Tachkent, Ankara. Les langues turques sont parlées, bien qu’elles ne soient pas majoritaires, des rives arctiques de la Sibérie à l’Anatolie en passant par l’Asie centrale. Une étendue si vaste comprend de nombreux pays et différents peuples, la plupart étant issus de l’ex-Union soviétique. Depuis leur accession à l’indépendance, la Turquie cherche à jouer un rôle central dans les pays turcophones, insinuant qu’elle pourrait servir de « grande sœur » à ces pays d’Asie centrale issus de l’effondrement de l’Union soviétique. Mais l’offre n’enchantait pas ces pays qui venaient d’échapper au joug de Moscou. Et le leader des détracteurs de l’attitude turque était l’Ouzbékistan.

Avec un président ouzbek, Islam Karimov, intraitable sur la question de l’isolationnisme, les relations entre Tachkent et Ankara étaient au mieux tendues. La Turquie avait accueilli Mohammed Salih, le plus célèbre dissident ouzbek, et la réforme de l’alphabet ouzbek s’est vigoureusement éloigné de la version turque de l’alphabet latin malgré sa simplicité et le fait qu’il soit adapté aux deux langues. Mais, comme ce fut le cas pour la plupart des relations extérieures, les rapports entre Ankara et Tachkent se sont améliorées sous la présidence de Shavkat Mirziyoyev. Durant un voyage récent à Tachkent, le président Erdogan a mentionné l’« occasion pour mon éminent frère d’effectuer une visite [à Ankara] (2). » Suite à l’amélioration des relations entre les deux pays, l’Ouzbékistan a accepté de rejoindre le Conseil Turcique, une institution chargée de promouvoir les projets pan-turcs (1). Bien qu’il ait aujourd’hui peu d’influence, il pourrait servir de tremplin à une politique étrangère conforme au statut presque équivalent à celui d’empereur ottoman que le président Erdogan a réussi à obtenir en Turquie.

Depuis l’époque stalinienne, les gouvernants en Asie centrale ont toujours été préoccupés par les liens pan-turcs qui sapaient leur autorité. Cette méfiance s’érode aujourd’hui : les chefs d’État d’Asie centrale ne voient peut-être pas uniquement en Erdogan un frère ethnique, mais aussi et de plus en plus un allié politique.

Perspectives :

  • Le Conseil Turcique se réunit généralement en été mais aucun sommet n’a encore été annoncé pour cette année ; s’il devait y en avoir un, la présence de l’Ouzbékistan serait un changement significatif.
  • La Turquie pourrait ne plus accepter la présence de Mohammed Salih sur son territoire ; celui-ci pourrait s’exiler en Norvège, qui lui a accordé le droit d’asile, si Ankara et Tachkent se rapprochent encore.
  • À terme, à présent que le pays le plus peuplé d’Asie centrale l’a rejoint, le Conseil Turcique pourrait tenter de devenir un bloc régional plus significative.

Sources :

  1. Uzbekistan decides to join ‘Turkic alliance’ during Erdogan’s visit, Hurriyet Daily News, 30 avril 2018.
  2. Uzbekistan : Turkish president’s visit generates billions in deals, EurasiaNet, 1er mai 2018.

Pour aller plus loin :

WHEELER Thomas, Turkey’s role and interests in Central Asia, SaferWorld, octobre 2013.