Cet entretien s’inscrit dans le projet « Maires Méditerranée », qui se fonde sur deux hypothèses. D’une part, le bassin méditerranéen est souvent pensé comme un espace divisé, soit du fait d’une vision binaire Nord-Sud, soit du fait de la diversité des régions concernées (Europe, Maghreb, Machrek, Proche-Orient, etc.). Ainsi, les visions scindées de l’espace méditerranéen seraient un obstacle et rendraient difficile la mise en place de politiques communes réellement cohérentes et efficaces entre les différents acteurs du pourtour méditerranéen.
En conséquence, ces divisions seraient nourries par les perceptions et actions des acteurs politiques nationaux. Les maires pourraient, dès lors, être les acteurs politiques locaux privilégiés pour la création d’un imaginaire commun méditerranéen et la mise en place de politiques méditerranéennes communes.
C’est dans l’objectif de confronter ces hypothèses et de trouver le moyen de faire du bassin méditerranéen un réel espace de coopération, de création et de partage de richesses (économiques, sociales, culturelles, etc.) que le projet « Maires Méditerranée » propose une série d’entretiens avec les maires des principales villes du pourtour méditerranéen : de Tunis à Barcelone, de Marseille à Lampedusa, de Thessalonique à Zadar, etc.
Que signifie pour vous la Méditerranée ? Peut-elle être considérée comme une ressource pour votre ville ?
Je suis maire d’une ville portuaire : les thématiques liées aux ports me sont donc assez habituelles. Cependant, j’avoue de ne pas avoir une vision globale de la Méditerranée, entendue comme vision stratégique. Je perçois la Méditerranée à partir de l’espace dans lequel nous nous inscrivons : l’Adriatique. Ancône entretient des relations et un rapport de concurrence avec les ports des autres villes des côtes adriatiques (qui vont de Bari jusqu’au Nord de la mer), plus qu’avec les autres ports méditerranéens. En effet, l’origine et la destination de la majeure partie des marchandises et des passagers qui transitent par le port d’Ancône se trouvent entre le Sud-Est de l’Europe, le centre de l’Italie et le centre et le Nord de l’Europe. Il s’agit donc d’une ligne directrice qui ne croise pas de manière si évidente l’autre ligne directrice méditerranéenne, celle de la mer Tyrrhénienne.
Ancône est le port italien avec le flux le plus important de transport de passagers…
Ancône est, évidemment, un port aux multiples vocations. En ce qui concerne le transport des passagers, il s’agit effectivement du premier port italien. Ce n’est en revanche pas le cas pour le transport des marchandises. Les destinations principales de ces transports sont l’Est et du Sud de l’Europe (Grèce, Croatie, Albanie).
Quel rapport entretiennent la mairie d’Ancône et les autorités portuaires ?
Nous avons, en ce moment, un bon rapport. Historiquement, cela n’a pas toujours été le cas – comme, j’imagine, dans toutes les villes où coexistent des autorités communales et des autorités portuaires. Disons que, depuis quatre ans, la collaboration fonctionne bien. Cela s’explique par un concours de circonstances, notamment par le fait que le président actuel des autorités portuaires, issu du milieu local, pose un regard différent sur les relations entre le port et la ville, comparé à quelqu’un qui n’aurait pas d’expérience au niveau local. A cela s’ajoute notre investissement dans l’administration communale, c’est-à-dire notre effort pour maintenir un bon rapport entre la ville et le port, qui n’est pas pensé en termes conflictuels, mais plutôt dans une optique de gouvernance collaborative. Cela a été très bénéfique pour la ville comme pour le port.
Avez-vous établi des rapports avec vos homologues étrangers ?
Oui, surtout avec les pays de l’ex-Yougoslavie. En particulier avec Split, voisine de palier d’Ancône, de l’autre côté de l’Adriatique en Croatie – tant pour le transport passagers que pour des questions historiques. En effet, dans l’entre-deux guerres, la majeure partie du territoire croate était colonisé par l’Italie ; ce qui a nécessairement créé des problèmes, mais qui a surtout instauré une coutume historique entre les deux rives, en particulier avec Zadar. La vraie ville de référence – au sens large – pour Ancône est Zadar ; en termes purement portuaires il s’agit, de Split, dont les relations sont surtout de nature touristique.
