Politique

Abdullah Öcalan appelle à la dissolution du PKK : le texte intégral

Vendredi dernier, le fondateur et leader historique du PKK Abdullah Öcalan, en prison depuis 26 ans, a appelé ses partisans à déposer les armes.

Comment comprendre ce revirement stratégique dans la Turquie d’Erdogan ?

Fabrice Balanche commente ce texte historique et les implications qu’il pourrait avoir dans la région.

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Fabrice Balanche
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© AP Photo/Metin Yoksu

Le 27 février 2025, Abdullah Öcalan a appelé le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qu’il a fondé en 1978 et qu’il dirige depuis, à se dissoudre et à déposer les armes, à la suite d’un accord trouvé avec le pouvoir turc. 

Pour comprendre le contexte dans lequel cette déclaration s’inscrit, plusieurs éléments doivent être pris en compte.

L’accord entre la Turquie et le PKK était attendu depuis plusieurs mois. Depuis la dernière tentative d’insurrection armée à grande échelle du PKK, en 2015-2016, qui s’est mal terminée et a conduit un grand nombre de leurs combattants à se réfugier en Irak, l’abandon de la lutte par le PKK en Turquie était essentiellement une question de temps : ces négociations étaient par ailleurs connues depuis plus de six mois. Dès l’année dernière, un certain nombre de responsables kurdes en Syrie évoquaient déjà en privé l’imminence d’un appel à la paix d’Öcalan.

Cette déclaration, lue par les représentants du parti pro-kurde Dem qui avaient rendu visite quelques jours plus tôt à Öcalan dans la prison d’Imrali où le fondateur du PKK est détenu depuis 26 ans, n’a pas été bien reçu par les Kurdes de Syrie. Ceux-là refusent toujours d’être intégrés dans l’armée syrienne du nouveau régime d’Al-Sharaa et Mazloum Abdin, le chef des Forces démocratiques de Syrie, a d’ores et déjà déclaré qu’il ne déposerait pas les armes en arguant du fait qu’il serait indépendant du PKK. Dans le Nord-Est Syrien toutefois, les drones turcs ont ciblé ces dernières années les infrastructures et considérablement affaibli les forces kurdes. Les Kurdes de Syrie espèrent donc qu’avec l’accord entre le PKK et la Turquie, la situation s’apaisera et que la Turquie renoncera alors à conduire des frappes à leur encontre.

Car les menaces de séparatisme kurde représentent un levier sur le nouveau régime syrien. La meilleure garantie que les États-Unis et Israël puissent avoir sur Al-Sharaa est en effet le fédéralisme de l’État syrien — le maintien des divisions du pays — pour lui imposer la paix. À ce titre, le « dialogue national » d’Al-Sharaa était en fait un « monologue national » : les invitations ont été envoyées la veille de la conférence et les opposants à l’étranger n’ont pas pu y participer. Certes, on a bien vu Mazloum Abdi mettre le nouveau drapeau syrien sur ses interventions télévisées et les Kurdes de Syrie partagent en partie le pétrole avec l’État — mais ils le faisaient déjà sous le régime de Bachar el-Assad, et Al-Sharaa n’a pas les moyens de les contraindre à plus de coopération à ce stade. Le pays est en effet encore fragmenté. En Syrie au mois de janvier, le quartier kurde de Cheikh Maqsoud, à Alep, était toujours sous le contrôle des Unités de protection du peuple (YPG), branche armée du Parti de l’union démocratique (PYD) kurde.

Côté turc, cet apaisement interne entre le PKK et la Turquie s’inscrit aussi dans une tentative de rapprochement avec l’Union européenne.

La priorité d’Erdogan est de relancer les négociations sur la possibilité pour les Turcs de venir sans visa en Europe et d’obtenir des soutiens financiers plus aisément. Son objectif ne semble pas être de relancer des négociations pour une adhésion complète — ce qui serait irréaliste — mais plutôt sur une adhésion à la carte.

Ce texte doit se lire enfin à la lumière de l’ambition du néo-ottomanisme d’Erdogan, qui consiste à tenter de réunir les Kurdes et les Turcs sous la bannière commune de l’Islam. Il a notamment essayé de favoriser le développement d’un parti kurde islamique en Turquie, le Hezbollah kurde 1.

Cette stratégie s’appuie sur l’islamisation progressive des Kurdes à un moment où nombre d’entre eux se tournent vers l’islam politique, notamment en Irak, où des partis islamistes kurdes progressent. Le regain de religiosité chez les Kurdes est général et n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé pour les chiites au Liban — qui étaient communistes avant de devenir islamistes. À cet égard, la déclaration d’Öcalan a lieu la veille du début du Ramadan — période de paix et d’amitié entre les musulmans, qui inscrit aussi l’appel dans une temporalité religieuse propice. 

Appel à la paix et à une société démocratique

Le PKK est né au XXe siècle, le siècle le plus violent de l’histoire, façonné par deux guerres mondiales, les réalités du socialisme réel, l’atmosphère de guerre froide mondiale et le déni de l’identité kurde — en particulier la suppression des libertés par des interdictions.

En termes de théorie, de programme, de stratégie et de tactique, il a été fortement influencé par les systèmes socialistes.

