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La Conférence sur l’Océan, qui se tient cette semaine à Nice sous l’égide des Nations unies, de la France et du Costa Rica, a réuni une cinquantaine de chefs d’État. Quel bilan tirez-vous des discussions ?

L’océan est ce qui nous relie tous.

Ce que nous faisons dans nos zones maritimes exclusives, en tant qu’États souverains ou en tant qu’Union, a des répercussions bien au-delà de nos frontières. L’action isolée ne suffit pas. Il nous faut une réponse coordonnée et cohérente. Aucun pays ne peut relever seul les défis complexes que pose la préservation des océans.

Lors de cette conférence, l’Union a présenté le Pacte européen pour l’Océan, une initiative visant à coordonner toutes les actions maritimes et à harmoniser les politiques afférentes. C’est la première fois que nous proposons une gouvernance intégrée des océans. À travers ce pacte, nous lançons un appel à la communauté internationale : travaillons ensemble. 

Notre projet a suscité un accueil positif de la part de nombreux partenaires. Il s’adresse en priorité aux pays vulnérables, ceux dont les écosystèmes sont en péril mais qui n’ont ni les moyens, ni la technologie, ni les ressources pour agir seuls. Beaucoup comprennent qu’il s’agit d’un problème mondial et se montrent réceptifs à nos propositions.

Le contexte géopolitique est marqué par la remise en cause des règles internationales et une multiplication des rivalités. Est-il encore crédible de s’appuyer sur une stratégie fondée sur la coopération multilatérale ?

Ce n’est pas une question de crédibilité, mais de responsabilité.

Au-delà des sphères politiques, tout le monde réclame des résultats. Une dynamique réelle est à l’œuvre même s’il est plus difficile de négocier aujourd’hui. Cela ne doit en rien nous décourager — au contraire. L’Union ne se dérobera jamais à la table des discussions, et nos partenaires le savent. Cette semaine encore, au fil des échanges avec les États d’Amérique latine, des Caraïbes ou du Pacifique, j’ai ressenti une volonté d’avancer. 

Les États-Unis ont un poids considérable dans la gouvernance internationale et leur présence aurait été précieuse. Cela dit, cette absence nous incite d’autant plus à jouer un rôle moteur en tant qu’Européens.

Costas Kadis

Nous avons tendance à insister sur les points de friction, mais il ne faut pas perdre de vue que le multilatéralisme reste, pour beaucoup, un idéal.

Les États-Unis n’ont envoyé qu’une délégation technique à Nice, sans représentant politique — le regrettez-vous ?

C’est évidemment regrettable. Les États-Unis ont un poids considérable dans la gouvernance internationale et leur présence aurait été précieuse. Cela dit, cette absence nous incite d’autant plus à jouer un rôle moteur en tant qu’Européens.

On parle souvent de ceux qui ne sont pas là, mais il faut surtout saluer ceux qui le sont. 

Cinquante pays ont déjà ratifié le Traité sur la haute mer, une feuille de route essentielle pour combler les lacunes juridiques en matière de biodiversité marine au-delà des juridictions nationales. Ce traité offrira un cadre de coopération internationale. D’autres ratifications devraient suivre. J’espère que, vu de l’autre côté de l’Atlantique, cela sera perçu comme un signal fort : le monde veut des alliances — et nous en construisons.

À l’inverse des États-Unis, la délégation chinoise s’est montrée très active. Faites-vous confiance à Pékin comme partenaire ?

Tout acteur engagé dans une gestion durable des océans peut devenir un partenaire. 

À cet égard, la Chine joue un rôle central, et sa coopération est indispensable.

C’est aussi l’un des plus grands pollueurs.

Justement. C’est une raison de plus pour dialoguer. Nous organiserons bientôt un sommet Union-Chine, au cours duquel ces sujets devront être abordés.

La pêche durable fait partie de mes priorités et, sur ce sujet comme sur le reste, il est essentiel que la Chine respecte une forme de réciprocité. C’est une condition de la confiance dans notre relation.

Le président Emmanuel Macron a annoncé que 15 pays supplémentaires s’étaient engagés à ratifier le Traité sur la haute mer, portant à 65 le nombre de signataires. Êtes-vous optimiste quant à son entrée en vigueur ?

