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Alors que les États membres de l’Union et les autres pays visés par les droits de douane « réciproques » de la Maison-Blanche se sont vu accorder 90 jours de délai pour négocier un nouvel « accord » avec Donald Trump, chacun repense sa stratégie pour traiter avec un président américain de plus en plus imprévisible.
Il existe déjà une méthode diplomatique standard pour « gérer » Donald Trump.
Elle s’inspire de l’exemple donné par l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe lors du premier mandat du président américain. Si Abe avait l’avantage d’être un bon joueur de golf, il savait qu’il ne fallait jamais essayer de battre le président américain sur le green. Il avait compris qu’il valait mieux faire couler à flots les compliments devant les caméras de télévision.
De manière plus controversée, Abe était même prêt à aller jusqu’à encaisser quelques coups sans riposter.
Le Japon n’avait ainsi pas déposé de plainte auprès de l’OMC et n’avait pas non plus riposté aux droits de douane américains sur l’acier. Donald Trump avait également apprécié la volonté d’Abe de conclure un « mini-accord » commercial qui accordait aux agriculteurs américains la plupart, sinon la totalité, des concessions négociées dans le cadre du Partenariat transpacifique sans obliger les États-Unis à ouvrir leur marché aux importations automobiles japonaises.
À Washington, les diplomates étrangers en poste en ont pris note : la bonne manière de gérer l’ouragan Trump consiste à maintenir une ligne directe avec le président, à le flatter sans réserve sur son génie et à lui offrir des concessions cosmétiques qu’il peut facilement vendre à sa base et à son électorat.
Cette stratégie présente toutefois des limites évidentes.

Personne — ni l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, ni l’ancien dirigeant de Goldman Sachs Gary Cohn, ni l’ancien leader du Sénat Mitch McConnell — n’a réussi à ébranler la conviction profonde de Trump que les alliés exploitent depuis longtemps leurs relations économiques avec les États-Unis et que des droits de douane élevés et étendus sur les produits des pays amis sont une mesure corrective nécessaire.
Si Abe avait l’avantage d’être un bon joueur de golf, il savait qu’il ne fallait jamais essayer de battre le président américain sur le green.
Brad Setser
C’est en raison de cette conviction profondément ancrée que le Japon n’a jamais vraiment été récompensé pour l’habileté dont Abe a fait preuve dans ses relations personnelles avec Trump. Les exportations japonaises d’acier vers les États-Unis ne se sont d’ailleurs jamais vraiment remises de la première série de droits de douane. Et le pays doit aujourd’hui faire face à des droits de douane brutaux de 25 % sur ses exportations automobiles — pourtant essentielles pour son économie. Les droits de douane « réciproques » annoncés contre Kyoto sont enfin plus élevés que ceux dont Trump a menacé l’Union avant la « pause ».
Le précédent japonais oblige l’Europe à faire un choix.
Alors que le compte à rebours de 90 jours a commencé, aucun partenaire commercial majeur des États-Unis ne peut se permettre de ne pas s’engager dans la voie diplomatique avec Trump.
Mais aucun d’entre eux ne peut non plus gérer son économie en partant du principe que cette approche fonctionnera, car Trump a clairement exprimé sa volonté de renverser l’ordre commercial mondial.
Les conseillers du président des États-Unis savent combien il est difficile d’empêcher Trump d’être Trump et le même risque existe sur d’autres sujets de la relation transatlantique.
Ainsi, une discussion entre l’OTAN et les États-Unis sur les dépenses de défense européennes et l’achat d’armes américaines supplémentaires est tout à fait possible ; mais une discussion au sein du G7 pour essayer de contrer la décision — absurde — d’intégrer les glaciers fondants du Groenland aux États-Unis n’irait probablement pas très loin.
Ce n’est pas parce que l’on est américain qu’on est à même de donner de bons conseils sur la manière de traiter ce nouveau partenaire belliqueux de l’Occident. Mais ceux qui, aux États-Unis, continuent de croire que les alliés traditionnels sont une force pour l’Amérique ne sont pas plus mal placés que les autres pour essayer de faire œuvre utile.
Dans cette pièce de doctrine, nous proposons donc cinq grands principes qui pourraient guider une réponse collective européenne.
Ces cinq points, s’ils étaient mis en œuvre, permettrait de préserver les bases d’un partenariat économique et de sécurité solide pour l’avenir, quelle que soit l’évolution de la politique américaine.
