Cité du Vatican. Le lien Rome-Pékin passe par Vilnius. C’est en tout cas la conclusion ironique que l’on peut tirer du voyage papal dans les pays baltes. Samedi 22 septembre, à midi, Vatican News a annoncé la signature d’un “accord provisoire sur la nomination des évêques” entre le Saint-Siège et les autorités chinoise (6). Cet accord, conclu par le sous-secrétaire des relations entre les États, le Maltais Mgr Antoine Camilleri, et par le ministre adjoint des affaires étrangères Wang Chao, est le fruit de tractations qui durent depuis plusieurs années. Il vise à rapprocher la Chine et le Saint-Siège dans les futures nominations d’évêque, une question très controversée qui a cristallisé les tensions entre les deux entités.

Les relations diplomatiques entre l’Église catholique et la République populaire de Chine sont rompues depuis l’expulsion du nonce apostolique, en 1951 : le Vatican est aujourd’hui l’un des rares États à reconnaître Taiwan. Sous l’impulsion de la politique pékinoise de sinisation des religions, deux Églises catholiques se font concurrence sur le territoire chinois. En 1957, Pékin a fondé une Association Catholique Patriotique dont les sept évêques, nommés par le régime, ne reconnaissent pas l’autorité de Rome. Parallèlement, une Église catholique clandestine, fidèle à la communion romaine, continue de survivre, subissant les persécutions chinoises et critiquant sévèrement leurs coreligionnaires acceptant l’autorité de Pékin. Soixante-dix-sept évêques officient actuellement sur le territoire chinois : 7 ont été nommés par Pékin (avec, parfois, un accord tacite de Rome), 17 sont des clandestins choisis par le Saint-Siège et 53 sont reconnus tant les autorités chinoises que romaines (4).

En début d’après-midi, un deuxième communiqué (7) a annoncé que le Pape François admettait de nouveau au sein de la communion ecclésiale les huit évêques ordonnés sans mandat pontifical (sept en activité, le huitième ayant exprimé le souhait de se réconcilier avec Rome avant son décès en 2017). Sur le plan spirituel, cela signifie qu’il lève de facto l’excommunication qui pesait sur eux. Sur le plan pastoral, qu’il reconnaît l’autorité de ces évêques ordonnés sans son accord, ce qui signifie qu’il invite leurs concurrents clandestins, notamment Mgr Guo Xijin, évêque de Midon, et Mgr Pietro Zhuang Jianjian, évêque de Shantou, à s’éclipser à leur profit (4).

Ce conflit autour de la nomination des évêques témoigne de deux conceptions différentes des rapports entre souveraineté nationale et libertés individuelles. Pour le Saint-Siège, depuis Dignitatis Humanae (1965), la liberté religieuse est un droit qui ne saurait être bafoué par les autorités temporelles et suppose une hiérarchie spirituelle sur laquelle l’État n’a pas prise ; pour la République populaire de Chine, la souveraineté suppose l’absence d’ingérence étrangère envers ses autorités, fussent-elle religieuses ou culturelles.

Sur le plan diplomatique, il s’agit d’une indéniable victoire chinoise : un simple coup d’œil à la presse chinoise suffit pour s’en convaincre. Un article du Global Times, l’organe de presse du Parti en langue anglaise, clame haut et fort aux occidentaux que l’accord est “une bonne chose, non seulement pour l’Église catholique en Chine, mais aussi pour le développement du catholicisme” (2). Pas de mention du principal acquis chinois : avancer d’un pas vers la mainmise sur la nomination des évêques et affaiblir l’église souterraine qui, qualifiée de “bruyante minorité” par l’évêque argentin Mgr Marcelo Sanchez Sorondo (3), perd en légitimité. Une victoire chinoise dénoncée par le cardinal Joseph Zen Ze-kiun, qui y voit la défaite de l’Église souterraine (1). Tout n’est cependant pas gagné pour la Chine : le rôle exact de chacune des deux parties dans le choix des futurs évêques reste encore à préciser et l’accord prévoit “des évaluations périodiques quant à son application” (6).

Mais au-delà des enjeux de négociation, il faut bien voir l’objectif pastoral poursuivi par Rome : cet accord un véritable cas d’école pour illustrer la diplomatie du pape François, avançant par petits pas vers une réconciliation religieuse, comme ce fut le cas avec le patriarche Kirill. Greg Burke, directeur de la salle de presse du Saint-Siège a ainsi commenté : “L’objectif de l’accord n’est pas politique mais pastoral, en permettant aux fidèles d’avoir des évêques qui sont en communion avec Rome mais en même temps reconnus par les autorités chinoises.” La création du diocèse de Chengde, au nord de Pékin, le jour-même de la signature de l’accord, témoigne de cette volonté pastorale : il s’agit du premier diocèse créé en Chine continentale depuis 1951 (8).

Avec un pape sud-américain, moins à cheval sur l’anticommunisme et ayant en vue de clairs objectifs spirituels, l’infléchissement de la position du Saint-Siège est compréhensible. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit du victoire pour la Chine qui a su jouer du désir de rapporchement du Saint-Siège pour imposer ses conditions.

Perspectives :

  • Le Pape François a exprimé à plusieurs reprises son désir de se rendre en Chine. Ce premier pas facilitera-t-il la démarche, alors que le Saint-Siège espère effectuer un voyage au Japon en 2019 (5) ?
  • Le rétablissement d’un nonce apostolique, qui supposerait la rupture des relations vaticanes avec Taiwan, est peu probable à court terme.
  • Le choix des futurs évêques sera déterminant pour observer les rapports de pouvoir : le Saint-Siège sera-t-il associé au choix des futurs évêques ou n’aura-t-il qu’à acquiescer les décisions chinoises ?

Sources :

  1. LEMAÎTRE Frédéric, CHAMBRAUD Cécile, “Accord provisoire” entre le Vatican et la Chine sur la nomination d’évêques, Le Monde, 22 septembre 2018.
  2. NING Yu, China-Vatican Rapprochement good for Catholics, Global Times, 22 septembre 2018.
  3. RUOHAN Li, Critics of the China-Vatican deal merely the loud minority, China News, 22 septembre 2018.
  4. VAAS Jean-Marie, Liste complète des évêques chinois, InfoCatho, 08 février 2018.
  5. Le Pape espère visiter le Japon en 2019, Vatican News, 12 septembre 2018.
  6. Accord provisoire entre le Saint-Siège et la République Populaire de Chine sur le nomination des évêques, Vatican News, 22 septembre 2018.
  7. Le Pape François réadmet huit évêques chinois dans la communion ecclésiale, Vatican News, 22 septembre 2018
  8. Chine Continentale : le Pape crée le diocèse de Chengde, Vatican News, 22 septembre 2018