Derna. Le 8 octobre, les forces de l’Armée nationale libyenne (LNA) dirigées par le général Khalifa Haftar ont arrêté Hisham Ali al-Ashmawy, ancien soldat égyptien accusé de terrorisme et l’un des hommes les plus recherchés en Afrique du Nord, près de Derna en Cyrène (1). Après la nouvelle de l’arrestation, immédiatement confirmée par une source militaire égyptienne restée anonyme, le Caire a immédiatement effectué une demande d’extradition auprès des autorités de Benghazi. L’arrestation d’Ashmawy est l’un des principaux succès politiques du gouvernement du Caire, qui s’est engagé depuis longtemps dans une dure campagne antiterroriste qui a fait des milliers de victimes civiles, militaires et terroristes.

Ashmawy a été condamné à mort par contumace en Égypte en 2017 pour avoir orchestré des embuscades contre la police des frontières dans l’oasis d’al-Farafra (juillet-août 2014), une zone proche de la frontière avec la Libye dans le désert occidental égyptien, et pour être responsable de la tentative d’assassinat manquée, en septembre 2013, sur Mohammed Ibrahim, ministre de l’intérieur. L’arrestation d’Ashmawy est importante : l’ancien soldat était l’un des hommes les plus recherchés en Égypte et en Afrique du Nord, avec une histoire personnelle très spéciale et des liens importants avec Al-Qaïda. Démobilisé en 2009 et finalement expulsé de l’armée en 2011 en raison de ses positions religieuses radicales, cet ancien officier des forces spéciales aux grandes capacités de fabrication d’explosifs avait disparu jusqu’à sa réapparition en 2012 d’abord en Syrie, où il aurait affiné sa formation, puis en Égypte en tant que membre d’Ansar Bayt al-Maqdis – la cellule terroriste dont la fusion avec d’autres groupuscules a donné naissance à Wilayat Sinai (Ws), la branche locale de l’État islamique -, organisation responsable de nombreux attentats et attaques contre les autorités locales et les forces de sécurité durant une période allant de juillet 2013 à octobre 2014. Il s’agit notamment des attaques organisées directement par Ashmawy dans le désert occidental à la tête d’une de ses brigades, qui avaient causé la mort de plus de 50 personnes. Après l’affiliation d’Ansar Bayt al-Maqdis à l’État islamique (novembre 2014), les anciens militaires, en désaccord avec le choix des dirigeants du groupe, ont fondé leur propre organisation, Jamaat al-Murabitun, fidèle à Al-Qaïda et apparemment sans lien avec la formation islamiste du même nom dirigée par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar. Ce nouveau groupe, avec d’autres cellules hors-la-loi (comme Ansar al-Islam, toujours dirigé par Ashmawy), devient un protagoniste du panorama terroriste nord-africain, principalement dans les zones frontalières peu habitées entre l’Égypte et la Libye, pour lancer des attaques uniques ou combinées avec d’autres groupes, tant en Cyrène qu’en Égypte, ainsi que pour essayer de renforcer un vaste réseau terroriste avec Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) (3).

Bien que l’arrestation d’Ashmawy ait une énorme signification politique pour les autorités égyptiennes, cet épisode n’indique peut-être pas une nouvelle étape dans la lutte acharnée contre le terrorisme dans le pays, proclamée par le président Abdel Fattah al-Sisi en février 2018. En effet, bien que les groupes affiliés ou dirigés directement par Ashmawy représentent une menace réelle pour la sécurité nationale égyptienne, ils n’ont pas encore été impliqués dans des attaques à grande échelle en 2018. Son arrestation pourrait donc donner un nouvel élan à la campagne antiterroriste en Égypte, bien qu’il soit bon de préciser que la principale menace dans le pays reste l’État islamique, à son tour, également combattu par Ashmawy en Libye et en Egypte pour des motivations idéologiques différentes (4).

En tout état de cause, dans les heures qui ont suivi l’arrestation, un communiqué de presse publié par l’armée égyptienne faisait état de nouvelles captures et de meurtres de terroristes (une cinquantaine) dans le nord du Sinaï dans le cadre de l’opération globale Sinaï 2018, lancée par le gouvernement en février 2018, l’importante opération anti-terroriste qui a pour but d’éliminer définitivement la menace du sol égyptien (5). Bien que les opérations militaires réduisent le nombre d’attaques et améliorent au moins partiellement la réputation de l’Égypte en tant que destination touristique (2) et destination des investissements étrangers, le nord du Sinaï connaît une nouvelle saison de conditions humanitaires précaires et de stabilisation insuffisante. Le succès de cette opération sera également crucial pour le Président, qui continue de bénéficier d’un large soutien populaire, à cause des résultats partiellement positifs obtenus sur le front de la sécurité, en particulier en Égypte continentale, et de la reprise économique modérée, qui représentent en fait les plus grands succès du premier mandat al-Sisi.

Perspectives :

  • L’arrestation d’Ashmawy par les hommes de Haftar pourrait conduire à un renforcement de la coopération sécuritaire et anti-terroriste entre la Lna et l’armée égyptienne, relançant également l’alliance politique entre les deux hommes forts, Haftar et al-Sisi, partiellement diminuée ces derniers mois à cause de certaines initiatives du général Libyen ayant provoqué la colère du dominus du Caire. Ce renforcement pourrait avoir des conséquences positives tant sur le contexte de la guerre en Libye que sur la sécurité des frontières en Egypte.
  • L’impact émotionnel d’une telle arrestation pourrait toutefois être limité en raison de la force encore importante des groupes liés à l’État islamique. Les résultats positifs obtenus à ce jour dans le Sinaï ne constituent pas des tournants essentiels, car il n’a pas été possible de rompre le lien de loyauté existant entre les groupes bédouins (la majorité absolue des résidents du Sinaï) et les groupes terroristes, qui ont su exploiter à leur avantage le sentiment anti-gouvernemental et la frustration pour s’assurer la confiance des populations locales. Dans un certain sens, la rupture de ce lien représenterait un véritable changement de cap qui garantirait davantage d’options militaires et politiques pour vaincre l’État islamique sur ses terres. Par conséquent, les initiatives politiques prises par le gouvernement ces derniers mois vont dans la bonne direction pour lutter contre la radicalisation et assurer la présence légitime de l’État, ainsi que pour rétablir le monopole légitime du recours à la force par les autorités centrales égyptiennes.

Sources :

  1. AL-WARFALLI Ayman, East Libyan forces arrest major militant suspect wanted by Egypt, Reuters, 8 octobre 2018.
  2. DENTICE Giuseppe, Egitto, in Valeria Talbot (a cura di), Focus Mediterraneo Allargato n.8, rédigé par l’ISPI pour l’Observatoire de Politique Internationale du Parlement italien et par le MAECI, septembre 2018.
  3. JOSCELYN Thomas, Former Egyptian officer turned al Qaeda loyalist reportedly captured in Libya, Long War Journal, 8 octobre 2018.
  4. RAGHAVAN Sudarsan, Libyan forces capture Egypt’s most wanted militant, The Washington Post, 8 octobre 2018.
  5. Egyptian military kills 52 militants in Sinai : statement, Reuters, 8 octobre 2018.

Giuseppe Dentice