L’élection du 10 septembre était un test important pour le système politique conçu par Vladimir Poutine
Par Fabrice Deprez
Le 10 septembre, seize « sujets » de la Fédération de Russie (en l’occurrence, 15 régions et une ville) ont élu leur nouveau dirigeant local, lors d’une journée qui a vu plus de 6 000 élections se dérouler, depuis les gouverneurs de régions jusqu’aux conseils municipaux. À quelques mois de l’élection présidentielle, la campagne a pris des allures de test pour les actuels gouverneurs, quasiment tous nommés par Vladimir Poutine en 2016 et 2017, et de répétition générale de l’échéance présidentielle. Mais elle a aussi révélé l’absence de compétition électorale dans les régions et, de fait, un désintérêt généralisé pour l’élection.
L’issue du scrutin ne fait que peu de doutes : depuis l’enclave de Kaliningrad jusqu’à la région sibérienne de Bouriatie en passant par Sébastopol, la capitale de la région annexée par la Russie en 2014, l’ensemble des gouverneurs actuellement en poste ont remporté la victoire. Pour Yevgeny Savchenko, le gouverneur de la région de Belgorod, à la frontière avec l’Ukraine, il ne s’agira que d’un mandat de plus : ce vétéran de la politique régionale russe est en effet à la tête de la région depuis 1993, un record de longévité absolu dans le domaine.
Quatre autres gouverneurs (dans les régions de Sverdlovsk, Mordovie, Saratov et Tomsk) sont aussi en poste depuis 2012. Les 11 autres gouverneurs ont eux été nommés en 2016 et 2017 par Vladimir Poutine lors d’une large « rotation des cadres » qui a touché l’ensemble de l’appareil d’Etat russe. Une nouvelle génération de gouverneurs, plus jeune (44 ans de moyenne d’âge pour ces nouveaux gouverneurs, contre 53 ans pour les autres) et plus technocratique est ainsi arrivée, et devrait se voir « confirmée » lors de cette élection.
Rotation des cadres
Car si Vladimir Poutine a réinstauré en 2012 l’élection directe des gouverneurs (ils étaient nommés depuis 2005), le Kremlin a dans le même temps perfectionné l’art de garantir la victoire de ses poulains. Son outil le plus efficace est la nomination de « gouverneurs par intérim » après la démission d’un dirigeant local, qui offre au nouveau gouverneur une reconnaissance immédiate et le soutien implicite du Kremlin, suffisant dans la majorité des cas pour remporter l’élection. Vladimir Poutine, rapportait le journal d’affaires Vedomosti le 31 aout, s’est aussi rendu cet été dans neuf des 16 régions où se dérouleront une élection le 10 septembre pour rencontrer le gouverneur local. Une manière simple de renforcer un peu plus le statut de gouverneurs qui ne sont parfois dans la région que depuis une poignée de mois : 7 des gouverneurs qui participeront à l’élection ont été nommés cette année.
