Nous avons rencontré le franco-britannique Paul Watkinson, négociateur en chef pour la délégation interministérielle française sur le climat durant de nombreuses années. Il revient avec nous sur le fonctionnement d’une délégation aux négociations des Nations Unies sur le climat ainsi que sur l’organisation de la COP21, dont il fut l’un des principaux organisateurs fin 2015 en tant que responsable des négociations ayant abouti à l’Accord de Paris.
Membre depuis 2000 et longtemps directeur de la délégation française à l’ONU pour les discussions sur le climat, il fut également conseiller du ministère marocain de l’Environnement chargé d’organiser la conférence de Marrakech en 2001 qui compléta le Protocole de Kyoto. Paul Watkinson fut enfin l’un des principaux négociateurs de l’Union Européenne aux conférences de Copenhague, Cancún, Durban, Doha et Varsovie.
Qu’est ce qu’une délégation d’une « Partie » dans le cadre de l’UNFCCC (Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques) ?
Pour commencer, la Convention Climat, le Protocole de Kyoto et l’Accord de Paris sont des traités internationaux, dont les États sont les parties. La COP (Conference of the Parties), Conférence des Parties, est la réunion des 197 parties qui se retrouvent régulièrement (tous les ans) à la Convention Climat pour faire le point sur la mise en œuvre de la Convention, mais également du protocole de Kyoto et de l’Accord de Paris, à travers la CMP (Conference of the parties serving as the Meeting of the Parties to the Kyoto protocol) et la CMA (Conference of the parties serving as the Meeting of the parties to the Paris Agreement), qui ont lieu en même temps 1.
Qu’est-ce qu’une délégation climat en France ?
La France envoie une délégation depuis la première conférence en 1995 à Berlin. Cette délégation joue plusieurs rôles. Un rôle de représentation de la France tout au long de la conférence, un rôle de défense de nos intérêts dans la partie strictement négociations, ainsi qu’un rôle de promotion de l’action de la France, principalement dans la partie side-event, avec le pavillon France, qui accueille des évènements quotidiennement 2.
D’ailleurs, le processus est en train de changer. Initialement réellement centré sur les négociations au sein de la COP, l’événementiel en devient une part entière. On assiste à un changement culturel et de gouvernance du processus : tout ce qui a rapport à la promotion et la présentation représente aujourd’hui une part importante de notre action. Quitte à aller jusqu’à l’exagération ; c’est un peu une foire, mais qui permet de réunir les gens et donc de créer du dialogue et du partage d’expériences autour d’actions concrètes.
Ne participant que depuis la COP6, je ne connais pas la taille exacte de la première délégation. Néanmoins, elle est beaucoup plus large aujourd’hui, avec près d’une centaine de personnes à temps plein, la moitié pour l’événementiel et l’autre moitié pour suivre et piloter l’ensemble du processus de négociation. Si je prends la partie sur les négociations, que je pilote traditionnellement, c’est une cinquantaine de personnes des différents ministères (Écologie, Affaires étrangères, Trésor, Agriculture) et d’un certain nombres d’agences comme l’ADEME ou l’Agence française de développement. Il y a aussi un certain nombre de personnes avec qui l’on travaille étroitement et que l’on accueille dans la délégation ; je pense par exemple à Jean Jouzel.
Et bien sûr, essentiellement lors de la deuxième semaine de la COP, nous avons une délégation à haut niveau, une délégation ministérielle, pilotée notamment par l’ambassadrice chargée du changement climatique, Brigitte Collet. Il s’agit principalement d’organiser la venue des ministres, de Nicolas Hulot bien sûr, mais également celle de Brune Poirson en tant que secrétaire d’État, ou du ministre de l’Agriculture par exemple. Cette année, le Président de la République viendra également, quelques heures, pour la déclaration officielle de la France en séance plénière.