1 — Faire du Draghi — avec un peu de Delors
Le déficit commercial américain a longtemps constitué une source importante de la demande européenne pour ses produits manufacturés.
Les exportations de l’Europe vers les États-Unis sont aujourd’hui près de trois fois supérieures à celles vers la Chine — et toujours deux fois supérieures si l’on exclut les échanges commerciaux qui sont peut-être surtout dus à la fiscalité avantageuse de l’Irlande dans le secteur pharmaceutique. Dans le monde actuel, remplacer une telle demande est presque impossible.
Les diplomates chargés du commerce international suggèrent parfois que de nouveaux accords commerciaux avec des pays comme l’Inde pourraient entretenir la flamme du libre-échange y compris en cas de retrait plus marqué des États-Unis. C’est peut-être vrai. Mais on ne fait pas fonctionner une économie sur la satisfaction morale qu’on tire du fait de montrer l’exemple. Il serait douteux que l’Inde, dont l’économie représente environ 4 000 milliards de dollars, se mette soudainement à importer pour plus de 500 milliards d’euros de produits européens 1.
Faire miroiter la possibilité d’une ouverture vers Pékin pourrait être une stratégie diplomatique séduisante, mais la Chine — tout comme l’Europe — est une source nette d’approvisionnement en produits manufacturés pour l’économie mondiale. Or ce dont l’Europe aurait besoin, c’est de remplacer la demande qui provenait des États-Unis — pas de se contenter d’un transfert de la demande vers les importations chinoises.
Pour une économie de la taille de celle de l’Union, la véritable alternative au marché américain, comme l’a clairement montré Mario Draghi dans son rapport, réside dans un marché intérieur plus fort, mieux intégré.
La bonne nouvelle, c’est que l’Europe est en meilleure position que beaucoup ne le pensent.
Les exportations vers les États-Unis représentent environ 3 % du PIB européen. C’est certes important, mais c’est une part plus facilement remplaçable que, par exemple, les quelque 20 % du PIB canadien que représentent les exportations d’Ottawa les États-Unis.
On ne fait pas fonctionner une économie sur la satisfaction morale qu’on tire du fait de montrer l’exemple.
Brad Setser
Par ailleurs, le commerce des marchandises en Europe, s’il est correctement évalué, est également proche de l’équilibre : si l’on exclut l’excédent de 100 milliards d’euros de l’Irlande dans les produits pharmaceutiques et chimiques — un artifice de transfert de prix qui ne reflète qu’une infime partie de l’activité réelle —, l’excédent commercial mondial de l’Europe tombe à environ 50 milliards d’euros. À titre d’exemple, l’Europe dépend déjà beaucoup moins de la demande mondiale que la Chine.
Le continent dispose en outre de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour faire face à un choc exogène avéré.
Les plus pessimistes sur l’intégration européenne aiment souligner que cette marge serait inégalement répartie au sein de l’Union européenne.
C’est vrai, mais ce n’est pas si préoccupant aujourd’hui dans la mesure où la plupart des économies les plus exposées à la fois à la disruption commerciale de Trump et au « choc russe » disposent également d’une marge budgétaire importante. L’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et — soit dit en passant — l’Irlande ont tous les moyens d’augmenter leur endettement. Par ailleurs, comme l’a souligné Mario Draghi dans son rapport, l’Union peut également emprunter collectivement à des taux bas pour atteindre ses objectifs communs. Au total, les indicateurs budgétaires de l’Europe sont meilleurs que ceux des États-Unis — mais l’Europe continue d’agir comme si les Américains étaient les seuls à disposer d’une marge de manœuvre politique.
Certes, un emprunt commun européen relève de la gageure au plan politique. Mais un exécutif américain sans précédent appelle une réponse européenne sans précédent.
Un endettement commun en matière de défense pourrait contribuer à répartir les dépenses militaires entre États membres pour éviter, par exemple, que l’Espagne ne profite gratuitement des efforts consentis par des pays comme la Pologne — et garantir une acquisition conjointe plus efficace des équipements de défense. Autrement dit, en travaillant ensemble, l’Europe pourrait en avoir plus pour son argent.

L’appel à l’intégration lancé par Mario Draghi devrait toutefois s’accompagner d’un chauvinisme européen intransigeant à la Delors.
Face au nouveau choc chinois, l’Europe a ainsi tout intérêt à essayer de maintenir sa propre demande. Draghi en est conscient lorsqu’il appelle à mettre en place des exigences de contenu local — « acheter européen » — pour les secteurs stratégiquement importants ou riches en emplois.