Au cours des dernières décennies, on a assisté à l’intensification des flux avec l’Europe des Balkans et la Grèce. En 2008, Ancône a été choisie comme siège permanent du Secrétariat de l’initiative Adriatique-Ionique…
Le Secrétariat est une structure administrative, ce n’est rien de particulier. L’initiative Adriatique-Ionique a donné lieu à la reconnaissance d’une macro-région : la région Adriatique-Ionique. Elle a également permis une allocation de ressources, c’est-à-dire à des financements destinés à cette zone géographique. Ce sont des projets en phase de développement, qui n’ont donc pas apporté, pour l’instant, de grands résultats… En ce sens, les financements spécifiquement réservés – au total 50 millions d’euros, qui représentent une somme importante dans l’absolu mais très peu par rapport à la région dans son ensemble – constituent, au-delà des résultats économiques qu’ils peuvent permettre, un phare pointé sur une zone géographique, qui peut aussi se révéler utile dans d’autres situations. Par exemple, lorsqu’il s’agit de définir le rôle du port d’Ancône dans la zone du moyen-Adriatique, le fait d’être au centre et à l’intérieur de cette aire stratégique, est, d’un point de vue géopolitique, un élément d’appui. Cependant, en toute sincérité, ces histoires autour de l’initiative Adriatique-Ionique ont été un peu surévaluées…
La City Mayors Foundation vous a récemment remis le World Mayor Price, prix internationalement reconnu. Selon vous, quels sont les éléments de votre action administrative et politique qui vous ont permis de gagner ce prix ?
Le prix m’a été accordé pour les réalisations que j’ai accomplies, mais surtout pour la relation que j’ai réussi à établir avec les citoyens.
Vous avez toujours affirmé le fait que les changements et les améliorations nécessitent du temps. Par conséquent, vous adoptez un discours – notamment lors de débats télévisés et de conférences auxquels vous participez – qui se distingue radicalement de ceux que l’on a l’habitude d’entendre. Que pensez-vous des propositions « jetables » (« usa e getta ») des partis actuellement au gouvernement ? Plus précisément, est-il possible, selon vous, de proposer un discours politique plus sobre, plus décent, qui s’opposerait au style populiste, et qui découlerait d’une approche administrative et politique transparente ?
Abstraitement, c’est sûrement possible. Au cours de mon expérience, modeste, j’ai compris que le pari, pour une ville de taille moyenne comme Ancône était bien celui-ci : proposer aux citoyens un style comme le mien. Et voir s’il ne s’agissait que d’un beau rêve abstrait ou s’il était possible de le réaliser concrètement. Cela a été possible. Est-il possible de l’appliquer au reste de la politique en général ? Je ne sais pas. Mais d’instinct, je dirais que oui.
Comment vous positionnez-vous au sein du Parti Démocratique ?
Je pense que, malgré les limites objectives du PD, il reste la seule voie pour essayer de porter des idées justes et utiles : ou, si l’on veut, « de gauche. » Pour moi, être de gauche signifie ceci : agir concrètement pour améliorer ici et maintenant la vie du plus grand nombre possible de personnes. Si l’amélioration des conditions de vie du plus grand nombre est une fin, je considère qu’aujourd’hui, en Italie, le PD est le moyen principal pour réaliser cet objectif. Ainsi, à la différence de beaucoup de gens, je ne blâme pas le PD. J’essaye, au sein du PD, de « contaminer » les autres membres par mon style et mes idées, en m’appuyant sur ma force qui est l’exemple concret de l’administration d’Ancône : c’est-à-dire, non pas sur les choses que je dis, mais sur les choses que nous essayons de faire, en cohérence avec ce que je dis. J’avoue que, pour l’instant, je suis en train de produire un peu de contamination. J’aimerais insister sur ce point : je pense vraiment que l’exemple concret est « contagieux », au bon sens du terme. Comme le disait Sandro Pertini (ex-président de la République italienne, ndlr) : les jeunes n’ont pas besoin de morales et sermons sur les valeurs, mais d’exemples. Les valeurs, et tout le reste, se transmettent par la pratique : cette dernière donne une force de persuasion beaucoup plus forte que tout type de discours.