En ce qui concerne plus strictement les négociations, tout se déroule autour de la COP, de la CMA et de la CMP, mais également les organes subsidiaires, qui font le gros du travail. Avec le SBI, l’organe subsidiaire de mise en œuvre, le SBSTA, le conseil scientifique et technique, et ce qu’on appelle l’APA, le groupe technique sur l’Accord de Paris.
Le SBI et le SBSTA ont été créés sous la Convention, afin de prendre en charge la plupart des négociations. L’APA a été créé après l’Accord de Paris dans le but spécifique d’établir les règles de sa mise en oeuvre. Ces trois organes subsidiaires se réunissent tous ensemble en novembre/décembre, avec la COP, mais également individuellement en mai/juin, lors des intersessions.
Ces trois organes élaboreront notamment, d’ici la fin 2018, les règles d’application de l’Accord de Paris. Ce sera une vingtaine de décisions assez techniques, sur la façon dont fonctionne vraiment le système de transparence, sur le type d’information qu’il faut fournir avec ses contributions nationales, ou la façon dont les institutions de la Convention vont travailler au titre de l’Accord de Paris.
Dans chaque groupe, il y a un ordre du jour qui est adopté lors du premier jour de la conférence. Personnellement, je m’occupe de faciliter par exemple le point 16-b du SBI, qui est le rapport du comité de Paris sur le renforcement des capacités. Il y a d’abord des discussions puis un rapport de ce comité, faisant un certain nombre de recommandations. Nous de notre côté en tant que partie, nous prenons note du rapport et, si besoin est, nous donnons des instructions pour continuer les travaux. De manière plus générale, nous sommes en train de préparer toutes les décisions de mise en oeuvre de l’Accord de Paris.
À l’UNFCCC, il y a une délégation française mais aussi une délégation de l’Union Européenne. Comment la délégation française s’inclut-elle dans la délégation Européenne ?
Quelques points sur notre organisation, ensuite sur celle de l’UE. Nous préparons en amont nos positions avant de venir, nous avons les ordres du jour, les papiers, au moins en partie, et nous commençons à préparer quelques mois à l’avance. En général, il y a deux sessions de négociations par an, les intersessions en mai/juin, puis ensuite la COP en novembre/décembre. Nous avons donc un certain temps entre les deux pour nous préparer, nous organisons notre équipe en interministériel à Paris. Ce n’est pas toujours évident parce que chacun est chez soi, dans sa propre structure et avec d’autres responsabilités. Très peu de gens sont à 100 % sur le climat international. Mais nous préparons nos positions et les arbitrages sont faits au niveau de notre cabinet, de Matignon ou de l’Élysée en fonction du niveau du sujet.
C’est là où l’articulation avec l’UE commence, parce que son personnel se prépare également en amont, avec un groupe climat au sein de la Commission à l’Environnement qui se réunit à peu près tous les mois à Bruxelles. Il y a ensuite les groupes d’experts, assez généraux, par exemple sur l’atténuation ou l’adaptation, puis cela se décline en sous-groupes sur les thèmes précis, avec par exemple un suivi thématique sur la forêt ou les pertes et dommages. Il y a une mutualisation de la préparation à travers ces groupes de travail, et les grandes lignes de la position sont ensuite validées par le groupe climat, ce que l’on appelle le « working party on international environmental issues » (le WPIEI), et un certain nombre de points se retrouvent dans les conclusions sur les attentes de l’Union Européenne pour la COP23, adoptées à l’automne (mi-octobre cette année) par le conseil Environnement. C’est relativement synthétique, on ne trouve pas tous les détails, mais derrière, les experts européens élaborent des documents qui font des centaines de pages, où l’on retrouve, thème par thème, les objectifs, les lignes rouges, les positions des autres, et comment négocier. Et à 28 — 27 prochainement —, c’est important d’être sûrs de nos positions communes. Parce qu’ensuite, en salle de négociations, c’est le drapeau de l’UE qui se lève et c’est le porte-parole de l’UE qui parle.
