Berlin. La dépréciation brutale de la lire turque sonne comme un rappel à la dure réalité économique pour le président Erdoğan, mais elle menace d’installer durablement la crise économique dans un pays habitué à la croissance rapide de son Pib (7,05 pour cent en 2017) (7). En 2017 la Turquie était le 16e partenaire commercial extérieur de l’Allemagne, autant pour ses exportations (21,5 milliards d’euros) que pour les importations (16,2 milliards d’euros) (1). Historiquement très bien représentées en Turquie, les entreprises allemandes qui produisent pour le marché intérieur s’apprêtent à encaisser une baisse significative du pouvoir d’achat des ménages et des sociétés (6). C’est le cas de la Deutsche Post, de Daimler-Benz, de HeidelbergCement, qui a fourni les matériaux pour la construction du troisième pont sur le Bosphore inauguré en 2016, ou encore de l’entreprise de détergents et de produits d’entretien domestiques Henkel. Certes, les quelques entreprises qui utilisent seulement la Turquie comme lieu de production pourraient voir baisser à court terme leurs coûts de production en euros ou en dollars. Mis à part une ruée conjoncturelle sur les boutiques de luxe et les biens fonciers par des acheteurs étrangers au pouvoir d’achat subitement gonflé, la crise de la lire turque n’a déclenché ni euphorie ni panique en Allemagne pour le moment, bien que les conséquences à venir soient connues.

La présidente du Spd Andrea Nahles est allée jusqu’à proposer un plan de soutien sans conditions à la Turquie (2), mais sa mesure n’a pas vraiment été prise au sérieux, même au sein du parti qu’elle dirige. La mesure a été critiquée par la présidente du groupe parlementaire germano-turc (Deutsch-türkischer Parlamentariergruppe), Sevim Dağdelen (Die Linke) : “il est monstrueux que l’argent du contribuable allemand puisse servir à stabiliser le régime d’Erdoğan” (3). L’ancien président des Verts, Cem Özdemir, a refusé de faire un “chèque en blanc” à la Turquie (5). Sans rejeter le principe d’une aide, il affirme que “le gouvernement devrait utiliser cette fenêtre de tir pour faire pression en faveur de l’État de droit”.

Le mix énergétique de la Turquie, donnant une large place au pétrole, au gaz naturel et au charbon, est aussi très dépendant des importations (8). La production pétrolière du pays ne couvre que 7 pour cent de sa consommation. La Turquie a beaucoup investi dans les énergies renouvelables, pour alléger sa dépendance aux hydrocarbures russes. Mais “le paiement de l’alimentation énergétique du pays est basé sur le dollar” comme l’indique le fournisseur d’énergie allemand Enbw dans Die Welt. La aussi certains projets pourraient être annulés si la crise se prolonge.

La politique à adopter à l’égard de la Turquie sera donc l’un des thèmes majeurs de la rentrée politique allemande, alors que la prochaine visite d’État d’Erdoğan est dénoncée comme une “victoire de la propagande turque” (4) par le chef des Libéraux, Christian Lindner.

Perspectives :

  • 28-29 septembre : visite d’Etat du président turc Recep Tayyip Erdoğan à Berlin.

Sources :

  1. Außenhandel, Statistisches Bundesamt (Destatis), 2018.
  2. DPA, “Wirtschaftskrise in der Türkei – ‘Das kann uns in Deutschland nicht egal sein’”, Handelsblatt, 22/08/2018.
  3. DPA, Deutsche Türkeipolitik : Dağdelen nennt Nahles-Vorschlag ‘ungeheuerlich’, Süddeutsche Zeitung 21/08/2018.
  4. Höh/sev/dpa/AFP, “FDP-Chef Lindner nennt Staatsbesuch ‘Propagandasieg’”, Der Spiegel, 14/08/2018.
  5. MARSCHALL, Birgit, “Interview mit Cem Özdemir : ‘Nahles gibt Erdogan den Blankoscheck’”, Rheinische Post, 23/08/2018.
  6. SOMMERFELD, Felix, “Deutsche Konzerne fürchten den Lira-Absturz“, Der Spiegel, 15/08/2018.
  7. Statista, 2018.
  8. WETZLER, Daniel, Energie-Rechnung wird zur schweren Last für die Türkei, Die Welt 21/08/2018.