Ankara – La Turquie est membre de l’Otan depuis 1952 et représente la deuxième armée de l’alliance en terme d’effectifs militaires. Cependant, depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, son armée a été fortement affaiblie : un tiers de ses généraux a été limogé et les purges dans l’administration ont été massives. Si la question de l’état de droit peut être considérée comme secondaire pour l’Otan, la Turquie suscitait beaucoup d’interrogations et d’inquiétudes tant sur le plan de l’état de la démocratie que sur les orientations internationales prises par le gouvernement. Récemment réélu à la tête du pays, Recep Tayyip Erdoğan (accompagné de son ministre de la défense Hulusi Akar, du ministre des affaires étrangères, Mevlut Çavuşoğlu et du très influent porte parole de la présidence, Ibrahim Kalın), s’est présenté lors du sommet comme un allié stable. Et malgré les revirements tactiques de ces dernières années, notamment le rapprochement et la normalisation des relations avec la Russie, qui n’ont pas de quoi rassurer une alliance atlantique en quête de visibilité stratégique, l’ancrage de la Turquie dans l’Otan ne semble plus être remis en cause (4).

La Turquie est finalement en quête d’autonomie stratégique. Dans ce contexte, le choix d’acheter à la Russie des batteries de missiles antiaériennes S-400 en est un bon exemple. Lors du sommet, Mevlüt Çavuşoğlu se justifie en déclarant que « c’était un besoin urgent et comme nous n’avons pas pu répondre à ce besoin à travers nos alliés, nous les avons acheté à la Russie car c’est elle qui a fourni la meilleure offre » (1). Toutefois, peu de critiques sont apparues ces 11 et 12 juillet alors même que la menace du spectre russe continue de planer sur les réunions de l’Otan (2). Avec le rapprochement diplomatique, économique et maintenant militaire entre Ankara et Moscou, il devient incontestable que la Turquie n’est plus totalement dépendante de l’Otan. Elle devient plus autonome tout en prenant le risque de creuser le fossé stratégique entre alliés.

Pourtant, entre l’Otan et la Turquie l’interdépendance reste présente. Sur le plan stratégique et militaire la Turquie est une alliée incontournable et indispensable. De son côté, déjà rejetée par l’Union Européenne, Ankara ne peut pas se permettre de se faire exclure de l’alliance militaire. Sans les occidentaux, elle ne pourra faire face à la Russie ni disposer d’un relatif soutient militaire dans sa lutte contre le terrorisme. À ce titre, la sécurisation de sa frontière de plus de 800 km avec la Syrie représente un enjeu sécuritaire international majeur pour la la lutte contre le terrorisme. À cet égard, l’article 23 de la déclaration finale du sommet prévoit des mesures pour permettre à la Turquie d’assurer sa sécurité (3).

L’Alliance atlantique est également dépendante de la Turquie car cette dernière représente un pivot stratégique idéal. En effet, outre les enjeux de la participation financière chère à Donald Trump, les sujets qui préoccupent vraiment l’Otan sont la Russie et l’embrasement du Moyen Orient. De plus, par la Turquie, seule puissance musulmane de l’Otan, l’alliance dispose d’une base militaire à Incirlik, dans le Sud du pays et donc d’une ouverture sur le Moyen Orient.

Le rapprochement turco-russe n’est finalement pas un changement de paradigme de la politique étrangère turque qui reste ancrée à l’Ouest pour des raisons économiques et militaires. En revanche les occidentaux doivent comprendre qu’Ankara est en quête d’autonomie stratégique et de marge de manoeuvre, notamment pour face à l’urgence de la crise syrienne, pour assurer sa sécurité à la frontière et pour acquérir un statut de puissance régionale.

Perspectives :

  • La question des contributions financières des États membres de l’alliance ayant occupé une place prédominante lors de ce sommet, le président turc a privilégié les rencontres bilatérales, comme il a pu le faire avec Angela Merkel, Emmanuel Macron ou encore Giuseppe Conte.
  • Signe d’un renouveau de la coopération entre les États-Unis et la Turquie, à la mi-juin, et après plusieurs mois de tensions, ces deux pays ont validé un accord militaire pour le contrôle des abords de la ville syrienne de Manbij. Après plusieurs interventions militaires et notamment avec la bataille d’Afrin, les Turcs ont fait la démonstration qu’ils étaient prêts à intervenir sur le sol syrien pour empêcher l’implantation territoriale du PYD. Manbij était annoncée comme le prochain objectif et, afin de s’assurer un rôle dans le conflit syrien, les États-Unis qui soutiennent les forces kurdes du PYD dans le Nord de la Syrie, ont dû faire des concessions et négocier avec les turcs les conditions de l’avancée en cours vers cette ville.

Sources :

  1. Dışişleri Bakanı Çavuşoğlu’ndan S-400 açıklaması, Agence Anadolu, 11/07/2018.
  2. OTAN, Brussels Summit Declaration, 11/07/2018.
  3. OTAN, Brussels Summit Declaration, 11/07/2018. Art. 23 “Assurance measures continue to provide the fundamental baseline requirement for assurance and deterrence. In addition, tailored assurance measures for Turkey to respond to the growing security challenges from the south contribute to the security of the Alliance as a whole, and will be fully implemented. We have increased the strength of the NATO Response Force, and the Very High Readiness Joint Task Force (VJTF) is ready to deploy on short notice”.
  4. Erdogan faces challenge of repairing ties with NATO, The Arab Weekly, 08/07/2018.