En séance plénière, c’est habituellement la présidence et/ou la Commission qui parlent pour l’Union, mais il y a une équipe d’experts en négociations européennes avec une quarantaine, voire une cinquantaine de représentants de tous les États membres et de la Commission. Je pense en particulier à une allemande, une suédoise et un représentant de la Commission qui sont les principaux négociateurs. La France s’est toujours investie pleinement dans les travaux de l’Union, mais indépendamment de la nationalité des experts, la position est partagée par tous, parce que c’est celle de toute l’UE.
Ensuite, au-delà du spectacle des débats dans la salle de négociation, plusieurs décisions sont prises au cours de petites réunions bilatérales, souvent organisées par les experts français pour rencontrer leurs homologues européens. L’Union Européenne en mène également avec ses partenaires, à tous les niveaux : experts, chefs de délégation ou ministres.
On passe également beaucoup de temps à parler aux gens dans les couloirs ou autour d’un café. Parfois, ces échanges aident à comprendre les désaccords et à éclaircir les positions des États membres. Ces réseaux officieux jouent vraiment un rôle fondamental dans l’écosystème des négociations. Quand une équipe est renouvelée, par exemple, c’est toute une partie de notre expertise qui se perd et il faut reconstruire ce réseau, grâce notamment aux réunions informelles, en off. En ce sens, un groupe comme le dialogue de Carthagène — du nom de la ville Colombienne, cet espace de discussions informel réunit de nombreux pays d’Amérique latine dont la Colombie et le Costa Rica ainsi que les pays européens et plusieurs pays africains — se réunit deux fois par an. Lorsque vous êtes ensemble pendant deux jours à 30 ou 40, vous parlez beaucoup, et vous vous connaissez très bien à la sortie.
Tout cet aspect humain fait partie du travail. On encourage tous les membres de notre délégation à construire leur réseau. Parce que la délégation n’est pas simplement la hiérarchie et le chef, c’est aussi la mobilisation, pour mener les discussions, de tous les réseaux de toute la délégation. On est loin de la notion d’espionnage, mais au fond c’est de la recherche d’informations.
Il y a des activités qui dépendent strictement de chaque délégation nationale, comme les événements organisés de façon autonome par chaque pays. Ensuite, lorsque les ministres et autres hauts fonctionnaires arrivent à Bruxelles la semaine suivante, le travail de la délégation change et la plupart des négociations techniques sont arrêtées. Les présentations tournent alors autour de la présence des ministres, directeurs généraux ou autres hauts fonctionnaires présents pour un jour ou deux.
Il y a donc un déroulement en trois temps : en amont, pendant la première semaine et surtout au cours de la deuxième — avec une séquence plus politique —, avant d’arriver à la fin, à l’adoption des décisions.
Vous avez mentionné que les positions étaient négociées et approuvées en amont. Quelle marge de liberté y a-t-il ensuite par rapport à ces positions lors des conférences ?
Lors de la conférence, il y a une coordination de l’UE tous les matins. Les chefs de délégations se retrouvent pour faire le point sur la journée, les négociateurs rendent compte des progrès et des problèmes qui se posent. Si besoin est, les positions sont ajustées. Les négociateurs sont relativement libres quant à leur tactique : s’ils veulent être relativement durs sur un point ou mou sur un autre, c’est à eux de juger. Sinon on arrive jamais à faire quoi que ce soit si on doit négocier ça à 28. Nous donnons un mandat, sous l’autorité de la présidence et de la Commission, mais aussi un degré d’autonomie à notre équipe de négociations.
Côté français, nous faisons un peu la même chose, nous demandons à nos experts de suivre toutes les discussions dans les différents groupes, qu’ils soient dans l’équipe de l’UE ou non. Il arrive d’être assis derrière et non forcément à la table de négociations avec le drapeau, mais il faut suivre ce qu’il se passe et participer à la réflexion. Cela permet d’avoir une constante remontée d’informations — j’en ai d’ailleurs sans doute reçu plusieurs depuis le début de notre entretien. Chaque délégué est invité à rédiger un compte rendu, dont on fait la synthèse générale tous les soirs. Ensuite, chaque délégation envoie une synthèse aux cabinets ministériels à Paris.
