Bruxelles, Sofia, Strasbourg. Les géants du numérique n’ont pas toujours bonne image en Europe, et les dirigeants européens le leur ont bien fait comprendre la semaine dernière. Lors de la Privacy Conference d’abord (4), les GAFA ont été critiqués – tant par des représentants de l’Union que par des acteurs du secteur eux-mêmes – pour leur usage des données personnelles des internautes. Par ailleurs, la France, l’Allemagne et l’Union ont réitéré leur volonté de taxer efficacement ces Goliath de l’informatique.

C’est d’abord la question de protection des données qui revient sur la table. Du 22 au 26 octobre, la quarantième édition de la Privacy Conference s’est tenue entre Bruxelles et Sofia. Pour la première fois, l’ensemble des acteurs concernés par la question s’est rassemblé : régulateurs européens, essayistes, intellectuels et surtout dirigeants des géants informatiques venus défendre leur cause, notamment après la mise en application du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) en mai 2018. Parmi ceux-ci, le discours de Tim Cook, PDG d’Apple, a jeté un pavé dans la mare : se détachant nettement des autres GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), il a blâmé Google et Facebook – quoique sans les nommer – pour la récolte, l’exploitation et la conservation des données que ces entreprises mettent en œuvre, et qu’il a qualifiées de “surveillance” généralisée à une échelle quasi militaire (1).

Au-delà de cette harangue aux allures de scandale, il faut noter la présence de Margrethe Vestager, Commissaire européenne à la Concurrence depuis 2014. Artisane des condamnations fermes adressées à Facebook pour le rachat de Whatsapp, à Google au sujet de la concurrence déloyale de son produit Google Shopping, et à Apple pour ses mesures d’optimisation fiscale en Irlande, Vestager incarne bien la volonté de la Commission européenne de défaire le monopole des géants du web.

La personne de Vestager permet justement de faire la transition avec l’autre grande menace qui s’est accentuée sur les GAFA cette semaine. Le mardi 23 octobre, la Commissaire a rencontré le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire à Strasbourg (3). Le Maire a ainsi souligné le fait que les GAFA sont taxés à environ 9 pour cent, un taux dérisoire eu égard au niveau d’imposition des entreprises de cette taille. Le ministre français était en parfait accord avec Vestager, et tous deux ont souligné la nécessité de convaincre d’autres États membres rapidement, notamment l’Irlande, qui tient farouchement à son système fiscal favorable aux géants du numérique, et l’Allemagne, qui souligne la nécessité de prendre des mesures au niveau mondial plutôt qu’européen. Le même mardi 23 octobre, le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz, a ainsi appelé à une alliance mondiale permettant d’aboutir à un impôt mondial et empêchant ces acteurs de s’installer dans les paradis fiscaux, objectifs que la plupart des dirigeants européens jugent pour l’heure trop ambitieux (2). La Commission arrivera-t-elle à rallier l’ensemble des États membres à sa cause ?

Perspectives  :

  • 13-14 décembre : Conseil européen au cours duquel sera abordée la question de la taxation des GAFA.
  • Mai 2019 : Un an après la mise en œuvre du RGPD, les évaluations des divers organismes dédiés à sa mise en application permettront d’estimer son effet réel.
  • La mise en place du règlement européen ePrivacy, toujours repoussée, constituera un vrai frein à la forme actuelle de l’économie des données en Europe.

Sources :

  1. BRAUN Elisa, Les régulateurs montrent leurs muscles face aux Gafa, Le Figaro, 24 octobre 2018.
  2. GAFA : l’Allemagne veut une taxe mondiale, Journal de l’Économie, 23 octobre 2018.
  3. La souveraineté économique européenne, on en parle ?, Toute l’Europe, 23 octobre 2018.
  4. Site web de la 40e édition de la Privacy Conference, www.privacyconference2018.org, consulté le 26 octobre 2018.

Olivier Lenoir