Ce système peut parfois permettre des surprises. En 2015, un candidat communiste était ainsi parvenu à arracher la direction de la région d’Irkoutsk au gouverneur par intérim et candidat de Russie Unie (le parti du pouvoir) Sergei Yeroshchenko. Mais la tendance russe récente est clairement à la réduction de la compétition électorale, comme l’illustre ce tableau de données compilées par le chercheur russe Arkady Lyubarev sur son blog :
Comparaison des élections de gouverneurs sur les périodes 2001-2005 et 2012-2016 |
||
Indicateur | 2001-2005 | 2012-2016 |
Nombre de campagnes électorales | 75 | 71 |
Nombre d’élections ayant donné lieu à un second tour | 29 | 1 |
Nombre moyen de candidats dans une campagne | 6,8 | 4,5 |
Nombre maximum de candidats dans une campagne | 15 | 7 |
Le filtre municipal
Pour les critiques du pouvoir, un autre outil a été utilisé pour empêcher la participation de candidats indépendants et faciliter encore un peu plus la tâche des gouverneurs par intérim : le « filtre municipal », une règle électorale voulant que seuls les candidats ayant obtenu les signatures de 5 % à 10 % (en fonction des régions) des députés locaux peuvent participer à l’élection. Pensée pour éviter l’émergence de candidats fantaisistes, cette mesure permettrait en fait d’empêcher l’inscription de candidats « indésirables » à l’élection. Dans un rapport sur l’inscription des candidats aux élections, le « Comité pour les Initiatives Citoyennes » (une organisation créé par l’ex-ministre des Finances Alexeï Koudrine) notait ainsi :
« De nombreux candidats connus et disposant d’une importante expérience politique ne participent pas au processus électoral. Au contraire, de nombreux candidats ayant réussi à passer au travers du filtre municipal sont extrêmement faibles et n’obtiennent au final que très peu de voix dans l’élection. On peut ainsi affirmer que, dans sa forme actuelle, le filtre municipal ne protège pas les élections des « faux » candidats mais que, au contraire, il permet aux élites régionales de faciliter l’inscription de candidats de piètre qualité en lieu et en place de véritables opposants »
C’est ainsi que dans la région de Sverdlovsk, Evgueni Roïzman, le controversé mais très connu maire d’Ekaterinbourg, qui tentait de concourir avec l’étiquette du parti libéral « Yabloko », a vu sa candidature rejetée. Il a ensuite appelé au boycott des élections dans un message vidéo réalisé avec Alexeï Navalny, l’opposant le plus célèbre du pays.
En Bouriatie, une région décrite il y a quelques semaines comme potentiellement « compétitive », le candidat communiste s’est aussi vu refuser l’inscription au motif que certains des députés ayant soutenu sa candidature avaient aussi soutenu celle d’un autre candidat.
De fait, la presse russe a décrit une campagne électorale parmi les plus « poussives » et les plus « ennuyeuses » que le pays ait vues ces dernières années.
Répétition générale
Mais pour le pouvoir, l’intérêt de l’élection ne se trouve pas dans les résultats, quasiment assurés, mais dans la préparation de l’élection présidentielle qui se déroulera dans moins de six mois semble être. Les élections des gouverneurs peuvent ainsi jouer le rôle de « répétition générale », notamment pour un aspect crucial de l’élection : la participation. Il se dit en effet depuis plusieurs mois dans la presse russe, sur la base de sources anonymes au sein de l’administration présidentielle, que l’objectif du Kremlin est l’élection du « candidat principal » (l’euphémisme en vigueur tant que Vladimir Poutine ne s’est pas officiellement présenté) sur une base 70/70 : 70 % de voix, 70 % de participation.
Si peu doutaient de la victoire de Vladimir Poutine, la participation, en baisse régulière depuis plusieurs années, était donc la problématique principale. Les élections locales peuvent alors servir de « terrain d’essai » visant à trouver des méthodes pour l’améliorer.
Parmi les méthodes testées lors de cette campagne, et qui visent en premier lieu des jeunes vus comme un électoral majeur après les manifestations anticorruption ayant secoué le pays au début de l’année : des billets de cinéma distribués au bureau de vote, des « cadeaux » en échange d’un selfie de soi en train de voter posté sur les réseaux sociaux, ou encore le recours à un site de rencontre pour pousser les jeunes à se rendre « ensemble » aux élections. Néanmoins, cela ne suffira vraisemblablement pas à compenser l’absence de véritable compétition, qui rend l’élection peu attirante pour les locaux : d’après plusieurs sondages, la participation devrait osciller entre 30 % et 40 % selon les régions.
Enfin, et alors que les rumeurs d’une nouvelle vague de renvoi de gouverneurs à l’automne agitent les observateurs politiques russes, l’élection a aussi été décrite comme un moyen « d’évaluer » de nouveaux gouverneurs parfois très jeunes (Anton Alikhanov, qui dirige l’enclave de Kaliningrad, a 30 ans) et qui n’ont souvent jamais participé à une compétition électorale auparavant. Pour le Kremlin, la capacité des gouverneurs à mener une campagne dépourvue de scandales, à obtenir une participation élevée dans leurs régions respectives et un score honorable sont autant de qualités qui pourront s’avérer très utiles lors de l’élection présidentielle