Dans quelle mesure le Ministère sait-il ce que vous faites ?
L’envoi quotidien ou non du document de synthèse dépend de l’importance de la conférence. À Copenhague ou à Marrakech par exemple, le compte-rendu était envoyé tous les soirs ; ici, peut-être pas tout à fait. Lors d’une conférence de mi-session en mai/juin en revanche, c’est plutôt deux ou trois comptes rendus détaillés car les enjeux sont différents. Les ministres ou même le président n’arrivent qu’à la deuxième semaine mais ils veulent forcément savoir si cela bloque ou si cela se passe comme prévu.
Tout dépend ensuite, pour les différents points, de l’importance du sujet. Nous ne pouvons pas trancher nous-mêmes toutes les questions et dans certains cas il faut impliquer davantage les cabinets et les ministres compétents.
Nous sommes en train d’élaborer la structure et le squelette des décisions concernant l’application de l’Accord de Paris. Mais nous ne sommes pas en train de trancher le contenu détaillé à cette COP. Il peut y avoir des questions qui sont vraiment structurantes, avec des choix très nets, qui attisent les conflits entre les parties. Les ministres ne devraient cela dit pas passer beaucoup de temps sur les détails de l’adaptation de l’Accord. En revanche, s’il y a toujours quelques points qui nécessitent un véritable investissement politique, il faut prévoir une préparation des ministres plus adaptée et approfondie.
De la même façon, les discours des ministres et du président dépendent de ce que l’on fait remonter, quoique cette année ils seront beaucoup plus politiques de manière générale, plus larges, sans viser personne… Pour revenir sur la France : nos objectifs politiques lors de cette conférence sont la mise en œuvre et l’accélération du processus et la révision à la hausse des ambitions. Bien que ce soit très important d’aboutir fin 2018 à des décisions robustes et crédibles, les détails ne sont pas vraiment l’enjeu politique de cette conférence, qui doit surtout insister sur la centralité et l’ambition de l’Accord dans des termes plus larges.
En quoi la structure et les mécanismes de la COP21 étaient-ils différents ?
Assumer la présidence d’un projet, comme lors de la COP21, n’est pas la même chose qu’être une simple délégation parmi d’autres dans la conférence. La partie européenne était beaucoup moins importante pour nous, qui participions certes à la préparation en amont de la position de l’UE ; nous avions une représentation tous les jours dans la coordination européenne et la dernière semaine lorsque tous les ministres étaient présents, et Ségolène Royale avait la responsabilité de suivre ces questions, mais le gros de la délégation n’était pas dans le système européen et travaillait, en tant qu’elle présidait, avant tout à faciliter l’Accord.
En termes d’organisation, nous avions mis en place une équipe interministérielle colocalisée pendant deux ans et demi — à partir d’automne 2014 et jusqu’à la fin de la présidence, fin 2016 — dans nos locaux du Ministère de l’Écologie à l’Hôtel de Roquelaure. Plutôt qu’aller à Bercy, à Convention ou à la Défense, nous nous retrouvions dans le même couloir avec les responsables du Trésor, les représentants des Affaires Étrangères ou de l’Écologie. La colocalisation nous a beaucoup aidés à créer un sentiment d’unicité et un climat de dialogue interministériel.
Laurence Tubiana était l’ambassadrice climat, accompagnée d’un ambassadeur adjoint, Philippe Lacoste, diplomate de carrière et maintenant ambassadeur au Tchad, en charge de la gestion de l’équipe et de mettre de l’ordre dans les travaux, faire en sorte que les nombreuses commandes des ministres aient une réponse.
L’équipe était ensuite structurée en quatre parties :
- Une équipe de négociations qui était chargée de l’élaboration de l’Accord de Paris, que je pilotais en tant que négociateur principal, accompagné d’environ 25 experts.
