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Les États-Unis pourraient entrer en guerre directe avec l’Iran. En cas d’escalade au Moyen-Orient, dans quelle mesure l’Union européenne serait-elle préparée à faire face à une envolée des prix du pétrole, qui pourraient atteindre jusqu’à 100 dollars le baril ?
Le marché de l’énergie est par nature volatil et les évolutions géopolitiques ont un impact majeur sur ses fluctuations. Il est impossible de prédire comment la situation évoluera dans les prochains jours. Mais nous sommes préparés à faire face à la volatilité des marchés. Si nécessaire, nous réunirons les ministres de l’énergie des États membres pour envisager des mesures supplémentaires.
Pour moi, cela confirme une fois de plus la nécessité de rester concentrés sur notre objectif de réduction de la dépendance aux énergies fossiles, qui nous rend trop vulnérables. Rien que l’an dernier, nous avons dépensé plus de 400 milliards d’euros pour ces importations. Nous avons annoncé vouloir sortir du pétrole, du gaz et du charbon : il faut donc rester cohérents et avancer dans cette direction, au lieu de continuer à payer toujours plus pour ce dont nous souhaitons nous affranchir.
L’évolution actuelle du prix du pétrole souligne, encore une fois, l’urgence d’accélérer la transition verte et de mettre fin à notre dépendance aux énergies fossiles — en particulier celles en provenance de pays comme la Russie.
Avec le conflit au Moyen-Orient, l’Europe risque-t-elle une nouvelle crise énergétique, semblable à celle qu’elle a connue en 2023 après la réduction des flux de gaz russe ?
Je ne veux pas spéculer sur ce scénario. Je voudrais insister uniquement sur un point : il faut accélérer notre transition énergétique.
Cette situation rappelle brutalement nos dépendances : la meilleure manière de les surmonter est de produire de l’énergie propre en Europe.
Vous avez présenté cette semaine une feuille de route pour éliminer les importations d’énergies fossiles russes d’ici 2028. Ce projet est ambitieux : il pourrait transformer le paysage énergétique européen. Pourquoi ce moment est-il, selon vous, si décisif ?
Jamais l’Union européenne n’a proposé une mesure aussi forte. Nous préconisons désormais une rupture franche : l’interdiction d’importer des combustibles fossiles en provenance de Russie. C’est un pas inédit, que nous ne prenons pas à la légère. Cela va profondément modifier, en effet, notre paysage énergétique.
C’est une mesure indispensable.
La Russie a utilisé l’énergie comme une arme contre nous à de multiples reprises.
Il ne serait ni fiable ni rationnel sur le plan économique de continuer d’importer de l’énergie en provenance de ce pays. Nous ne voulons pas revivre une situation dans laquelle elle pourrait nous faire chanter, comme elle l’a fait avant l’invasion de l’Ukraine. Il ne faut pas oublier que la Russie a délibérément réduit ses livraisons de gaz pour créer une crise énergétique.
Notre proposition vise à éviter que cela ne se reproduise.
La Russie a prouvé qu’elle était un partenaire instable et un acteur agressif. Reprendre les importations de gaz russe serait une grave erreur.
Disposez-vous du soutien politique nécessaire pour faire aboutir ce plan ? La Hongrie et la Slovaquie, notamment, ont souligné l’importance stratégique de l’énergie russe pour leur économie et ont toujours des relations avec des fournisseurs russes.
Je suis optimiste quant à son adoption.
C’est une proposition ambitieuse, mais elle ne nécessite qu’une majorité qualifiée. Je suis conscient que trois ou quatre États membres pourraient s’y opposer. J’aimerais évidemment qu’elle soit adoptée à l’unanimité, mais si cela n’est pas possible, nous devons tout de même avancer.
Quel est votre calendrier ?
Notre objectif est que la proposition soit adoptée et entre en vigueur d’ici la fin de l’année 2025. Il est évident que nous devons tout faire pour empêcher la Russie de poursuivre sa guerre en Ukraine — et l’énergie est un levier clef.
Nous ne pouvons pas continuer à financer sa capacité de nuisance.
À plus long terme, même si nous espérons tous la paix, cela ne changera pas fondamentalement notre relation avec Moscou. La Russie a prouvé qu’elle était un partenaire instable et un acteur agressif. Reprendre les importations de gaz russe serait une grave erreur.
Certains envisagent un avenir où Vladimir Poutine ne serait plus au pouvoir et où une nouvelle Russie émergerait. Cela pourrait rouvrir la porte à de grands projets d’infrastructure comme le gazoduc Nord Stream. Serait-ce une autre erreur ?
Nous n’en aurons pas besoin.
Nous ne dépendrons plus du gaz russe car notre économie aura été entièrement décarbonée.
Chaque année, nous réduisons un peu plus cette dépendance — par prudence à court terme, et par volonté d’autonomie à long terme. Notre stratégie consiste à accélérer la transition verte et bâtir une économie décarbonée.
Cela permettra à l’Europe de fonctionner avec une énergie propre, durable, au lieu de dépenser 400 milliards d’euros par an dans les énergies fossiles. C’est notre cap.