Cette idée de concrétisation, de réalisations et d’actions concrètes, dérive en premier lieu du fait que vous êtes maire d’une ville. À votre avis, est-ce que les maires pourraient constituer, d’une manière générale, des acteurs à part entière des politiques menées à l’échelle nationale ? Le PD devrait-il se renouveler à partir des maires ?
Absolument. En l’état actuel des choses, dans notre pays, je pense que l’ensemble des maires, même ceux du centre-droit, même ceux du Mouvement 5 Étoiles (comme par exemple, l’ex maire de Parme, Federico Pizzarotti, élu maire de Parme en 2012 sous l’étiquette M5S et réélu en 2016 sous une étiquette indépendante, ndlr.), constituent la seule institution encore vitale de l’Italie. Les communes aussi, mais plus particulièrement les mairies. Même Madame Raggi (maire de Rome depuis 2016, membre du M5S, ndlr.) ! Parce que l’expérience de maire nous fait profondément changer. Au début du mandat de maire, on peut avoir un certain regard sur la réalité : après cinq ans, ce regard évolue nécessairement. Indépendamment de l’approche de départ, c’est l’expérience qui, dans une certaine mesure, nous façonne. Le politique a, aujourd’hui, un besoin incommensurable de retourner à l’interprétation de la réalité, à la concrétude des choses : et, en tant que maire, cette réalité est toujours là, pesant sur vos épaules. Je suis donc convaincue que les maires italiens peuvent constituer une véritable ressource.
Quel est votre rapport avec les maires italiens ?
Nous entretenons de bons rapports. Aujourd’hui, nous travaillons à la reconstruction des relations avec les communes les moins peuplées des Marches. Le problème historique de la ville d’Ancône – problème partagé, j’imagine, par toutes les villes portuaires, mais qui est très prégnant à Ancône – est le fait que, pendant des siècles, la ville s’est considérée comme une sorte d’île. L’ouest de la ville – l’arrière-pays – a dès lors toujours eu un rôle plus ou moins secondaire. En revanche aujourd’hui, pour une série de raisons très concrètes et pratiques (comme le transport des système de broyeurs d’ordures, le système hydraulique, etc.), il est évident que le rapport avec les autres communes est beaucoup plus d’actualité – ce dont témoigne, par exemple, l’initiative Adriatique-Ionique. Et c’est sur ce point que je voudrais insister, car c’est un point saillant de mon administration. Il ne s’agit pas de renier la vocation transfrontalière d’Ancône, c’est-à-dire tournée vers l’Est, mais de porter au premier plan nos rapports avec l’Ouest. J’avoue qu’aujourd’hui, de ce point-de-vue, ces rapports se sont nettement améliorés.
Vous vous êtes longtemps occupée d’environnement, en particulier en ce qui concerne la gestion des flux d’eaux. Quel est le rôle des ressources hydrauliques au niveau national, local et méditerranéen ? En particulier, quels sont les aspects dont il faut tenir compte lorsqu’on parle de « protection hydraulique » ?
En ce qui concerne les dynamiques d’approvisionnement hydraulique, je les considère comme un service typiquement régional – qui dépasse la simple dimension municipale. Le service hydraulique est, dans notre réalité territoriale italienne, le service typique dans lequel la ressource n’est ni à 0 ni à 5000km, mais plutôt à 50km.
De plus, les ressources économiques nécessaires à de telles exploitations sont très importantes, mais ne vont pas jusqu’à nécessiter l’intervention de multinationales. Disons que l’eau est la ressource typique pour laquelle une gestion à l’échelle des provinces me paraît appropriée.
