Bichkek. Difficile de dire si le Kirghizstan est le théâtre d’une passation de pouvoir démocratique respectant l’État de droit ou bien de l’enracinement de l’autoritarisme. Depuis sa victoire aux élections présidentielles l’année dernière, le président Soronbai Jeenbekov a entrepris d’écarter des postes clefs du gouvernement les alliés de l’ancien président (2).

C’est une pratique tout à fait courante – tous les présidents américains le font (3). Cependant, aux États-Unis, les purges ne vont pas jusqu’à accuser l’ancien premier ministre de corruption.

Sapar Isakov fut mêlé à un scandale impliquant la rénovation chinoise de la centrale électrique alimentant la capitale Bichkek. Ses opposants aujourd’hui au pouvoir l’accusent d’avoir mal géré l’offre et appellent à sa mise en examen tandis que lui et ses soutiens affirment que le choix d’une entreprise d’État chinoise (TBEA) était une condition pour obtenir le prêt chinois qui permet de financer le projet (1), une politique d’investissement typiquement chinoise. Bien que l’on puisse aisément imaginer que de telles accusations aient une motivation politique, le fait que la lutte contre la corruption soit diffusée au sein de l’opinion publique en dit beaucoup de la force de la démocratie kirghize et de son État de droit.

Chez ses voisins, on ne trouverait pas de tels débats : les membres des partis opposés au gouvernement seraient simplement arrêtés, jugés et inévitablement condamnés. Ceci dit, l’étendue du pouvoir consolidé par Jeenbekov reste à voir : s’il devait prendre un tournant autoritaire contre les médias ou la justice, peut-être trouverait-il une petite opposition. Nous n’en sommes heureusement pas encore là.

Perspectives :

  • Les accusations contre Sapar Isakov effectuées par les services de sécurité intérieure (GKNB) pourraient pousser l’ancien président Atambayev à utiliser le Parti Social-Démocrate comme un contrepoids plus important au président Jeenbekov.
  • Si les charges sont maintenues, le choix de la date du procès sera un moment clef qui n’a pas encore été annoncé. Isakov a déjà exprimé son intention de plaider non coupable.
  • A plus long terme, cela pourrait être le début d’une purge plus profonde de l’opposition politique à Jeenbekov. Si Atambayev suit, cela pourrait être le signe initial d’un gouvernement plus répressif à Bichkek.

Sources :

  1. “Kyrgyzstan : Former PM charged with corruption over power plant project”, Eurasianet.org, 29 mai 2018.
  2. DJANIBEKOVA Nurjamal, “How Kyrgyzstan’s new president turned on his mentor”, Eurasianet.org, 31 mai 2018.
  3. GRESSANI Gilles, I cento giorni di Macron, Il Tascabile, 31 mai 2017.