Pour le moment, l’Europe est pénalisée. Les entreprises européennes affirment payer deux à trois fois plus pour l’énergie que leurs concurrentes américaines ou chinoises. Comment parvenir à une énergie propre, abordable et provenant de sources d’approvisionnement sûres ?
Notre stratégie vise justement à répondre à ces trois défis.
Nous devons lutter contre le changement climatique en décarbonant notre économie. En parallèle, il est crucial de réduire les coûts de l’énergie, pour préserver notre compétitivité. Garantir un approvisionnement sûr et stable est également essentiel pour notre sécurité économique.
Ces sujets sont interdépendants. La bonne nouvelle, c’est que les solutions le sont aussi.
Y a-t-il un risque que les métaux rares deviennent l’objet d’un nouveau chantage géopolitique, comme l’a été le gaz russe ?
Nous devons éviter de remplacer une dépendance par une autre. C’est pour cela qu’il est essentiel de rester fidèles à notre stratégie : produire notre propre énergie plutôt que de l’importer d’ailleurs.
Cela implique aussi de sécuriser nos chaînes d’approvisionnement et de développer les compétences nécessaires à une production locale. Nous n’y sommes pas encore, mais si nous restons engagés sur la voie de l’indépendance énergétique, je suis convaincu que l’Europe a toutes les cartes en main pour montrer la voie.
C’est à nous, Européens, d’aller aussi vite que possible.
À l’avenir, nous n’aurons plus besoin de rouvrir Nord Stream.
Comment ?
En déployant les énergies renouvelables beaucoup plus rapidement.
L’an dernier, nous avons installé 78 gigawatts d’énergie renouvelable. Pour donner un ordre de grandeur, un gigawatt peut alimenter 500 000 foyers. Cela représente donc un volume significatif. Cette année, nous estimons que 89 gigawatts supplémentaires seront mis en service.
Mais si nous voulons vraiment faire tourner notre économie de manière propre, durable et efficace, ce n’est ni suffisant ni assez rapide.
Il faut changer d’échelle.
Nous devons réformer nos règles d’autorisation, renforcer les réseaux électriques et améliorer les interconnexions. Le concept d’Union de l’énergie connaît un nouveau souffle : la plupart des pays ont compris — et je le répète chaque jour — qu’il faut une Europe plus verte et plus connectée.
Au sein de la Commission, le débat semble divisé. Certains plaident pour un allègement des règles et un assouplissement des objectifs climatiques. D’autres veulent simplifier, sans renoncer aux ambitions. Où vous situez-vous ?
Nous sommes tous pleinement engagés en faveur du Pacte vert européen.
Cela a été clair dès le départ.
Cela contredit-il l’idée de simplifier les règles ? Pas du tout.
Les deux objectifs sont compatibles. Prenons l’exemple, très concret, des autorisations : plutôt que d’imposer des règles complexes qui ralentissent les projets, nous pouvons simplifier et accélérer les procédures. Simplifier ne veut pas dire renoncer au Pacte vert — au contraire.
Les États membres accepteront-ils l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 90 % d’ici 2040 ?
Nous restons pleinement engagés sur les objectifs déjà adoptés. Nous avons des plans clairs pour les mettre en œuvre, et c’est ce que nous ferons aussi pour l’objectif 2040. Ce chiffre n’est pas magique, c’est une boussole — c’est aussi le cœur de la vision de la Commission.
Nous le réaliserons car c’est nécessaire. Quand nous demandons aux citoyens et aux entreprises de croire à la transition, aux énergies renouvelables, nous ne pouvons pas hésiter ou changer de cap.
Cela ne contredit en rien notre volonté de pragmatisme, ni la nécessité de simplifier des règles trop lourdes. Cette simplification est même indispensable à une transition réussie.
Entendre les habitants de Nuuk, au Groenland, scander « Vive la France » dans les rues — c’est quelque chose que je n’aurais jamais imaginé
Les élections récentes montrent un certain rejet de l’agenda environnemental. Le vrai problème de l’action climatique réside-t-il dans sa mauvaise exécution ?
La société est polarisée. Certains voient dans la transition verte un atout compétitif et une exigence morale. D’autres ont le sentiment que leur niveau de vie et leur sécurité sont menacés.
C’est à nous, aux responsables politiques, de transformer ces préoccupations en actions concrètes. Car atteindre nos objectifs climatiques coûtera bien moins cher que l’inaction.
Le président Emmanuel Macron s’est rendu la semaine dernière au Groenland et a réaffirmé que le territoire n’était ni à vendre ni à prendre. En tant que Danois, comment avez-vous accueilli cette déclaration ?
En tant que commissaire européen et en tant que Danois, j’ai trouvé ce geste profondément apprécié, à la fois politique et symbolique.
Voir le président Macron au Groenland, entendre les habitants de Nuuk scander « Vive la France » dans les rues — c’est quelque chose que je n’aurais jamais imaginé, et pourtant, cela s’est produit.
C’est cela, la solidarité européenne.