Si la Commission et certains États membres traditionnellement favorables au libre-échange s’inquiètent de tout écart par rapport à l’orthodoxie de l’OMC, il existe aussi une longue tradition européenne selon laquelle le marché unique ne devrait pas être partagé si facilement avec le reste du monde. Un tel état d’esprit correspond bien à la réalité de l’économie mondiale d’aujourd’hui, marquée par un retour de la brutalité. Il faut s’en servir et ne pas avoir peur de le revendiquer.
Les indicateurs budgétaires de l’Europe sont meilleurs que ceux des États-Unis — mais l’Europe continue d’agir comme si les Américains étaient les seuls à disposer d’une marge de manœuvre politique.
Brad Setser
2 — Ne pas tendre l’autre joue — mais ne pas non plus taper comme un sourd
En 2018, devant un groupe de chefs d’entreprise en visite en Chine, Xi Jinping s’était fendu d’un de ses petits aphorismes caractéristiques.
Avec morgue — et un discret sourire — il avait expliqué que, dans la culture occidentale, on répondait à un coup de poing en tendant l’autre joue, tandis que, dans la culture chinoise, on rendait toujours la pareille à une attaque.
Pour qui a déjà assisté à une bagarre dans un pub après quelques verres, il n’est pas sûr que l’analyse de la culture occidentale de Xi Jinping tienne vraiment le coup — mais l’instinct fondamental de riposte a malheureusement un certain mérite.
Sans représailles, toute négociation ne pourrait porter que sur la réduction d’une partie des nouveaux droits de douane américains en échange de changements dans des politiques européennes acquises de longue date. Cette situation est intenable : l’Europe devrait viser une trêve commerciale dans laquelle les deux parties désamorceraient la situation en retirant les nouveaux droits de douane tout en négociant sur les questions les plus épineuses de la relation.
Mais la nécessité de riposter n’est pas pour autant une raison pour réagir de manière imprudente.
L’Union ne devrait pas répondre coup pour coup aux droits de douane américains — compte tenu de la différence entre les échanges de biens mesurés, cela l’obligerait en effet à imposer des droits encore plus élevés que ceux annoncés par la Maison-Blanche. Une telle réponse obligerait par ailleurs l’Europe à prendre des mesures imposant à sa propre économie des coûts disproportionnés. Des droits de douane sur certains intrants essentiels comme le gaz naturel américain par exemple ne feraient ainsi qu’augmenter le prix du gaz en Europe.
Une réponse sensée et judicieuse consisterait à rechercher une symétrie de la mesure en elle-même plutôt que de l’impact de celle-ci. Nous entendons par là que, plutôt que de riposter à des droits de douane sur 20 milliards de dollars d’importations européennes par des droits de douane sur 20 milliards de dollars d’exportations américaines, l’Europe devrait répondre aux droits de douane sectoriels par des droits de douane sectoriels équivalents. Ainsi, les droits de douane sur les automobiles seraient contrés par des droits de douane sur les automobiles, ceux sur les produits pharmaceutiques par des droits de douane sur les produits pharmaceutiques, et ainsi de suite.
Une telle réponse, plus mesurée, aurait tout de même un impact sur les États-Unis — qui exportent environ 20 milliards de dollars d’automobiles vers l’Union et environ 50 milliards de dollars de produits pharmaceutiques. Mais si l’Union souhaitait signaler sa volonté de désescalade, les droits de douane américains de 25 % sur les automobiles — qui portent les droits de douane globaux à 27,5 % — pourraient être compensés par un droit de douane de 17,5 %, qui correspondrait au taux américain. De même, un droit de douane « de base » de 10 % pourrait être compensé par un droit de douane de 10 % — avec des exclusions uniquement lorsque celles-ci servent les intérêts européens.
L’Union ne devrait pas répondre coup pour coup aux droits de douane américains.
Brad Setser
Une telle réponse semble réciproque — du moins au sens où on l’entend. Elle permettrait en outre à l’Europe de garder en réserve son artillerie lourde en matière commerciale — l’instrument anti-coercition et les taxes éventuelles sur les plateformes numériques américaines et autres exportateurs de « services » — pour toute mesure américaine qui franchirait la ligne rouge et constituerait une coercition économique sans ambiguïté.
3 — Ne pas être naïfs — et même se risquer à être un peu stratège
Pour tenir tête aux États-Unis, l’Union doit commencer par avoir confiance en elle — en particulier dans sa capacité financière et commerciale face à Washington.