Ce qui contribue à renforcer, comme vous disiez tout à l’heure, la coopération au niveau régional et « vouée au territoire »…
Oui, exactement. C’est bien de penser aux Balkans, mais il faut aussi penser aux Marches… Surtout que cela ne concerne pas uniquement la bonne eau potable, mais également et en premier lieu, les égouts et l’épuration. Dans cet objectif, nous pouvons envisager une échelle plus « méditerranéenne. » En effet, si le service d’épuration et de collecte des eaux usées est inefficient, les eaux polluées commencent à circuler dans toute la Méditerranée… Arrivent à Ancône, par exemple, les eaux non-épurées de la lagune vénitienne…
Une question se pose naturellement, en lien avec les récents développements dans la lutte contre le plastique : vous avez lancé une initiative qui interdisait l’utilisation de produits en plastique à utilisation unique sur la plage l’été dernier. Pensez-vous qu’il soit possible de changer les choses en partant d’un niveau local et d’un niveau européen ? Quelles sont les meilleures stratégies à suivre ?
Je pense que c’est possible, en faisant ce que nous sommes en train de faire, et pas seulement. C’est une de ces frontières où le combat ne se mène pas qu’au niveau normatif national ou supranational européen, mais également en prenant des décisions précises qui, d’ailleurs, en ce qui concerne cette thématique, ont déjà été prises. En ce sens, le rôle des villes, prises dans leurs singularité et dans leur répartition capillaire, est absolument fondamental, de même pour ce qui concerne les relations entre les communes et les citoyens. Il faut donc combiner deux niveaux : un niveau de décision normatif national et un supranational, et une responsabilité active au niveau local.
En ce sens, d’un point du vue plus général, je pense que chacun doit faire son métier chez soi. Je me méfie toujours de ceux qui regardent très loin mais qui ne bougent même pas un galet chez eux. Et, pour un maire, ça veut dire commencer par sa propre ville. Le niveau national ou supranational peut être un soutien, dans d’autres situations, ou un support pour établir des relations ; mais seulement en commençant par le plus proche du proche, c’est-à-dire par sa propre ville.
La Chine se situe depuis quelques mois au cœur de l’actualité italienne, avec l’adhésion du gouvernement italien au projet de la nouvelle route de la soie chinoise. L’attention s’est particulièrement focalisée sur les ports de Trieste et de Gènes, qui pourraient faire l’objet de cessions au gouvernement chinois. Avez-vous déjà envisagé ou reçu des offres de proposition de cession partielle ou totale du port d’Ancône ?
En ce qui concerne strictement la Route de la Soie, je n’ai pas reçu de propositions. J’ai néanmoins reçu des propositions d’autres entités locales chinoises. On m’a en particulier proposé de rencontrer le maire d’une ville chinoise de 12 millions d’habitants, Shenzhen, que je ne connaissais même pas avant ! La proximité de nos modèles portuaires a été mise en avant. Or, en terme de démographie, si Shenzhen est une ville, alors Ancône est un tout petit hameau ! Je lui ai présenté mon conseiller sur les thématiques portuaires, ils m’ont présenté leur conseiller des questions africaines… Lui, avait certainement une stratégie sur la Méditerranée !
Quoi qu’il en soit, au regard de ces multiples dynamiques locales chinoises, nous sommes en mesure de créer, au-delà de quelques échanges de courtoisie, de potentielles coopérations sur le plan économique. Par exemple, cette délégation chinoise dont je parlais est venue en Italie par intérêt pour notre viticulture et notre gastronomie. À partir de cela, ils souhaiteraient s’étendre, en opérant des accords et en prévoyant l’ouverture d’un office de tourisme chez nous et chez eux – pour la promotion et l’échange de touristes. Mais, objectivement, en effectuant un rapide calcul, il ne s’agit pas d’un rapport très proportionné même du point-de-vue des échanges touristiques : il de 12 millions de personnes contre 100 000…
Les Chinois ont également acheté nos principaux chantiers navals. À Ancône, nous avons deux types de chantiers. Le principal, Fincantieri, chantier historique qui construit de gros bateaux de croisière (qui sont vendus, entre autres, à MSC) ; et des chantiers plus petits, spécialisés dans la construction non pas de navires mais de yachts de 70 à 80 mètres de longueur, en phase d’expansion. L’un d’entre eux, l’ex-chantier Ferretti, (Cantiere Riva Super Yacht Yard, ndr), a été acheté par la Chine. Les Chinois veulent des yachts.
