Riyad. L’éternité retrouve les affres de la finitude sous le soleil saoudien. Le 27 août, le royaume saoudien a annoncé qu’il formalisait sa relation avec la compagnie pétrolière nationale, et première compagnie pétrolière mondiale de loin, Saudi Aramco, qu’il possède à 100 pour cent, en transformant la concession perpétuelle qu’il lui accordait en une concession à 40 ans, avec option de renouvellement (3).

Cette mesure s’ajoute aux multiples préparatifs à l’entrée en bourse de Saudi Aramco, que Riyad ne cesse de repousser. Annoncée dès 2016, l’ouverture de 5 pour cent du capital de la compagnie à des investisseurs étrangers, prévue pour 2018, a été repoussée sine die par le royaume saoudien, au point que les observateurs y voient un renoncement, ce que Riyad a toutefois démenti (4). Le royaume est en effet inquiet pour l’avenir du pétrole, et cherche à tout prix à diversifier les activités de Saudi Aramco. En témoignent les rapprochements récents de Saudi Aramco avec Sabic (Saudi Basic Industries Corporation), numéro quatre mondial de la pétrochimie (5). Les revenus récoltés par l’introduction en Bourse de Saudi Aramco serviraient ainsi à alimenter le Fonds d’investissement public saoudien, qui financerait alors des activités non-pétrolières, dans le cadre du plan Vision 2030, permettant la création d’emplois notamment dans les technologies et les services.

Là où le bât blesse, c’est que les exigences de transparence liées au marché boursier ne sont pas remplies par la compagnie, et surtout que les estimations du royaume saoudien quant à la valeur de Saudi Aramco semblent fantasmagoriques aux yeux de la plupart des experts. Riyad souhaite en effet que la société soit évaluée à deux mille milliards de dollars, c’est-à-dire deux fois plus que l’entreprise qui caracole en tête des capitalisations boursières, Apple (2). 5 pour cent de deux mille milliards, ce seraient donc 100 milliards de dollars pour irriguer l’économie extra-pétrolière de l’Arabie saoudite, jugée essentielle.

Le passage de l’éternité à une durée de quarante ans sera-t-il alors la solution aux ambitions boursières de Riyad ? S’il y a effectivement une forte corrélation entre la durée de la concession et les revenus tirés du pétrole – plus la concession est courte, plus la compagnie pétrolière s’acharne à la faire fructifier rapidement pour en générer le plus grand chiffre d’affaires (3) – cela suffira-t-il à rassurer les investisseurs quant au potentiel de Saudi Aramco ? À ce sujet, les experts semblent dans leur écrasante majorité fort sceptiques, arguant que les quarante ans sont déjà bien plus longs que les concessions habituellement attribuées aux compagnies pétrolières (vingt ans en moyenne), et qu’il ne s’agit que d’une mesure sans grand effet sur la nature même de l’activité de Saudi Aramco, par essence non pérenne, et sur ses capacités de développement à moyen terme (1). De quoi alimenter davantage les thèses selon lesquelles la compagnie n’entrera finalement jamais en bourse.

Perspectives :

  • 2019 : après l’annonce de la suspension de l’entrée en bourse de Saudi Aramco, initialement prévue pour 2018, plusieurs experts pensaient qu’elle pourrait avoir finalement lieu l’année suivante. Ils sont cependant rares, l’idée selon laquelle la compagnie restera ad vitam aeternam un monopole d’État ayant fait son chemin depuis. Qu’en sera-t-il ?
  • 2030 : les objectifs de diversification de l’économie saoudienne et de promotion de l’emploi seront-ils atteints ?

Sources :

  1. BLAS Javier, Saudi Arabia Grants Aramco 40-Year Oil Concession, Bloomberg.com, 27 août 2018.
  2. ESCANDE Philippe, Saudi Aramco : “L’éternité ou 40 ans, quelle différence ?”, Le Monde, 28 août 2018.
  3. RAVAL Anjli, Saudi Aramco loses its ‘in perpetuity’ oil and gas rights, Financial Times, 27 août 2018.
  4. L’Arabie saoudite dément une annulation du projet d’IPO de Saudi Aramco, Reuters, 23 août 2018.
  5. Saudi Aramco, Crude oil to chemicals project moves forward, 22 juillet 2018.