Gênes. L’effondrement du pont Morandi à Gênes, qui a causé une quarantaine de morts et une série de dommages graves, même s’il est encore difficile à quantifier, à l’ensemble du trafic routier dans le Nord-Ouest, a soulevé des doutes supplémentaires quant à l’état de nombreuses infrastructures stratégiques construites dans les années d’après-guerre en Italie. Pourtant, les partis au pouvoir ont refusé d’envisager la responsabilité de l’État, pointant du doigt des coupables idéaux qui correspondent parfaitement au discours politique qu’ils ont tenu jusqu’alors. En particulier, les déclarations du ministre de l’Intérieur et dirigeant de la Lega, Matteo Salvini, ont fait sensation car il a accusé l’Union d’être responsable de la catastrophe en raison de contraintes budgétaires, ce qui empêcherait l’engagement dans l’entretien et la reconstruction des infrastructures (7).

L’accusation de Salvini semble totalement infondée pour un certain nombre de raisons, comme la Commission européenne s’est empressée de le confirmer (3). Tout d’abord, bien que les budgets nationaux soient examinés et négociés avec Bruxelles, l’Union n’est pas directement responsable des autoroutes et des infrastructures de transport, pour lesquelles les allocations de dépenses restent sous le contrôle des États membres. En outre, il n’existe toujours pas de système européen de surveillance des infrastructures ; l’action européenne Tu 1406, menée par la Coopération européenne en science et technologie (Cost), vise précisément à combler cette lacune (1).

Néanmoins, la Commission conserve un rôle d’orientation et d' »encouragement », dans lequel la politique d’infrastructure conserve une certaine importance dans les priorités de l’Union : à travers le Plan Juncker, approuvé en 2014 et avec un objectif de 500 milliards jusqu’en 2020, l’Union a fait pression sur les gouvernements pour renouveler les infrastructures et mobiliser les investissements, comme en témoignent les recommandations du Conseil européen de mai 2018 à l’Italie, dans lesquelles Bruxelles souligne l’importance de « stimuler la recherche, l’innovation, les compétences numériques et les infrastructures par des investissements ciblés » (4). La Commission elle-même confirme que pour l’Italie, dans le cadre du Plan Juncker, « 2,5 milliards d’euros sur la période 2014-2020 dans les fonds structurels et d’investissement européens pour les infrastructures de réseau, telles que les routes ou les chemins de fer » ont été alloués dans le cadre du projet de corridor Ten-T Rhin-Alpes, dont Gênes est le tronçon sud (2) ; enfin, il faut ajouter qu’en avril dernier, après une longue série de reports, l’Union a donné le feu vert à un plan d’investissement de 10 milliards d’euros dans les infrastructures (6).

L’Union a donc une fois de plus été prise comme bouc émissaire par un gouvernement populiste en Europe, alors que, selon les mots de Bloomberg, « l’Italie devrait se tourner vers elle-même » (5). En effet, l’effondrement du pont de Morandi, qui n’est que le dernier et le plus grave cas de défaillance générale d’une infrastructure dans le pays, semble dépendre d’une série de problèmes passés : depuis le manque d’entretien et de reconstruction d’infrastructures vieilles d’une cinquantaine d’années, jusqu’au système de veto croisé qui a souvent rendu impossible ou très lent la construction de nouvelles infrastructures – comme en témoigne la Tav ou la Gronda elle-même, le projet d’un nouveau carrefour pour Gênes arrêté depuis 1984- en passant par un système de concessions aux particuliers libéré des règles du marché et en dehors des appels d’offres. Là encore, la Commission s’est fait entendre, dénonçant l’Italie en avril 2017 pour infraction aux règles de concurrence et appelant à un plus grand respect du droit européen (3). Pourtant, des années de discours populistes l’ont démontré : lorsqu’il y a quelqu’un à blâmer, l’Union est toujours en première ligne.

Perspectives :

  • La proposition du gouvernement de retirer la concession à Atlantia, la société privée qui gère le réseau autoroutier, a entraîné l’effondrement de la société à 22,26 % en bourse le 16 août. Cette menace ouvre la possibilité, d’une part, d’une nationalisation et, d’autre part, d’un long contentieux juridique, étant donné que la concession venait d’être renouvelée jusqu’en 2042, suite à la confirmation des 10 milliards d’investissements réalisés en avril.
  • L’affaire a également soulevé des inquiétudes quant à la résilience des infrastructures dans d’autres pays européens. En Allemagne, en particulier, où un pont sur huit a besoin d’entretien, une étude a montré que les municipalités allemandes auraient besoin de 159 millions d’euros pour investir dans les infrastructures.

Sources

  1. CASAS Joan R & CAMPOS E MATOS Jose, Standardization of quality control plans for highway bridges in Europe : COST Action TU 1406, IOP Conf. Ser. : Mater. Sci. Eng. 236 012051, 2017.
  2. Commission européenne, Rhine-Alpine Corridor, Infrastructure-TEN-T- Connecting Europe, avril 2018.
  3. Commission européenne, Concessioni autostradali : la Commissione deferisce l’Italia alla Corte di Giustizia dell’Unione europea, 17 mai 2017.
  4. Commission européenne, COUNCIL RECOMMENDATION on the 2018 National Reform Programme of Italy and delivering a Council opinion on the 2018 Stability Programme of Italy, 23 mai 2018.
  5. HAYDEN Jones, EU Says It Won’t Engage in ‘Finger-Pointing’ in Genoa Disaster, Bloomberg, 15 août 2018.
  6. Maresca : “I vantaggi del via libera arrivato da Bruxelles”, La Repubblica- Affari & Finanza, 16 avril 2018.
  7. MAGNANI Alberto, Perché l’Unione europea non c’entra nulla con la tragedia di Genova, Il Sole 24 Ore, 15 août 2018.

Giovanni Collot