Paris. Du fait de la forte hausse des prix du pétrole début novembre (2, 3), l’effet des taxes sur le carburants – environ 60 pour cent du prix à la pompe des carburants en fonction des prix hors taxes des carburants (5) – a suscité un vif débat au cours duquel l’efficacité, le bien-fondé et l’équité de cette fiscalité ont été fortement remis en question.

Poser la question de l’efficacité d’une telle fiscalité nécessité d’en définir les objectifs : réduction de la consommation de carburant, des gaz à effet de serre, de la pollution en générale ou correction d’une imperfection de marché. Cette définition est d’autant plus critique que la complexité des mécanismes en jeu rend difficile l’analyse coûts/bénéfices de ces mesures, prêtant ainsi le flanc aux critiques (9).

Le premier objectif invoqué est la modification du comportement des conducteurs et une réduction de leur impact environnemental. Il s’agit tant de réduire la consommation de carburant à court terme que d’encourager à moyen terme des solutions moins polluantes. Cependant, l’élasticité du prix de la consommation en carburants est relativement faible : une hausse de 1 pour cent du prix du carburant conduit à une baisse de la consommation d’environ 0,3 et 0,6 pour cent à court et long terme (4). Dans ce contexte, il pourrait donc sembler ambitieux de ne compter que sur la fiscalité pour modifier ces comportements, ce qui dépasse d’ailleurs le cas des transports (1).

Un autre point clef réside dans le rattrapage de la TICPE du diesel sur celle de l’essence. Du fait d’émissions de CO2 plus faibles au kilomètre, le diesel a longtemps été encouragé par l’État jusqu’à ce que ses émissions d’oxyde d’azote (NOx) et de particules fines (PM) deviennent un enjeu important de santé publique. Si la convergence des TICPE devrait rééquilibrer le parc automobile français vers l’essence (12), il s’agit davantage d’une problématique de santé publique que de changement climatique.

Cette mesure peut aussi être vue comme la correction d’une imperfection de marché. La prise en compte des externalités liées aux carburants grâce à la CCE (contribution climat-énergie, composante de la TICPE) permettra de reporter sur l’individu un coût autrement supporté par la collectivité. De ce point de vue, les augmentations de la CCE décidées par les gouvernements successifs depuis 2014 (12) se doivent d’être poursuivies jusqu’à atteindre un coût social du carbone difficile à estimer (6) mais dépassant vraisemblablement les 100€ par tonne de CO2, prévus en France pour 2030. Dans ce cas, la hausse de la CCE va dans la bonne direction mais le chemin reste long.

Les détracteurs de cette mesure ne se privent pas d’ajouter à ces objectifs environnementaux un objectif budgétaire moins avouable (11), la TICPE étant la 4ème ressource financière de l’État et des collectivités (7). La question de l’emploi des ressources dégagées est fondamentale tant pour l’efficacité que pour la légitimité de ces mesures qui ont un impact sur le revenu disponible des Français. Par exemple, rediriger les fonds dégagés par ces augmentations vers des mesures “vertes” complémentaires ou de redistribution pourrait asseoir l’acceptabilité de ces mesures et contourner la relative inélasticité des carburants. Expliciter ces emplois est d’autant plus important que la TICPE étant une taxe, elle n’a pas de destination explicite autre que le budget général.

La question de la redistribution est d’autant plus cruciale que cette fiscalité soulève des questions de justice sociale (8). En effet, les foyers les plus modestes ne pouvant acheter des véhicules neufs moins polluants risquent de se voir doublement pénalisés (4). En outre, si l’objectif de réduction des émissions de CO2 peut justifier une hausse indifférenciée, l’argument d’une réduction du NOx et des PMs se prête davantage au milieu urbain que rural. En effet, leur impact sanitaire est principalement local (10) et du fait des densités de populations réduites en milieu rural, il y est plus faible. Dans ce cas, pénaliser de manière identique ces émissions peut sembler contestable.

S’il ne convient pas de juger si brièvement de l’opportunité de ces mesures, plusieurs points pourraient éclairer la manière dont une telle fiscalité pourrait être étendue à l’échelle européenne. Dans un espace encore plus hétérogène, l’explicitation et le choix des objectifs poursuivis, des leviers activés, des emplois de ressources dégagées ainsi que des arbitrages sera crucial. Les efforts considérables à entreprendre pour décarboner non seulement les transports mais nos modes de vie ne pourront se passer de l’approbation des citoyens européens. Leur permettre de s’approprier ces prises de décisions particulièrement complexes est donc un véritable enjeux que l’Union se devra de relever.Perspectives :

  • Complexité des politiques environnementales dont les mécanismes voient les comportement humain, économique et la physique interagir non trivialement invitant à un certaine modestie.
  • Rôle de la communication du processus de prise de décisions dans l’acceptabilité des mesures de fiscalité environnementale et la réduction des instrumentalisation politiques.
  • Enjeux européen dans le cadre d’une fiscalité verte européenne de l’alignement des objectifs et de la prise en compte des aspects de justice environnementale.

Sources :

  1. Energy Efficiency Policy and Carbon Pricing, Agence internationale de l’énergie, 2011.
  2. Boursorama, 13 novembre 2018.
  3. Boursorama, 13 novembre 2018.
  4. CALVET Lucie et MARICAL François, Consommation de carburant : effets des prix à court et à long terme par type de population, Économie et statistique N° 446, 2011.
  5. Structuration des prix de l’essence et du gazole en France, Connaissance des énergies, 17 juillet 2018.
  6. LARAMEE DE TANNENBERG Valery, Vers une réévaluation du coût social du carbone, Journal de l’environnement, 14 novembre 2018.
  7. LENOIR Luc, Carburants : les taxes ne sont presque pas affectées à la transition énergétique, Le Figaro, 12 novembre 2018.
  8. Chèque énergie, « super-prime » : les annonces de Philippe, L’Express, 14 novembre 2018.
  9. PERRIN Brice, Le diesel a-t-il encore un avenir ?, L’auto-journal, 24 janvier 2018.
  10. SALAUN André, Les effets des oxydes d’azote sur la santé, Futura Planète, 13 fèvrier 2016.
  11. Première partie du projet de loi de finances pour 2019 : La commission des finances gèle les tarifs de la TICPE, Sénat, 14 novembre 2018.
  12. Projet de loi de finances pour 2018 : Fiscalité de la transition écologique, Sénat, 14 novembre 2018.

Cette brève a été réalisée dans le contexte du programme “Energie” du Geg.

Tristan Metz