Elle devrait éviter à tout prix de se précipiter naïvement dans des accords qui lui seraient finalement préjudiciables.
Elle ne devrait ainsi sous aucun prétexte céder à la demande de l’administration Trump de réduire sa taxe sur la valeur ajoutée : abandonner une TVA non discriminatoire, qui s’applique de la même manière aux importations et aux produits fabriqués dans l’Union — alors que l’Europe doit dépenser davantage pour sa défense — serait pire que naïf. Ce serait totalement imprudent.
Sur un autre terrain, les décideurs politiques de l’Union ont par exemple évoqué la possibilité de supprimer totalement les droits de douane sur les voitures européennes à tous les pays en réponse à la critique de Trump concernant le taux actuel de 10 %. Là encore, il serait très naïf de céder sur un tel point : ouvrir unilatéralement les marchés européens à la Chine ne résoudrait pas les problèmes des exportateurs européens en Chine. Cela n’aiderait d’ailleurs pas non plus Washington. Les États-Unis ne veulent pas ouvrir le marché européen aux exportations automobiles chinoises : ils veulent surtout un meilleur accès pour les exportations américaines.
La seule raison de ne pas réduire les droits de douane uniquement pour les États-Unis — et de les maintenir pour la Chine — serait de se conformer strictement aux règles de l’OMC. Là encore, ce serait faire preuve d’une naïveté — qui plus est très solitaire — à un moment où les États-Unis ignorent ouvertement les règles de l’OMC et où la Chine les ignore dans la pratique.
Pour tenir tête aux États-Unis, l’Union doit commencer par avoir confiance en elle — en particulier dans sa capacité financière et commerciale face à Washington.
Brad Setser
4 — Connaître les idées fixes de Donald Trump — pour mieux les exploiter
Trump ne cherche pas simplement à instaurer une parité des droits de douane : ce qu’il veut vraiment — et il ne s’en cache pas — c’est « rééquilibrer » le commerce international. Or il existe, pour l’Europe, des moyens relativement indolores d’aider les États-Unis à atteindre cet objectif.
Souvenons-nous que le déficit commercial bilatéral le plus important des États-Unis avec un pays de l’Union européenne concerne aujourd’hui l’Irlande. Il passe presque exclusivement par le secteur pharmaceutique — et, de fait, presque uniquement des produits pharmaceutiques fabriqués en Irlande par des entreprises américaines cherchant à éviter le taux d’imposition nominal sur les sociétés aux États-Unis. Les 100 milliards de dollars que les États-Unis importent d’Irlande contribuent ainsi massivement au déficit commercial bilatéral américain. Ce montant dépasse largement les 15 milliards de dollars de gaz naturel liquéfié que les États-Unis exportent actuellement vers l’Europe — en baisse par rapport au pic de 30 milliards atteint en 2022 — ou les 40 milliards de dollars de voitures et de pièces détachées automobiles importées d’Europe par les États-Unis.
Un simple calcul montre que cette partie du commerce européen devrait être la plus facile à rééquilibrer, puisqu’elle découle presque entièrement d’un contournement du système fiscal américain.
Par exemple, un impôt complémentaire européen sur les bénéfices pharmaceutiques, qui porterait à 20 % le taux minimal d’imposition sur les revenus enregistrés dans l’Union, réduirait de manière radicale l’excédent commercial de l’Europe vis-à-vis des États-Unis (les entreprises américaines annuleraient alors les montages de prix de transfert qui gonflent artificiellement les importations afin de transférer les profits vers les pays de l’Union), tout en pesant beaucoup plus lourdement sur les entreprises américaines que sur les entreprises européennes. D’autres moyens existent sans doute également pour réduire les incitations à ces transferts de bénéfices.
Mais l’idée de base est simple. Paul Krugman a bien montré qu’une part significative des importations américaines en provenance d’Europe était « fictive », car elles sont facturées à des prix artificiellement gonflés en raison des mécanismes de transfert de prix. L’Union européenne devrait dès lors être en mesure de trouver un moyen d’éviter d’être pénalisée pour cet excédent fictif — et, en passant, de frapper un grand coup contre l’évasion fiscale.