Pour résumer, nous devons instaurer un rapport bilatéral à travers ces projets. Il s’agirait, dès lors, qu’Ancône soit considérée comme un point d’accostage, ou comme une destination – et pas uniquement comme lieu de transit, en confondant Ancône avec ses environs, Rome en premier lieu…
Et, de manière plus générale, que-pensez vous des rapports entre la Chine et l’Italie ?
Je pense, au-delà de toute appréciation positive ou négative et de tout jugement manichéen, que ces rapports sont inévitables. Il est fondamental de comprendre comment les gérer sans rentrer dans une condition de subordination… Ce risque est totalement objectif, étant donné la situation de déséquilibre où l’on se trouve, d’une part David, et de l’autre Goliath… En ce sens, la dimension européenne est absolument nécessaire. C’est évident. Même s’ils les expriment avec courtoisie, les Chinois sont parfaitement lucides et conscients de leurs intérêts…
Mais on ne peut donc pas compter que sur leur gentillesse. Il faut être conscient du rapport de forces et de pouvoirs qui s’instaure. Un équilibre pourrait être permis par une Europe moins ectoplasmique que l’organisation actuelle.
Passons au sujet de l’immigration. Comment Ancône a-t-elle vécu la crise des migrants ? Où en est le processus d’intégration d’Ancône ? Pensez-vous qu’un « modèle Ancône » peut exister pour la gestion des flux migratoires ?
La ville d’Ancône – son opinion publique – a, en général, une attitude d’ouverture par rapport au monde et par rapport au phénomène migratoire. Toutefois, « port ouvert » ne signifie pas frontières ouvertes. Si la question est : est-ce que tous celles et ceux qui vivent dans une situation de souffrance économique, sociale, civile, etc., ont le droit d’être accueillis en Italie ? La réponse est non. Évidemment, d’un point-de-vue moral, la réponse est oui. Cela signifierait que les trois quarts de la population africaine pourraient dès lors obtenir un visa d’entrée sans devoir mourir en mer, entre autres, puisqu’à ce moment-là, pourquoi prendre un tel risque ? Ils effectueraient la demande en ambassade, obtiendraient le visa, arriveraient en Italie, en Europe, etc. Mais cela voudrait dire que l’Europe compterait, dans les prochaines années, 500 millions de personnes supplémentaires.
Une alternative raisonnable était, non pas la loi Bossi-Fini, mais la loi Napolitano-Turco. Cette loi prévoyait des quotas d’entrée : c’est-à-dire qu’il était possible d’imaginer absorber, chaque année, des migrants économiques (qui représentent plus des trois quarts des migrants en général – même si ces dénominations sont assez sophistiques). Néanmoins, dans des situations extrêmement graves et extrêmes – comme la guerre en Syrie ou au Yémen – il faudrait évidemment prévoir des canaux humanitaires pour évacuer des dizaines de milliers de personnes… mais pas des millions. Intégrer des millions de personnes est impossible ! De plus, la majeur partie d’entre eux – j’en ai vu beaucoup, puisque nous adhérons, entre autres, au Système de Protection des Demandeurs d’asile et des Réfugiés (SPRAR) – sont pauvres et sans éducation. Et ils ne comprennent pas notre langue – ils maîtrisent, au mieux, quelques notions de français ou d’anglais. Et, après six mois d’accueil, que peuvent-ils faire ? Dans le meilleur des cas, ils travaillent au noir… Le statut de réfugié – y compris le titre de séjour humanitaire, qui a été supprimé avec le décret-loi Salvini de novembre-décembre 2018 – n’est reconnu que pour 47-48 % des demandeurs. C’est ce fait, très concret, et qui ne dérive pas de questions idéologiques ou racistes, qui constitue une bombe sociale : celui d’avoir, dans une ville comme Ancône, quelques centaines de personnes qui vivent au jour le jour, contraints de se débrouiller tous seuls. En ce sens, organiser une manifestation « ports ouverts » à Ancône n’aurait pas de sens.
