Al-Hodeïda. Le 25 juillet dernier, au nord du détroit de Bab el-Mandeb dans la mer Rouge, deux pétroliers appartenant à la compagnie saoudienne Aramco ont été attaqués par des roquettes tirées par des rebelles Houthi dans les eaux yéménites à Hodeida (5). Malgré le fait qu’il n’y a pas eu de dommages importants aux biens ou aux personnes, le porte-parole de la coalition saoudienne impliquée dans le conflit yéménite, le colonel Turki al-Maliki, a déclaré que l’attaque a échoué en raison de l’intervention opportune de la flotte de la coalition. Quelques heures après l’événement, le gouvernement saoudien a annoncé la cessation de toute activité maritime civile dans la zone de Bab el-Mandeb par crainte de nouvelles actions et/ou représailles plus dangereuses qui pourraient favoriser une nouvelle escalade militaire. En outre, le ministre saoudien de l’énergie, Khalid al-Falih, a déclaré que son pays arrêtera immédiatement les expéditions de pétrole à travers le détroit et que cela durera jusqu’au retour d’un trafic maritime sécurisé dans la région (2).

Cependant, cet épisode n’est pas nouveau. Le 10 mai, un navire commercial turc transportant du grain a été touché par une fusée, prétendument lancée par une faction Houthi (3). La tendance émergente est aux attaques sur des navires civiles et non plus militaires, ce qui fut déjà le cas en 2016 et 2017 avec les attaques menées également par les Houthi.

La zone d’Hodeida, près du détroit de Bab el-Mandeb, point d’étranglement situé entre le Yémen, Djibouti et l’Erythrée, est un carrefour géostratégique de première importance. Le passage maritime entre l’Asie et l’Afrique, reliant la mer Rouge au golfe d’Aden, voit passer chaque année un grand nombre de navires marchands, ainsi qu’un afflux important de conteneurs pétroliers. Bien que moins fréquenté que son voisin et plus célèbre détroit d’Ormuz, le Bab el-Mandeb a un trafic quotidien de 4,8 millions de barils de pétrole, soit une part de marché d’un peu moins de 8 % à l’échelle mondiale. Ce n’est donc pas un hasard si cette partie de la mer représente une valeur capitale dans la navigation et l’économie des pays limitrophes ou les plus proches de la zone (1).

Selon de nombreux experts, l’annonce saoudienne pourrait conduire à une hausse du prix du baril de pétrole, qui a déjà légèrement augmenté sur les marchés boursiers quelques heures après l’annonce, et à un retard considérable dans les livraisons saoudiennes de pétrole brut, ce qui allongerait les temps de navigation. Cela aurait à son tour un impact très plausible sur l’offre en Europe et aux États-Unis – les principaux marchés de l’or noir saoudien – et plus généralement sur les économies mondiales.

L’attaque a été fermement condamnée par l’ensemble de la communauté internationale et même par Israël qui, poursuivant dans le sillage déjà initié par l’accord sur la puissance nucléaire iranienne de juillet 2015, a indirectement offert un accès à ses côtes à au quasi-allié saoudien, accusant l’Iran d’être à l’origine de l’attaque. Les Émirats arabes unis (Eau) et le Koweït, monarchies politiquement très proches de l’Arabie saoudite mais non directement impliquées dans ce conflit maritime, envisagent également des actions similaires, dans une tentative d’exploiter le cas en le rendant directement lié à la crise en cours au Yémen depuis 2015 (4).

Perspectives :

  • Les tensions actuelles dans le Bab el-Mandeb répondent à deux logiques étroitement parallèles : la crise au Yémen et les frictions constantes entre l’axe sunnite avec Israël contre l’Iran. Ce nouveau climat de tension survient au moment où des rumeurs font état d’éventuelles fermetures du détroit d’Ormuz par la marine iranienne, qui est engagée, au moins officiellement, dans des exercices militaires et navals dans la région. Le détroit d’Ormuz est crucial pour la marine marchande et la logistique, car il abrite environ 15 % de la production mondiale de pétrole et de gaz. Néanmoins, le contrôle ou le blocage de l’un ou des deux points d’étranglement en question, Bab el-Mandeb et Hormuz, crée un profond déséquilibre politique et commercial, puisque les deux corridors vivent dans une condition d’interdépendance mutuelle garantie par la géographie et la géopolitique.
  • Les déclarations de l’Arabie Saoudite et d’Israël et les actions des Émirats arabes unis semblent une tentative du front anti-iranien de créer un cas ad hoc – pas nécessairement un cas de guerre ou pouvant y aboutir – pour frapper encore plus fort la République islamique, accusée depuis longtemps de soutenir politiquement, économiquement et militairement les rebelles Houthi au Yémen.
  • Les actions de l’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis et d’Israël visent à créer un isolement stratégique de l’Iran dans la zone située entre la Corne de l’Afrique et la péninsule du Golfe, au niveau de la terre et de la mer. En effet, ces pays sont ceux qui sont les plus impliqués dans le défi de contenir les ambitions de l’Iran au Moyen-Orient et parmi ceux qui sont économiquement et commercialement les plus intéressés par le développement de nouvelles synergies au niveau géostratégique dans la mer Rouge, dont le succès de leurs stratégies de diversification économique peut également dépendre.

Sources :

  1. ARDEMAGNI Eleonora, Gulf Powers : Maritime Rivalry in the Western Indian Ocean, Italian Institute for International Political Studies (ISPI), ISPI Analysis 321, avril 13, 2018.
  2. EL-GAMAL Rania, Saudi Arabia halts oil exports in Red Sea lane after Houthi attacks, Reuters, 25 juillet 2018.
  3. Explosion damages vessel carrying wheat to Yemen, Reuters, 11 mai 2018.
  4. RISING David, Oil prices spike after Saudi halts shipments after attack, Associated Press, 26 juillet 2018.
  5. Saudi Arabia, Yemen : What’s Next for Red Sea Oil Shipments After Houthi Attack, Stratfor, 25 juillet 2018.