Un impôt complémentaire européen sur les bénéfices pharmaceutiques, qui porterait à 20 % le taux minimal d’imposition sur les revenus enregistrés dans l’Union, réduirait de manière radicale l’excédent commercial de l’Europe vis-à-vis des États-Unis
Brad Setser
5 — Montrer à Trump les attributs de la puissance européenne — et s’en servir pour faire gagner l’Ukraine
La capacité de l’Europe à assurer seule une défense crédible pour le Groenland est limitée par sa géographie — et par la taille de la flotte américaine de l’Atlantique. Le groupe aéronaval français ne peut pas patrouiller en permanence au large de la côte ouest du Groenland. Mais les forces spéciales européennes pourraient intensifier leur entraînement en Arctique — et les puissances continentales européennes pourraient faire davantage pour mettre en valeur leur contribution à la défense conjointe de l’Arctique au sein de l’OTAN.
En Ukraine, en revanche, l’Union a de bien meilleures cartes en main. Avec une volonté politique suffisante, elle pourrait démontrer que le chemin vers la paix passe par Berlin, Bruxelles et Paris, plutôt que par des États-Unis de plus en plus désengagés sur ce dossier.
Collectivement, l’Europe pourrait donc ainsi :
- Fournir à l’Ukraine le soutien financier nécessaire pour maintenir la stabilité de son économie jusqu’à la paix, puis pour sa reconstruction : les flux financiers requis pour ce faire s’élèveraient à environ 20 à 30 milliards d’euros par an.
- Apporter un soutien financier permettant à l’Ukraine d’acheter les armes dont elle a besoin pour maintenir une ligne de défense assurant son indépendance même si la Russie continue d’occuper les territoires de l’Est et du Sud. Toutes ces armes ne peuvent pas, à l’heure actuelle, venir d’Europe (même si une série d’opérations de type « warp speed » visant à accélérer la production de munitions renforcerait considérablement la position de l’Europe) — mais l’Union et ses États membres peuvent fournir les fonds nécessaires à l’achat de munitions américaines pour l’Ukraine.
- Exercer une pression économique sur la Russie. Les sanctions les plus puissantes à ce jour ont toutes été européennes — la Russie, avant 2022, commerçait peu avec les États-Unis et avait placé l’ensemble de ses réserves en Europe. Le renforcement des sanctions sur le pétrole et le gaz — comme par exemple l’arrêt des importations de GNL en provenance de Russie — peut être décidé unilatéralement par l’Europe. L’Union pourrait ainsi, seule, imaginer des moyens plus créatifs d’utiliser les 190 milliards d’euros d’avoirs russes actuellement détenus par Euroclear, ainsi que les 50 milliards d’euros supplémentaires d’actifs immobilisés et identifiés en dehors d’Euroclear.
- Fournir les troupes nécessaires pour garantir la sécurité de l’Ukraine dans le cadre d’un accord réaliste.
Les services américains de renseignement satellitaire, de surveillance aérienne, ainsi que les obus et missiles de défense aérienne resteront nécessaires à court terme.

Mais la puissance militaire, diplomatique et financière cumulée de l’Europe est considérable — et elle dépasse le niveau de soutien, qu’il soit financier, diplomatique ou militaire, que Trump est disposé à apporter à l’Ukraine ou à mobiliser contre la Russie.
L’Europe se trouve donc en position de force.
Brad Setser
Si le monde se divise en sphères d’influence, l’Ukraine ne s’intégrera peut-être pas naturellement dans la sphère « américaine ». Compte tenu de la configuration actuelle des forces économiques et militaires disponibles en Europe, elle pourrait bien mieux s’intégrer à la sphère européenne qu’à la sphère russe.
Un tel aboutissement respecterait à la fois les aspirations démocratiques de l’Ukraine et la réalité d’une Union dont le poids économique est, rappelons-le, dix fois supérieur à celui de la Russie.
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L’Europe se trouve donc en position de force pour les années à venir.
Pour s’en rendre compte, elle doit comprendre un fait essentiel : les mesures qui lui permettront de protéger son économie des saillies du « roi » de Washington seront également bénéfiques pour les Européens.
Et si un futur président américain souhaitait faire renaître le partenariat transatlantique, ces mêmes mesures offriraient les bases d’une alliance économique et militaire plus équilibrée.
Elles devraient également trouver un écho favorable chez de nombreux Américains qui ne se reconnaissent pas dans la vision de Trump : celle d’une Amérique coupant les liens avec ses alliés historiques pour tenter un rapprochement improbable avec les dirigeants autoritaires que Donald Trump semble admirer.
Les États-Unis gagneraient à se voir opposer une forme de fermeté — et à avoir face à eux un partenaire européen capable d’affirmer son autonomie.