À Ancône, 13 % de la population résidente est étrangère – de première ou de deuxième génération. Dans certains quartiers, on atteint 30 à 40 %. Or, en six ans, je n’ai jamais enregistré d’épisodes de racisme ; j’ai au contraire été témoin d’autres types de comportements vis-à-vis des étrangers. Mais cela s’explique justement par le fait qu’il s’agit de personnes qui sont résidentes et qui ont un permis de travail ou de séjour – certains ont même la citoyenneté – et qui bénéficient, en somme, d’une position stable et d’une situation régulière. C’est différent avec les étrangers en situation irrégulière : par exemple, au sein des groupes de Nigériens, la situation de certaines filles qui se prostituent s’est aggravée.
Vous prônez donc un modèle de régularisation des entrées, accompagné d’une forte politique d’intégration : comment le mettre en pratique ?
Il y a des initiatives politiques d’intégration qui fonctionnent, comme par exemple l’école. En ce sens, il est évident que l’apprentissage de la langue est absolument fondamental. Nous avons, par exemple, mis en place une série de projets et d’initiatives pour apprendre l’Italien aux femmes. Il y a, chez nous, un grand nombre de Bengalais – dans la culture desquels les femmes ne travaillent pas. Il est nécessaire pour intégrer ces femmes – et je ne parle même pas d’émancipation – qu’elles apprennent la langue du pays dans lequel elles vivent. Nous avons donc organisé des cours pour les femmes à un horaire et dans un lieu pratiques et appropriés – le matin après avoir accompagné les enfants à l’école, près de ces mêmes écoles, et non pas le soir.
Nous avons également lancé d’autres initiatives, grâce à des financements régionaux et européens. Et plusieurs centaines de femmes, ce qui est significatif.
En ce sens, les édifices des écoles publiques dépendent de la mairie, bien que l’enseignement dépende du Ministère. En tant que mairie, nous avons donc mis en place un programme permanent avec plus de 54 communes. Il s’agit d’un programme « extracurriculaire. » Une des initiatives a été, par exemple, la récolte de fables provenant de tous les pays du monde, et la création d’un petit théâtre de quartier, le théâtre « de la Communauté », qui a mis en scène ces fables. Ou encore, un collectif de femmes du Mozambique – qui s’est rebellé avec une association qui s’appelle « Free-Women » – ont fabriqué des turbans avec des vieilles couturières du quartier de Colle Marino…
En ce sens, quels sont les initiatives culturelles locales liées à l’identité méditerranéenne ?
Nous avons beaucoup de projets, dont certains n’ont pas encore été réalisés. Le plus important, qui a pour objectif d’accroître la visibilité de la ville, aussi d’un point de vue extérieur, est la construction d’un pôle d’activités culturelles nommé Mole Vanvitelliana. Il s’agit d’un pentagone sur la mer, situé au milieu du port, où se trouvait le vieux Lazzaretto. Ce bâtiment a subi multiples transformations au fil des siècles. Il est depuis quelques années, un centre culturel d’expositions. La dernière innovation du projet porte sur l’ajout de restaurants et de magasins. Ce centre va devenir le cœur battant de la ville, fondé sur la contemporanéité, avec des expositions d’art et de photographie… Nous y avons beaucoup investi. En répondant à des appels d’offres nationaux, nous avons par exemple bénéficié d’un financement de 8 millions d’euros. J’encourage chacun à venir à Ancône et à découvrir cet endroit merveilleux : à la fois en centre de la ville et hors du monde !