Mascate et Abu Dhabi. Parallèlement à l’affaire Khashoggi, les médias ont accordé une grande importance à la double visite de Benjamin Netanyahou et Miri Regev, respectivement Premier ministre et ministre des Sports et de la Culture d’Israël, en Oman et aux Emirats Arabes Unis (Eau), qui a eu lieu du 26 au 28 octobre. Il est encore trop tôt pour dire si ces voyages auront des conséquences importantes et surtout s’ils définiront de nouvelles stratégies au Moyen-Orient, mais il est bon de souligner qu’il s’agit de deux réunions symboliques et extraordinaires à leur manière car elles ont eu lieu dans des pays avec lesquels Israël n’entretient aucune relation diplomatique officielle, mais seulement des relations non officielles et une coopération en matière de sécurité toujours plus étroite. Des visites qui ont déjà un lourd héritage : le ministre des Affaires étrangères du Sultanat d’Oman, Yussuf bin Alawi bin Abdullah, a déclaré, dès l’étape du 14ème Dialogue de Manama (26-28 octobre), qu’il est “temps d’accepter l’existence d’Israël” dans la région (1). Mais passons à l’ordre du jour.

Le 27 octobre, Netanyahou a visité Mascate et rencontré le sultan Sayyid Qaboos bin Said al-Said. Il s’agissait du premier voyage d’un premier ministre israélien dans le pays arabe depuis 1996. Au cours de ces réunions – auxquelles ont également assisté le chef du Mossad Yossi Cohen, le directeur général du ministère des Affaires étrangères Yuval Rotam, le conseiller pour la sécurité nationale Meir Ben-Shabat, le chef de cabinet du Premier ministre Yoav Horowitz et le conseiller militaire Avi Balot – les deux dirigeants ont discuté des principaux problèmes actuels au Moyen-Orient : du rôle du Golfe dans les négociations avec les Palestiniens pour le soi-disant “accord du siècle” – annoncé à plusieurs reprises mais pas encore officiellement présenté par Trump – à la crise entièrement interne au Conseil de Coopération du Golfe (Ccg) entre l’Arabie saoudite et le Qatar, en passant par les tensions en Syrie et au Yémen. Au cours de la rencontre entre Netanyahou et Qaboos, la question du processus de paix israélo-palestinien a occupé le devant de la scène. Des discussions d’autant plus importantes que, selon les informations de la presse israélienne, quelques jours avant la visite de Netanyahou, les 23 et 24 octobre, le Président de l’Autorité nationale palestinienne (Anp), Abou Mazen, se serait envolé pour l’Oman, accompagné de Jibril Rajub et Hussein a-Sheikh, deux dirigeants du Fatah, et du général Majed Faraj, chef du renseignement de Ramallah. Si la nouvelle était confirmée, il ne serait pas impensable de supposer que l’Oman était investi du rôle de modérateur (5) entre l’Anp et les autorités israéliennes. L’art de la médiation n’est pas nouveau pour Oman qui, dans les années 1980, a réussi à ouvrir un fossé entre les différents adversaires de la guerre Iran-Irak ; un rôle qu’il a repris ces dernières années, avec des fortunes alternatives, dans la diatribe entre les pays du 5+1 et l’Iran lors des discussions sur le programme nucléaire de Téhéran et dans la crise sans fin au Yémen. Tout en admettant le caractère central du discours israélo-palestinien, il est plausible de supposer que l’influence omanaise sur ce dossier est très limitée – d’autres acteurs comme Abu Dhabi et Doha ont des entrées et des influences beaucoup plus ancrées que Mascate – mais elle a probablement servi à préparer le terrain pour le véritable cœur du voyage, l’Iran. Car entretenir de bonnes relations avec la République islamique est un enjeux central pour les stratégies politiques de Mascate, qui influe à terme sur l’ensemble des équilibres au Moyen-Orient. Le voyage du ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammed Javad Zarif, dans la capitale omanaise, le 23 octobre dernier, apparaît ainsi comme capital pour leurs relations. En ce sens, le parcours de Netanyahou aurait pu servir à créer une première voie de dialogue non officiel entre Tel Aviv, Téhéran et les mandataires moyen-orientaux de ce dernier (Hezbollah avant tout), dans laquelle Oman entend maintenir un rôle de médiateur (3).