Cependant, avec l’effondrement du socialisme dans les années 1990 pour des raisons internes et l’érosion du déni d’identité dans le pays — parallèlement aux avancées en matière de liberté d’expression — le PKK s’est trouvé dans un état d’insignifiance et de redondance excessive. Par conséquent, comme d’autres mouvements similaires, il a atteint la fin de son parcours, ce qui rend sa dissolution nécessaire.

Abdullah Öcalan est en prison depuis 1998, une date à laquelle l’effondrement de l’Union soviétique était encore récent. Si le vocabulaire marxiste qu’il adopte peut surprendre et paraître désuet en 2025, il ne faut pas négliger que les cadres dirigeants kurdes évoluent encore de fait dans cet écosystème conceptuel. Öcalan reconnaît toutefois ici l’inadéquation du PKK aux problèmes de son temps et en déduit la nécessité de sa dissolution.

Relations kurdo-turques

Depuis plus de mille ans, les Turcs et les Kurdes ont considéré qu’il était essentiel de rester alliés, principalement en raison d’un fort sentiment d’unité volontaire pour maintenir leur existence et résister aux forces hégémoniques.

Mais la modernité capitaliste, surtout au cours des deux derniers siècles, a cherché à démanteler cette alliance. Influencés par la dynamique de classe, certains groupes ont servi cet objectif. Ce processus s’est accéléré avec les interprétations rigides de la République [le Kurdistan]. Aujourd’hui, il est essentiel de réorganiser cette relation historique fragile dans un esprit de fraternité, sans faire fi des croyances.

Au sein des groupes armés kurdes, la journée commence par le maniement des armes mais contient également plusieurs heures par jour d’endoctrinement politique, durant lesquelles le marxisme est enseigné.

Cet ancrage idéologique a souvent créé des difficultés dans la relation entre les combattants kurdes et les États-Unis : comment accepter de combattre aux côtés de la plus grande puissance capitaliste ? Cette articulation s’explique en partie par l’évolution idéologique d’Öcalan : initialement marxiste-léniniste, il est progressivement devenu maoïste avant d’être considérablement influencé par la pensée de Murray Bookchin, l’une des figures les plus influentes de la Nouvelle gauche américaine, dont il s’est inspiré pour former la nouvelle idéologie du PKK. 

D’après Murray Bookchin, le capitalisme serait sur le point de s’effondrer non pas en raison de ses contradictions internes mais à cause des catastrophes écologiques auxquelles il conduirait.

La nécessité d’une société démocratique

Le PKK, mouvement de rébellion et de violence le plus long et le plus étendu de l’histoire de la république, a gagné en force et en soutien principalement grâce à la fermeture des canaux politiques démocratiques.

Le résultat inévitable des dérives nationalistes extrêmes — telles que la poursuite d’un État-nation séparé, du fédéralisme, de l’autonomie administrative et des solutions culturalistes — ne parvient pas à tenir compte de la réalité sociologique de l’histoire.

Le respect des identités, la capacité de s’exprimer librement et l’organisation démocratique — ainsi que la structuration socio-économique et politique basée sur ces principes — ne peuvent être atteints que par l’existence d’une société et d’un espace politique démocratiques.

Le deuxième siècle de la République ne peut parvenir à une continuité durable et fraternelle que s’il est couronné par la démocratie. Il n’y a pas de voie en dehors de la démocratie pour construire et mettre en œuvre un système — et il ne peut en exister. Le consensus démocratique est la méthode fondamentale.

Öcalan suggère à travers ce discours de prendre la voie politique pour défendre les droits des Kurdes de Turquie.

En Turquie, le Parti démocratique des peuples (HDP), qui défend les intérêts des Kurdes dans la sphère politique existe depuis vingt ans, participe aux élections, a des mairies, des députés. Même s’ils ne représentent que 10 % des électeurs — essentiellement les Kurdes — ils sont sévèrement réprimés par le pouvoir turc. Cette répression ne va pas s’arrêter. L’accord avec le PKK n’est pas le résultat d’un adoucissement du système politique turc autoritaire mais relève plutôt d’une volonté personnelle d’Erdogan, qui a toujours dit qu’il parviendrait à faire la paix entre Kurdes et Turcs. Il faut comprendre ce revirement à la lumière du néo-ottomanisme d’Erdogan et de son discours sur les « frères d’éternité en éternité » : Turcs, Kurdes, Perses et Arabes.

Le langage de l’ère de la paix et d’une société démocratique doit également être développé en accord avec la réalité.

Dans ce climat, façonné par l’appel de Monsieur Devlet Bahçeli, la détermination démontrée par Monsieur le Président et les réponses positives des autres partis politiques, je lance un appel à déposer les armes et en assume la responsabilité historique.

Comme toute société moderne ou tout mouvement politique qui n’a pas été dissous de force, je vous appelle à convoquer votre congrès et à prendre la décision de vous intégrer volontairement à l’État et à la société. Tous les groupes doivent déposer les armes et le PKK doit se dissoudre.

Je salue tous ceux qui croient en la coexistence et qui entendent mon appel.

Sources
  1. Mehmet Kurt, Kurdish Hizbullah in Turkey, Pluto Press, 2017. Sur Erdogan et le Hezbollah kurde, voir : « Kurdish academic Mashuq Kurt says Erdogan’s electoral alliance with Turkish Hizbullah offshoot a risky step », Al-Monitor.
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