à l’égard du conflit israélo-palestinien a considérablement évolué depuis le coup d’État militaire de 2013 qui a mené à la tête de l’Égypte le maréchal Sissi, ennemi juré des Frères musulmans. Son investissement conséquent dans le dossier israélo-palestinien répond à son ambition  de rendre l’Égypte indispensable dans la résolution des conflits régionaux. Dans cette optique, le maréchal s’est distingué de ses alliés arabes en soutenant officiellement le régime de Damas à partir de 2016, dans la continuité de son rapprochement avec Moscou. Il s’est aussi montré très actif plus à l’Ouest, en Libye, où il a apporté un soutien conséquent au général Khalifa Haftar, également hostile aux Frères musulmans. En se faisant une telle place sur l’échiquier international, le Caire cherche notamment à faire oublier la répression qu’il mène à l’intérieur de ses frontières.

Néanmoins, davantage qu’un moyen de briller sur la scène internationale, le conflit israélo-palestinien représente pour l’Égypte un véritable enjeu sécuritaire, la situation dans l’enclave palestinienne pouvant avoir des retombées négatives directes sur le Sinaï. En témoigne notamment l’embrasement de violence qui s’est emparé du Nord de la péninsule égyptienne à partir de 2014, après que le président Sissi a décidé de fermer les tunnels de contrebande qui permettaient l’approvisionnement de Gaza. Pour certains observateurs, la montée en puissance du groupe terroriste Province du Sinaï (en arabe Wilayat Sinaï, anciennement Ansar Bait Al-Maqdis, c’est-à-dire “les partisans de Jérusalem”) s’explique en partie par la fermeture de ces tunnels : nombre de bédouins, dont les revenus dépendaient depuis toujours de la contrebande entre Gaza et le Sinaï, ont alors fait le choix de rejoindre le groupe, qui a prêté allégeance à Daech. Si l’on ne connaît pas exactement les responsables qui ont pesé dans la mise en place de ce dernier cessez-le-feu, cette dimension sécuritaire est la raison pour laquelle les renseignements généraux égyptiens maîtrisent bien davantage que les Affaires étrangères l’évolution du dossier palestinien (1).

Perspectives :

  • Très isolé politiquement, le Hamas s’est résolu ces dernières années, par pragmatisme, à un rapprochement avec l’Égypte du maréchal Sissi. Ce dernier a accepté de mettre en place une sorte de coopération avec l’organisation,  pourtant considérée comme terroriste au Caire. Le prochain objectif égyptien est une réconciliation entre le Hamas et le Fatah de Mahmoud Abbas : selon Omar Shaban, directeur d’une ONG palestinienne et politologue basé à Gaza, une délégation de la sécurité égyptienne travaille depuis fin octobre en ce sens, en effectuant des allers-retours entre Gaza et la Cisjordanie afin de relancer l’accord du Caire du 4 mai 2011 (5).
  • Si l’Égypte peut être fière d’être parvenue à arracher ce cessez-le-feu, le plus dur reste à faire tant la situation demeure instable entre Gaza et Israël. Dimanche 11 novembre, juste avant cette dernière flambée de violence, les indicateurs favorables à une trêve de long terme étaient nombreux, ce qui atteste de l’extrême volatilité d’une situation qui semble pouvoir s’embraser à tout moment. Dans ce cadre, on ne peut exclure que les élections à venir en Israël donnent lieu à des récupérations politiques et à des démonstrations de force à l’égard du voisin palestinien.
Sources :

  1. Entre l’Autorité palestinienne, le Hamas et Israël, les milieux sécuritaires égyptiens sont à la manœuvre, Jeune Afrique, 6 novembre 2018.
  2. Nétanyahou s’est rendu en secret en Egypte pour discuter d’une trêve à Gaza, Le Monde, 13 août 2018.
  3. Gaza : les groupes palestiniens annoncent un cessez-le-feu avec Israël, Le Monde, 13 novembre 2018.
  4. OBERLE Thierry, Gaza : regain de tensions après la mort d’un colonel israélien dans une opération secrète, Le Figaro, 12 novembre 2018.
  5. YAFI Nada, Ces divisions qui menacent l’avenir de la Palestine, OrientXXI, 8 novembre 2018.
Marilou Jeandel