La visite du ministre Regev à Abou Dhabi fut tout à fait différente, mais tout aussi importante : il a visité la mosquée Cheikh bin Zayed, la plus grande du pays et la troisième du monde musulman après celles de La Mecque et de Médine, puis a assisté au Grand Chelem 2018, un tournoi de judo organisé par la Fédération internationale de judo, où l’athlète israélienne Sagi Muki a remporté l’or dans la catégorie -81kg. Cette visite n’est pas négligeable si l’on considère deux événements : à cette occasion, les organisateurs ont permis que l’hymne israélien soit joué, ce qui est inhabituel dans un pays arabe qui ne reconnaît pas officiellement Israël ; de plus, un autre athlète israélien, Tal Flicker, avait remporté le même tournoi dans sa catégorie un an auparavant, mais n’avait pu accéder au podium. Les événements de Mascate et d’Abu Dhabi sont l’aboutissement d’un processus non officiel et parfois clandestin de diplomatie active sur plusieurs fronts. Par exemple, le ministre israélien des Télécommunications, Ayoub Kara, a participé quelques jours après la visite de Netanyahou en Oman à un forum industriel international à Dubaï (30 octobre), tandis que son collègue du Transport et du renseignement, Yisrael Katz, sera à Mascate pour parler du projet d’une ligne ferroviaire commune entre Israël, la Jordanie et les pays du Golfe. Par ailleurs, selon la presse israélienne, en juin dernier, une réunion secrète s’est tenue à Chypre entre le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, et son homologue qatari, Mohammed bin Abdul Rahman al-Thani, pour discuter de la situation dans la bande de Gaza (4).

Au vu de tout cela, il est difficile de se prononcer après ce week-end de diplomatie parallèle entre Israéliens et pays arabes. Cela signifie que quelque chose est en train de changer non seulement dans l’approche, mais aussi et surtout dans la conscience qu’une normalisation des relations entre Israël et les monarchies du Golfe pourrait avoir des implications importantes pour tout le Moyen-Orient. Cependant, il est inévitable que les parties se posent deux questions fondamentales : dans quelle mesure cette convergence est-elle tactique et dans quelle mesure stratégique ? Qui a le plus à perdre dans une normalisation entre Israéliens et monde arabe ? Dans le premier cas, la question est nécessaire pour comprendre s’il y a quelque chose qui unit les parties au-delà de l’ennemi commun iranien. La convergence d’intérêts dictée par la question iranienne est décisive car elle pourrait faire tomber le voile de duplicité entre Israël et les Arabes du Golfe et ainsi se briser dès le premier inconvénient sérieux. Cette considération ouvre donc la deuxième observation. Une normalisation des relations entre Tel-Aviv et ses partenaires du Golfe représente une grande inconnue, dans laquelle Israël joue, du moins apparemment, cartes sur la table, contrairement à ses homologues qui doivent cacher leurs options, avec tout le poids des conflits et du symbolisme que cette relation imparfaite peut apporter (2).

Perspectives :

  • La tentative de normalisation des relations entre Israël et les pays arabes du Golfe est un processus qui semble irréversible et dans lequel toutes les parties visent beaucoup, chacune avec des intérêts différents, bien sûr. Il devient de plus en plus clair qu’il existe une volonté nette de toutes les parties de voir Israël comme faisant partie du Moyen-Orient et de discuter ensemble de son avenir et de celui de la région.
  • L’invité de marque dans la tentative de rapprochement entre Israéliens et Arabes du Golfe reste l’Arabie Saoudite, pivot fondamental de la stratégie arabe et moyen-orientale et sponsor de l’alliance avec Israël et les États-Unis contre l’Iran. Dans ce contexte, les difficultés rencontrées par Riyad constituent un test important en termes de crédibilité et de fiabilité politique, que Tel-Aviv observe attentivement sous l’angle spécifique de la protection de son intérêt national (6).
  • Si l’Iran est sans aucun doute un élément de cohésion entre les différentes parties, il sera très important d’évaluer l’impact du soi-disant “accord du siècle” dans le processus de paix israélo-palestinien. En effet, les parties arabes ont des positions très différentes et bien qu’il y ait une volonté commune de résoudre l’éternelle question des relations israélo-palestiniennes, trouver un accord sur la marche à suivre est bien plus difficile. De fait, le dossier palestinien risque d’être non seulement le détonateur du futur axe Israël-Ccg, mais aussi un facteur critique dans les tensions du Moyen-Orient contemporain.

Sources :

  1. AHREN Raphael, In dramatic sign of warming ties, Netanyahu makes secret visit to Oman, The Times of Israel, 26 octobre 2018.
  2. DENTICE Giuseppe, Sauditi e Israele : uniti contro l’Iran, divisi dalla Palestina, in Annalisa Perteghella (a cura di), Iran e Arabia Saudita : i fronti della lotta per il Medio Oriente, ISPI Dossier, Istituto per gli Studi di Politica Internazionale (ISPI), 2 mars 2018.
  3. KERSHNER Isabel, Israeli Prime Minister Visits Oman, Offering a Possible Back Channel to Iran, The New York Times, 26 octobre 2018.
  4. LEWIS Ori, Israeli minister fights back tears of joy at Abu Dhabi judo gold, Reuters, 28 octobre 2018.
  5. PAUL Katie, Oman says time to accept Israel in region, offers help for peace, Reuters, 27 octobre 2018.
  6. SHAVIT Eldad & GUZANSKY Yoel, The Khashoggi Affair : Challenging US-Saudi Relations and the Stability of the Kingdom, INSS Insight No. 1100, Institute for National Security Studies, 23 octobre 2018.

Giuseppe Dentice