#nationalisme

DANS LA PERSPECTIVE DES ÉLECTIONS EUROPÉENNES DE 2019, DES MEMBRES DU GROUPE D’ÉTUDES GÉOPOLITIQUES ET DE L’INSTITUT JACQUES DELORS réfléchissent À UN MOT QUI SERA CRUCIAL POUR CES ÉLECTIONS : nationalisme. LA NOTE QUI SUIT OFFRE UNE SYNTHÈSE DES POSITIONS QUI RESSORTENT DE CETTE DISCUSSION.

Trois types de nationalismes historiques

On peut distinguer d’une manière très schématique trois formes de nationalisme qui sont successivement apparues depuis l’âge des Révolutions au XVIIIe siècle :

  • Un nationalisme d’émancipation lié au principe d’autodétermination des peuples qui s’est développé du XIXe siècle jusqu’au début du XXe siècle. Certains nationalismes régionaux (Catalogne, Pays basque, Écosse…) sont tributaires de cette tradition politique. Ce type de nationalisme a été qualifié de libéral et romantique.
  • Un nationalisme autoritaire et expansionniste qui a marqué l’histoire du XXe siècle, et tout particulièrement la période qui s’étend du début du siècle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale et au début de la décolonisation.
  • Un nationalisme de repli, de protection, moins agressif de la fin du XXe siècle à aujourd’hui. Ce type de nationalisme correspond mieux à un continent européen de plus en plus démocratique. Il se caractérise par son attitude défensive. Parallèlement, le nationalisme autoritaire et expansionniste a pâti des horreurs commises par des régimes se réclamant de ses expressions les plus radicales : Italie fasciste, Allemagne nazie, etc.

Définir le nationalisme aujourd’hui

La méthode géopolitique fournit une perspective intéressante pour comprendre de quoi le nationalisme est le nom aujourd’hui. Quand on parle de nationalisme il faut en effet toujours expliciter quel espace, quelle « représentation du territoire national » et « des rivalités »1 sont mobilisés parfois inconsciemment par les acteurs qui se réclament du concept de nation.

On peut remarquer ainsi une rupture entre les nationalismes classiques en Europe et les néonationalismes européens contemporains.

Le nationalisme classique européen produisait une grande divergence. Les nationalistes français s’opposaient aux nationalistes allemands à partir d’une série de représentations territoriales qui engendraient des rivalités géographiquement situées : on peut penser à l’Alsace ou à la Lorraine par exemple.

En revanche, le discours nationaliste contemporain (= néonationaliste) se construit d’une manière fortement convergente (en réaction et) à Bruxelles. Effet paradoxal de l’européanisation du politique, la plupart des leaders néonationalistes ont trouvé au Parlement européen une tribune dans laquelle ils peuvent confortablement attaquer les institutions qui les accueillent, en contribuant à échanger sur leurs tactiques, sur des symboles communs (batailles de Lépante, Poitiers…) ou sur leurs méthodes. On constate ainsi que si les partis nationalistes ont trouvé dans l’euroscepticisme un moyen pour constituer une ligne politique commune, la sortie de l’euro ne paraît plus être une fin revendiquée. D’où un paradoxe qui doit être souligné : il est de plus en plus rare de voir des néonationalistes prôner une sortie définitive de l’Union ou même simplement une sortie de l’euro.

Le néonationalisme est-il un européisme ?

La rupture entre les nationalismes classiques et le néonationalisme semble se caractériser par un changement d’échelle allant du cadre national vers le cadre continental et par un déplacement de la ligne politique vers des thématiques communes et européennes : la question de l’accueil des migrants, la critique des élites, l’Islam, l’Europe blanche et chrétienne de Viktor Orbán…

Que penser de ce phénomène ? Il peut en tout cas nous faire dire que les nationalismes ont fermement pris place dans le cadre européen. Ajoutons que même si ce tournant important pourrait être plus dû à l’opportunisme des leaders néonationalistes qu’à une évolution de leurs convictions, l’européanisation des néonationalismes a contribué à réaligner certaines de leurs propositions vers des positionnements plus centraux. On a pu remarquer les parallèles entre le discours de Sebastian Kurz lors de son déplacement en Chine et celui d’Emmanuel Macron prononcé quelques mois plus tôt.

Il reste encore à déterminer si l’usage de thèmes nationalistes ne sert pas surtout la tactique politique attentive à l’efficacité des styles populistes2, dans le contexte d’une séquence électorale mondiale marquée par la victoire d’offres politiques qui réclament la priorité de la nation (Trump, Bolsonaro ou le Brexit).