Nous avons déjà accompli des avancées majeures : il ne manque que dix ratifications pour que le traité devienne effectif. J’ai bon espoir que cela pourra se concrétiser d’ici l’an prochain. Mais il nous faut maintenir l’élan. Pour cela, nous lançons une initiative sur le format des « coalitions de la haute ambition » (High Ambition Coalitions) destinée à soutenir les pays dans cette démarche. À ce jour, 41 d’entre eux y ont déjà adhéré.

L’Union est pleinement engagée à soutenir la ratification et la mise en œuvre du Traité, notamment par le biais de notre Programme mondial pour l’océan. Nous y consacrerons 40 millions d’euros pour aider les pays partenaires à protéger la biodiversité au-delà des frontières nationales.

Le monde veut des alliances — et nous en construisons.

Costas Kadis

Les discussions récentes sur l’avenir de l’Europe ont parfois viré au pessimisme — qu’on pense à la mise en garde de Mario Draghi sur la « lente agonie »… Diriez-vous que les Européens n’ont pas pris conscience de leur propre centralité dans ce processus ?

Sans l’impulsion européenne, nous ne serions pas aussi proches de faire entrer en vigueur ce traité décisif. La conférence de Nice est la preuve que l’Union peut encore rassembler, même dans un contexte difficile. 

Est-ce le retour que vous avez de la part des partenaires de l’Union ?

Oui : nos partenaires voient en l’Europe une force motrice.

Le président Lula était présent à Nice, de même que des délégations venues d’Afrique, d’Amérique latine, du Pacifique et des Caraïbes. 

À nous désormais de transformer ces partenariats en alliances.

Les grandes conférences environnementales, comme les COP, ont récemment perdu en crédibilité auprès des pays émergents notamment à cause de promesses non tenues sur les financements. Pourquoi pensez-vous qu’il pourrait en être autrement à Nice ?

La nature de cette conférence est différente car les négociations y sont plus ciblées, notamment sur la haute mer. L’accent est mis davantage sur l’application des mesures que sur leur financement. De ce point de vue, nous avons, je crois, une longueur d’avance par rapport aux COP.

Il faut aussi rappeler que tout cela est dans notre intérêt en tant qu’Européens : l’Union européenne est une communauté maritime. Nos côtes s’étendent sur plus de 70 000 kilomètres, et près de 40 % de la population vit à moins de 50 kilomètres du littoral. Or ces espaces sont eux aussi menacés par la perte de biodiversité et la surexploitation. Avec des politiques cohérentes à l’échelle européenne et mondiale, l’océan pourrait devenir source de multiples opportunités — économiques, environnementales et sanitaires.

Mais il y a une condition clef : le financement.

À Nice, ce sujet a ouvertement été affronté.

De nombreuses annonces s’accompagnaient en effet d’engagements financiers concrets et il serait inexact de dire que la conférence n’aurait produit que des paroles sans acte. 

Cela étant posé, il ne faudrait pas non plus tomber dans une forme de naïveté. Il faut le reconnaître avec lucidité : il existe un important déficit de financement.

Nos partenaires voient en l’Europe une force motrice.

Costas Kadis

Comment y faire face selon vous ?

Il nous faudra mobiliser aussi les capitaux privés : c’est précisément pour cela que la ratification du Traité sur la haute mer est essentielle car sans cadre clair, aucun investisseur ne prendra de risque.

La Commission donne aujourd’hui la priorité à un effort de simplification. Que répondez-vous à ceux qui y voient un abandon du Pacte vert et un désengagement écologique ?

Nous ne cédons sur rien, nous n’abandonnons rien — mais nous adaptons notre approche.

Le but reste le même : faire de l’Europe l’économie la plus compétitive et la plus durable. 

Ce qui évolue, c’est la méthode : la transition écologique ne doit pas se faire au détriment de notre compétitivité. Il en va aussi du bien-être de nos citoyens.

C’est la raison pour laquelle nous cherchons à réduire la bureaucratie et les lourdeurs administratives.

La durabilité repose sur trois piliers : l’économie, le social et l’environnement. Il ne s’agit pas de les opposer, mais de les faire progresser ensemble, de manière équilibrée.