- Une équipe bilatérale, pilotée par mon collègue Antoine Michon, sous-directeur aux Affaires Étrangères, responsable du climat. Toute l’équipe du Ministère des Affaires Étrangères et le réseau diplomatique international étaient mobilisées. Il y avait un échange de messages toutes les semaines, une remontée d’informations quotidienne, et même quatre ambassadeurs itinérants, qui ont voyagé tout au long de l’année 2015, faisant le tour d’au moins une centaine de pays. Cette équipe était formée d’une bonne dizaine de personnes, mais il faut préciser qu’il y a des chevauchements entre elles. Par exemple, quelqu’un suivait à la fois l’adaptation au sein de l’équipe de négociations et les États insulaires dans le cadre de l’équipe bilatérale, parce qu’il y a des synergies entre les deux.
- Ensuite, une équipe était chargée de l’action en elle-même, à Bonn : partenariats, mobilisation des acteurs non-étatiques, événementiel — c’était un enjeu majeur. Sylvie Lemmet était directrice des Affaires européennes et internationales du Ministère de l’Écologie et pilotait cette équipe d’une quinzaine de collaborateurs, voire plus en comptant les nombreux stagiaires (autant que de fonctionnaires à la fin des travaux), conjointement avec la sous-directrice Véronique Massenet.
- Enfin, il y avait une petite équipe finance, très largement englobée dans l’équipe négociations. Nous avions besoin de cette expertise particulière, et c’était Rémi Rioux, à l’époque secrétaire général adjoint des Affaires Étrangères, maintenant directeur général de l’AFD, qui a piloté ce travail avec le Trésor.
Ces quatre grandes équipes ont travaillé ensemble pendant toute l’année, avec une coordination interne à chaque équipe et un comité de pilotage central regroupant les chefs de chaque équipe, les adjoints et les cabinets. Une fois sur deux, les réunions étaient organisées avec les cabinets des Affaires Étrangères, de l’Écologie et de l’Élysée, ainsi qu’un certain nombre de personnalités associées.
Si je parle maintenant des négociations stricto sensu, nous avions des experts pointus sur chaque sujet, dont le rôle était de connaître toutes les soumissions, de connaître toutes les propositions de tous les pays et les acteurs-clefs, grâce au contact humain.
Durant les cinq sessions de négociations de 2015, des experts français étaient présents dans tous les groupes, au départ en retrait, puis de plus en plus actifs, en s’installant à la table de négociations avec le drapeau France, pour signaler l’arrivée de la présidence. À l’arrivée, nos experts étaient présents sur tous les sujets et dans toutes les salles, et ce pendant toute la COP21.
Les négociations sont habituellement divisées en deux sessions (novembre/décembre et mai/juin), mais si les circonstances le nécessitent, des intersessions supplémentaires sont ajoutées au cours de l’année.
Parallèlement à cela, le Secrétariat a son système de travail à soi, d’abord pour organiser tous les groupes autour des facilitateurs et des présidents de séances, mais également pour recueillir les informations venant de toutes les salles. Pour nous, c’était très important d’avoir une relation symbiotique avec le Secrétariat. Nous avions en permanence une remontée d’analyses et une synthèse permettant de savoir ce qu’il se passait.