Notons la contradiction qui existe en Europe entre ces néonationalistes qui convergent à une échelle continentale et leurs références idéologiques, leurs représentations territoriales potentiellement conflictuelles, leurs intérêts politiques souvent divergents et qui se nourrissent de la rivalité de long terme entre États voisins.

Un retour des nationalismes guerriers européens paraît pour autant trop compliqué à imaginer. On n’assisterait pas tant à une résurrection du nationalisme qu’à une déconstruction de tous les corps politiques. La paix perpétuelle amenée par l’Union a peut-être sonné le glas d’une inimitié européenne au profit de souverainetés plus individualistes et corporatistes. Demeure la question : sommes-nous capables de vivre dans une Europe en paix ?

Une internationalisation des nationalismes ?

Prenant pour preuve la fragmentation des partis d’extrême-droite au sein du Parlement européen et les nombreuses contradictions de leurs discours (entre Salvini et Kurz, par exemple), on peut douter actuellement des capacités des nationalistes à former des alliances transnationales performantes. Toutefois on ne doit pas sous-estimer la capacité des mouvements néonationalistes à mettre de côté leurs dissensions au profit d’agendas plus transversaux. Des précédents sont présents dans l’histoire. Que l’on pense à l’alliance des dictatures fascistes (Allemagne, Italie) et nationalistes (Japon, Hongrie, Roumanie) dans la seconde partie des années 1930.

Par ailleurs, la nation invoquée par les néonationalistes est très abstraite et ses contours sont souvent confus (chaque nation a le secret de sa propre unité, la nation n’existe pas, les nations existent) mais un point commun existe dans leur revendication d’États plus souverains. On pourrait alors suggérer l’idée que les mouvements néonationalistes partagent ou en tout cas profitent de la cristallisation d’une utopie souverainiste dans une partie des populations européennes. À Bruxelles se substituerait donc l’idée d’une « Europe des Nations » qui construirait l’unité européenne sans cadre fédérateur.

Notons tout de même que des clivages importants demeurent : sur le rapport au libre-échange, sur les questions sociétales et sur des questions purement géopolitiques (la division des néonationalistes entre Atlantistes et pro-Russes, par exemple).

Les responsabilités de l’Union

À l’échelle européenne, une des niches pour les nationalismes se trouve dans une des contradictions inhérentes au projet européen : celle qui oppose l’idée d’une Europe universelle (qui serait une super organisation d’inspiration onusienne) à l’Europe particulière (de valeurs spécifiquement européennes). À cet égard, la nation avait réussi à combiner universalisme et particularité. Cette combinaison n’existe pas encore au niveau européen et elle n’existe plus au niveau national. C’est dans cette tension que pourrait se nicher le nouveau discours nationaliste.

Conçue comme le cadre d’expression privilégié de l’autonomie politique, la nation a longtemps été la clef de voûte de la démocratie. À ce titre, il est impératif pour l’Europe de répondre à l’inquiétude démocratique qu’elle suscite chez une partie de ses citoyens qui se sentent dépossédés de leur pouvoir souverain par des institutions qu’ils jugent lointaines et trop peu transparentes.

Le déficit d’un sens de communauté, d’une identité européenne reposant sur des valeurs communes renforce les positionnements identitaires et les désirs d’identités fermées.

Du côté des nationalismes régionaux, la construction européenne est clairement apparue comme une promesse dans laquelle se sont réfugiés les indépendantistes, le système de représentation des nations peut en effet encourager l’élargissement interne.

La difficulté à penser la nation au sein de l’Union européenne n’a pas encore été surmontée et la proposition de superposition des patriotismes européens et nationaux proposée par le Président Juncker n’a pas vraiment porté ses fruits.

Dès lors, comment répondre aux néonationalistes ? Par le raisonnement, ou par les symboles ? La réponse est d’autant plus complexe que les néonationalistes s’imposent de plus en plus dans le débat médiatique, dont ils maîtrisent excellemment les codes et les pratiques.

Cette note résulte d’un échange entre des membres groupe de travail de l’Institut Jacques Delors sur les élections européennes (Jean-Louis Bourlanges, Thierry Chopin, Alain Lamassoure, Pascal Lamy, Sébastien Maillard, Geneviève Pons, Christine Verger) et des membres du Groupe d’études géopolitiques (Ramona Bloj, Carlo De Nuzzo, Gilles Gressani, Baptiste Roger-Lacan)


Notes

1 Yves Lacoste, La géopolitique, ça sert d’abord à faire la guerre, La Découverte, 1976

2 Voir « Les mots de la campagne : le populisme  », Institut Jacques Delors et GEG, janvier 2019