Doha. Le 4 novembre, l’émir du Qatar, Tamim bin Hamad al-Thani, a annoncé un remaniement gouvernemental généralisé qui a également impliqué les principales sociétés holding d’État, telles que Qatar Petroleum (Qp) et Qatar Investment Authority (Qia), les principales expressions de la puissance douce du Qatar dans le monde. Une décision longtemps reportée mais finalement rendue presque inévitable pour répondre aux besoins du pays le plus riche du monde en matière de revenu par habitant (environ 130 000 dollars par habitant sur une population totale de 2,6 millions). En effet, suite au long embargo économique et politique imposé par le Quatuor arabe (Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Bahreïn et Égypte) en juin 2017, Doha a procédé à une réorganisation afin de soutenir la croissance économique et d’attirer les investissements étrangers. D’une part, cette démarche vise à accélérer le plan de réformes internes et, d’autre part, à consolider l’image du pays à l’extérieur, malgré le boycott arabe (1).

En conséquence, M. al-Thani a nommé son frère de 30 ans, Abdullah bin Hamad al-Thani, nouvel émir adjoint et président de Qatar Petroleum, le plus grand exportateur mondial de gaz naturel liquéfié. Saad Sherida al-Kaabi, Pdg sortant de Qp, a été promu ministre d’État aux Affaires énergétiques, tout en devenant vice-président de la compagnie pétrolière nationale et en renforçant son image de deus ex machina de la politique énergétique nationale. Le ministre des Affaires étrangères et vice-premier ministre, Cheikh Mohammed bin Abdulrahman al-Thani, a été nommé à la tête de Qia, le fonds souverain qatari, neuvième au monde pour la disponibilité financière (320 milliards de dollars de budget), qui détient des participations dans des entreprises telles que Rosneft, Barclays et Volkswagen. Ali bin Ahmed al-Kuwari, ancien Pdg de la Qatar National Bank (Qnb) – un autre géant national et la plus grande institution financière du Moyen-Orient – a été nommé ministre du Commerce et de l’Industrie, avec un siège au conseil de Qia. D’autres changements importants ont touché les ministères de la Justice, des Municipalités et du Travail, qui verront les promotions respectives d’Issa bin Saad al Jafali al-Nuaimi, d’Abdullah bin Abdulaziz bin Abdulaziz bin Turki al-Subaie, qui était également chargé de superviser le travail et l’organisation de la prochaine Coupe du Monde FIFA 2022, et de Youssef Bin Mohammed al Othman Fakhro. En outre, al-Thani a publié une décision sur la restructuration des conseils d’État du Qp et de la Qia. Outre le remaniement gouvernemental et d’importantes nominations dans des entreprises publiques, l’Émir a pris un certain nombre de mesures concernant la création d’un Conseil national du tourisme, d’une autorité de planification et de statistique et la nomination du conseil d’administration de l’Autorité des marchés financiers du Qatar (3).

Le remaniement de gouvernement est le deuxième depuis début 2016 et le premier de la crise intra-Golfe qui a affecté si largement les membres du Conseil de coopération du Golfe (Ccg). Aussi important que ce soit d’un point de vue régional, cet événement ne marque pas une transformation majeure des stratégies politiques du pays. En effet, le choix de l’émir al-Thani est une démonstration de force qui témoigne d’une certaine résilience du petit émirat du Golfe aux troubles régionaux et à l’embargo subi, qui n’a pas réussi à nuire au Qatar ni à déclencher son isolement diplomatique, et ce surtout grâce à l’aide et au soutien de la Turquie, principal partenaire du Qatar au Moyen-Orient (4).

Cependant, à l’intérieur du pays, ces décisions peuvent être d’une importance majeure pour son développement futur, et ce pour au moins deux raisons : d’une part, les choix de l’Émir sont guidés par une volonté réformiste, mais visent surtout à renforcer le système politique, économique et productif national en guidant un processus de professionnalisation et de modernisation des structures qui ont permis le succès du « modèle Qatar » à ce jour ; d’autre part, la décision d’introduire un mélange de jeunes leaders établis répond au besoin de créer le bon mélange de personnalités hautement compétentes et des personnalités plus responsables et susceptibles de donner une impulsion au pouvoir qatari (2).

La décision de renouveler la bureaucratie nationale pourrait également avoir un effet au niveau régional, en particulier en ce qui concerne les monarchies arabes voisines du Golfe. L’embargo n’a pas produit les résultats escomptés de Riyad et d’Abou Dhabi et les difficultés qui se font de plus en plus jour sur les différents fronts régionaux exigent des réponses adéquates aux difficultés de l’époque. En effet, l’échec de la volonté arabe de mettre le Qatar à genoux pourrait contraindre le “Quartet” à revoir ses positions, ce qui inciterait les parties à accorder à Doha des ouvertures, quoique modérées, sur certaines questions d’importance stratégique. Par exemple l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte pourraient trouver utile la position de Doha dans le dossier de Gaza, où le pays a montré ces dernières années de grands leviers politiques et économiques dans le dialogue avec le Hamas. Une décision allant dans ce sens pourrait débloquer d’autres situations politiques directement liées, telles que le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, ou affecter d’autres questions plus isolées mais tout aussi importantes, telles que la reconstruction de la bande de Gaza financée par le Qatar et relevant des discussions sur la sécurité entre l’Égypte, Israël et le Hamas (5).

Perspectives :

  • Avec toute l’attention médiatique centrée sur l’affaire Khashoggi et l’Arabie saoudite, le Qatar tente d’exploiter à son avantage le contexte régional incertain et les faiblesses de ses concurrents du Golfe pour faire face à ses propres affaires internes et aux problèmes urgents, d’une certaine manière systémiques, que l’embargo a mis à l’épreuve mais qui ne peuvent mettre le pays à genoux. Néanmoins, les réformes et les décisions prises seront utiles pour renforcer le modèle politique qatari dans le pays.
  • Si le remaniement du Qatar réussit à moyen terme, le poids politique du Qatar dans la politique du Moyen-Orient augmentera inévitablement, forçant ses anciens alliés du Golfe à briser l’embargo arabe à long terme ou au moins à relancer un dialogue non officiel avec Doha sur certaines questions de coopération régionale nécessaires à la stabilité du Golfe et du Moyen-Orient.

Sources :

  1. Qatar cabinet reshuffle hands key ministries to top CEOs, Al-Jazeera, 4 novembre, 2018.
  2. CAFIERO Giorgio, What’s behind Qatar’s Cabinet shuffle ?, Al-Monitor, 6 novembre, 2018.
  3. Amiri order reshuffles Qatar Cabinet, Gulf Times, 5 novembre, 2018.
  4. Qatar Export’s Revenues Hit a Four-Year High Despite Ongoing Embargo, Middle East Economic Survey (MEES), Volume : 61 – Issue : 44, 2 novembre, 2018.
  5. Report : Egypt, Qatar proposing truce between Israel and Hamas, The Jerusalem Post, 24 mai, 2018.

Giuseppe Dentice