J’ai sans doute oublié énormément d’éléments, mais évidemment nous avions aussi un pilotage ministériel autour de Laurent Fabius, avec un comité qui a commencé à se réunir autour du ministre au moins deux ans en amont. Tous les deux mois d’abord, tous les mois ensuite, puis quasiment toutes les deux semaines à la fin. Il était composé des ministres, de hauts fonctionnaires, et également d’un certain nombre de personnalités dont la maire de Paris, un certain nombres d’experts associés à nos réflexions, des élus, le président la commission Développement durable de l’assemblée, quelques sénateurs…
Enfin, tout ne se joue pas que sur l’organisation de la négociation, il y a aussi toute l’organisation du site et de la communication digitale. Pour cela, nous avions un secrétaire général, Pierre-Henri Guignard, entouré d’un préfet pour les questions de sécurité, point non négligeable évidemment.L’impact environnemental de la COP21 et la qualité des repas servis étaient particulièrement importants parce que la conférence devait avoir une empreinte carbone minimale, et si l’on mange mal le niveau des négociations s’effrite. À Copenhague, les sandwichs étaient mauvais, même dans la salle des chefs d’États. On comprend pourquoi cela a pu échouer ! Bon, j’exagère un peu, mais il faut penser à tous les niveaux. Comme la question des transports par exemple, parce que si les gens n’arrivent à l’heure le matin, toutes les réunions sont retardées et l’engagement des participants se réduit. Je vivais dans la crainte d’un problème de RER B…
Finalement, pour nous la présidence de la COP21 était vraiment un exercice ad hoc. Je n’avais jamais fait un exercice semblable, et je doute que cela se répétera bientôt — probablement jamais d’ailleurs…
Vous avez mentionné à plusieurs reprises l’importance des relations humaines dans les négociations. C’est, personnellement, la cinquième fois que j’assiste à des négociations et à chaque fois je retrouve des personnes que je connais, des amis maintenant. Je ne peux que supposer qu’il en est de même pour les négociateurs et je me demandais donc dans quelle mesure l’amitié pouvait réellement jouer un rôle dans le processus de négociations.
En partie oui. L’inimitié n’aide pas. Si l’on ne s’entend pas avec quelqu’un et qu’il est en face, les discussions se compliquent. La confiance mutuelle tout comme la méfiance sont des facteurs majeurs dans les négociations. Pendant la COP21, une grande partie de notre travail était de construire la confiance en la présidence. Cet exercice passe par une exigence de transparence, d’ouverture et d’inclusion.
Est-ce que, dans le cadre de cette COP23, le manque de confiance peut expliquer certains blocages ?
Pour l’instant, ce n’est pas l’enjeu principal. Ce système n’est pas parfait mais ce n’est pas le pire que l’on ait connu. 2009 à Copenhague, 2012, 2013, 2014 ont été des moments plus difficiles dans le processus, à cause de ce manque de confiance. Nous avons dû améliorer la confiance mutuelle avec les Polonais en 2013, avec les Péruviens en 2014…
Je présidais une réunion hier. D’un côté, il y avait le G77 représenté par l’Afrique du Sud, de l’autre côté il y avait les États-Unis, qui n’étaient pas d’accord avec les pays en voie de développement. Comme les négociatrices étaient physiquement éloignées, j’ai proposé que les gens prennent le temps de se parler. Mais les délégations sont restées chacune à leur place, surtout l’américaine qui était très réticente à changer de place. J’ai insisté et l’ai finalement emmenée à la place de l’Afrique du Sud pour que les deux délégations puissent se parler. Elles ont décidé de se rencontrer ce matin, pour trouver un accord. Mais c’est difficile, il faut faire parler les gens.
Ce contact en marge des discussions officielles est particulièrement important. Il arrive d’ailleurs souvent que l’on interrompe la séance pour que les délégués se parlent dans le coin de la pièce et reviennent ensuite avec une solution. Évidemment, plus on se connaît plus le contact est facile. Si l’on ne comprend pas du tout ce que quelqu’un dit, on peut proposer d’aller prendre un café et approfondir la conversation.
Après Copenhague, plusieurs d’entre nous ont pris l’habitude de réunir un groupe de négociateurs de différents pays, notamment européens, et quelques pays en voie de développement, dont l’Égypte et l’Arabie Saoudite, avec qui l’on s’entendait très mal. C’est justement parce que cela s’était très mal passé sur certains sujets à Copenhague que l’on a décidé que l’on avait besoin de mieux se connaître. On a donc pris l’habitude d’organiser un dîner où l’on parlait bien sûr du travail, mais également de la vie normale. En arrivant à Cancún l’année suivante, on pouvait aller voir l’ambassadeur égyptien et lui demander pourquoi le G77 adopte telle ou telle position, ou de nous expliquer la position saoudienne ou ses rapports avec l’Afrique du Sud.
