LETTRE A L’ÉDITEUR
À propos de Hans Kundnani, « Le passé impensé : pour un récit critique européen », 26 octobre 2021
Bruxelles, 9 novembre 2021
Chers éditeurs,
Si j’apprécie le débat public porté par votre revue, je suis déçu par le manque de rigueur du texte de Hans Kundnani publié le 26 octobre.
La réflexion menée par Hans Kundnani comporte des éléments pertinents à propos du rapport de l’Europe à son passé et au reste du monde. Toutefois, je vois trois problèmes majeurs qui minent son analyse sur le fond comme sur la forme et entravent le débat que nous appelons lui comme moi de nos vœux.
D’abord, l’amalgame. Kundnani réagit à une conversation entre Pierre Manent et moi-même comme s’il s’agissait d’un texte écrit « à quatre mains ». Il ne reconnaît nulle part les divergences importantes entre nous deux sur l’Union d’aujourd’hui, mais aussi à propos des rôles joués par le christianisme et le colonialisme dans l’histoire européenne.
Ensuite, le regard que porte Kundnani sur ce qu’il appelle les « pro-Européens » pose problème. Ce groupe nébuleux sert d’homme de paille dans son raisonnement et les vues qu’il prête à ses membres ne correspondent pas à celles que j’ai régulièrement l’occasion d’exprimer dans mes travaux. Depuis Le Passage à l’Europe (2009), j’ai critiqué la rhétorique bruxelloise simpliste qui s’approprie Érasme ou Charlemagne à des fins de propagande. Est-ce qu’il l’ignore ?
Dans le même registre des généralisations excessives, lorsqu’il me reproche de considérer l’Europe comme « une région fermée sans influence extérieure », les accusations de Kundnani sont tout simplement infondées. Il s’agit là de son argument principal, ce qui signifie qu’il ne semble même pas être arrivé au bout du dialogue avec Manent, où je dis exactement le contraire.
Enfin, Kundnani est hors-sujet lorsqu’il aborde la tension entre le particularisme et l’universalisme. Dans mon analyse, je maintiens que ce tiraillement qui parcourt l’histoire européenne est amplifié par l’émergence de la Chine. En ce sens, Beijing « provincialise » notre universalisme en quelque chose d’occidental, si ce n’est sur le plan philosophique, au moins sur le plan (géo-)politique. En s’émancipant des normes et valeurs qui sont les nôtres, la Chine nous tend un miroir qui force l’Europe, mais aussi les États-Unis, à prendre conscience du fait qu’ils ne peuvent pas recréer le reste du monde à leur image. La proposition de Kundnani qui consiste à résoudre ce problème grâce au développement d’un « universalisme vraiment universel » ne dit pas grand-chose et fait plutôt sourire.
Luuk van Middelaar