Ces contacts sont cruciaux, et deviennent parfois de véritables rapports d’amitié. Je participais à une réunion informelle, en 2010, après Copenhague et avant Cancún, et tout le monde y parlait de la nécessité de rétablir la confiance. Pendant ce temps, certains négociateurs (de Barbuda, de la Commission, et moi-même) échangions par messages, quelqu’un écrivant en plaisantant : « j’en ai marre, si quelqu’un dit confiance encore une fois je quitte la salle ! ».
La négociation est un jeu complexe, à différents niveaux, et cela se concrétise aussi à travers la construction de ces relations interpersonnelles. Quand on ne connaît pas quelqu’un on a du mal à estimer ce qu’il cherche précisément. J’ai eu du mal à juger ce que voulait une négociatrice américaine hier, parce que je ne la connaissais pas, elle venait d’arriver. Je ne comprenais pas pourquoi elle ne voulait pas parler avec les autres négociateurs, pourquoi elle avait l’instruction de bloquer… Si l’on cherche à être ami avec tout le monde, ce n’est pas forcément très intéressant, mais si l’on arrive à connaître les autres représentants suffisamment pour bien travailler avec eux, on est devient un meilleur négociateur.
Vous avez mentionné vos débuts lors de la COP6. Cela fait donc plus de 15 ans que vous participez à ce processus. Au cours de cette période, qu’est ce que vous jugeriez comme votre plus belle réalisation ?
Bientôt 18 ans, cela m’effraie de le dire ! Je pourrais déjà commencer par ce qui n’était pas le beau moment : l’échec de Copenhague. Une journaliste avait alors écrit un article dans lequel elle mentionnait avoir rencontré Paul Watkinson assis par terre avec une tête d’enterrement, ce qui décrivait bien mon esprit ce matin-là.
Le plus beau moment était évidemment l’Accord de Paris et la réussite de la COP21. Plus que le conclusion de la conférence, j’évoquerais le matin de la présentation du texte en séance plénière. Je me souviens de l’émotion dans la salle, le sens de réalisation et de réussite. Il restait des choses à résoudre dans les dernières heures, mais la sensation que tout le monde se réunit dans la salle pour soutenir cet accord a été extraordinaire.
Ensuite, concernant le contenu, je pense que c’est un bon accord. J’aime particulièrement l’article 2.1.c., qui fixe un objectif de transformation des flux financiers : c’est le « shifting the trillions » comme on dit souvent. Le processus pour parvenir à un accord est un travail collectif, mais j’ai organisé une bonne partie des réunions informelles pour créer les conditions de réussite des négociations. Si l’on fait cela comme un bulldozer qui avance en pensant qu’à force d’avancer on arrive à quelque chose, ça ne marche pas. Il faut une certaine stratégie, il faut jouer tactique à quelques moments, mais il faut surtout aider chacun à trouver le chemin qui mène à cette salle le samedi matin et ensuite le samedi soir, lorsqu’on a adopté ce texte à Paris il y a deux ans.
Sources
- Rappel historique. La Convention Cadre sur la climat a été adoptée en 1992, le Protocole de Kyoto en 1997 et l’Accord de Paris en 2015. La COP correspond à la conférence des parties sous la Convention, la CMP à la conférence des parties sous le Protocole de Kyoto, et la CMA à la conférence des parties sous l’Accord de Paris. La convention comprend 197 parties, 196 pays ainsi que l’Union Européenne. Les parties se réunissent au moins deux fois par an, lors de la COP en novembre/décembre et en mai/juin, lors des intersessions.
- Définition. Une COP est traditionnellement divisée en deux parties : la partie strictement négociations et une partie comprenant des conférences thématiques, appelées « side-events » permettant de présenter et de discuter de sujets plus concrets.