Depuis un an, la revue cartographie la nouvelle phase dans laquelle est entré le Moyen Orient à partir du 7 octobre 2023. Si vous nous lisez, que vous pensez que ce travail mérite d’être soutenu et que vous en avez les moyens, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent
Au lendemain des attaques du 7 octobre, vous vous montriez très critique à l’égard du gouvernement de Benjamin Netanyahou, dont vous expliquiez la responsabilité par sa politique générale et par son impréparation à Gaza. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur la situation stratégique d’Israël ? Qu’est-ce qui a changé depuis un an ?
Tout d’abord, je voudrais préciser que si j’ai été ministre de la santé dans l’ancien gouvernement, je ne suis plus en politique aujourd’hui. Je ne représente donc en aucune manière le gouvernement israélien actuel et mes opinions n’appartiennent qu’à moi.
Depuis cette journée du 7 octobre, il y a un an exactement, nous vivons dans un cauchemar permanent.
La guerre s’étend désormais sur sept fronts : à Gaza, au Liban, en Iran, au Yémen, en Cisjordanie, en Israël et, pour les communautés juives qui sont visées, partout à travers le monde. Lorsque des centaines de missiles balistiques ont été lancés depuis l’Iran sur Tel Aviv, ma mère était chez elle, dans son immeuble, sans abri anti-bombe. Au moment des frappes, elle m’a téléphoné depuis son armoire et m’écrit sans arrêt depuis. Tout cela me touche très personnellement. Mardi, 8 personnes sont mortes dans un attentat à Jaffa.
C’est donc un tout : depuis le 7 octobre, nous menons plusieurs guerres à la fois.
Il faut ajouter à cette situation les problèmes que connaît Israël en interne depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Netanyahou, qui se place résolument contre la démocratie. En parallèle de la guerre extérieure imposée à Israël, il y a un mouvement civique considérable contre le gouvernement. Il s’agit à mon sens de la crise la plus profonde que mon pays ait subie depuis sa création en 1948. Les gens sont inquiets, bouleversés, abasourdis et choqués. Tous les jours, les nouvelles sont horribles.
Qu’est-il encore possible d’espérer ?
En ce qui concerne la question palestinienne, je suis convaincu, plus que jamais, que la seule solution viable est la solution à deux États ; c’est à dire un État palestinien à côté de l’État d’Israël ; un État palestinien formé par la Cisjordanie et Gaza, et Israël à côté. Nous avons déjà un cadre avec l’autorité palestinienne, les accords d’Oslo, qui sont toujours en vigueur — mais il faut aller plus loin.
Est-ce possible ?
Il est très difficile en ce moment de faire des prédictions.
Beaucoup d’Israéliens sont déçus de nos partenaires palestiniens mais je crois que dans ce petit pays où il y a deux peuples, juifs et arabes, israéliens et palestiniens, il faut avoir deux États.
Pour l’instant, Israël occupe la plupart de la bande de Gaza. J’ai bon espoir qu’en cas d’accord, Israël se retirera. Je ne peux pas dire que je suis optimiste pour l’instant parce que la situation est vraiment très dure et que les émotions sont extrêmement fortes.
Concernant le Liban, il faut être clair : depuis 25 cinq ans, il n’y a pas de sujets territoriaux entre le Liban et Israël. Israël s’est retiré du territoire libanais en 2000. Depuis, au cours de mon mandat même, Israël a signé un accord avec le Liban sur le gaz naturel et sur la ligne maritime internationale. Il n’y avait donc aucune raison pour le Hezbollah d’attaquer Israël au lendemain du 7 octobre.
J’habite dans le nord d’Israël, à côté de la frontière libanaise. Depuis le 7 octobre, à cause des attaques du Hezbollah, notre région est bombardée sans arrêt, tous les jours. Les gens l’ignorent peut-être, mais depuis un an, quelques 100 000 Israéliens de tous les villages, villes, kibboutz, tout au long de la frontière libanaise, ont été évacués. Israël a abandonné toute la Galilée à cause des tirs. Ce qui se passe maintenant, c’est une démarche menée par le gouvernement de Netanyahou pour repousser le Hezbollah. Qu’est-ce-que cela va donner ? Je ne sais pas.
Cette combinaison de guerres externes avec une crise interne place Israël dans une position unique. Je fais confiance à la solidarité entre les gens et à la capacité d’Israël à se reconstruire. J’espère, personnellement, que nous obtiendrons enfin la paix et la stabilité — pas seulement pour nous, mais pour toute la région.
Comment voyez-vous l’évolution des rapports entre Israël et un certain nombre de ses voisins arabes et musulmans, avec lesquels les relations étaient en cours de normalisation ?
Avant le 7 octobre, nous étions effectivement sur une voie, je ne dirais pas de paix, mais de normalisation de nos relations avec la région. Les accords d’Abraham avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc ou le Soudan s’inscrive dans la longue histoire de la reprise des relations avec l’Égypte de Sadate, la Jordanie du roi Hussein, le Liban, ou les accords d’Oslo avec les Palestinien… Israël était en train de normaliser ses relations et d’être accepté dans la région.
Le 7 octobre a violemment bouleversé cette dynamique. La voie de la normalisation, de la paix, a été brisée en petits morceaux. Depuis un an, nous sommes en guerre.
Pourquoi est-on tellement choqués, déstabilisés par le 7 octobre ? Dans mon livre Les Assiégés. Dans l’enfer du 7 octobre co-écrit avec Hervé Deguine, nous racontons l’histoire d’un groupe de 27 personnes qui sont allées faire la fête pendant ce shabbat. Tous étaient très jeunes. Ils se sont réfugiés dans un petit abri à côté de la route et ont été visés, massacrés par le Hamas. Quatre ont été enlevés. Trois personnes sont toujours en captivité à Gaza. Aujourd’hui il y a plus de 100 otages israéliens détenus à Gaza.
Le choc que nous avons subi en écoutant ces histoires nous a obligés à briser cette voie de normalisation. Les Israéliens ont tort mais voici l’opinion générale : nous ne pouvons plus faire confiance à nos voisins. C’est impossible et inutile d’avoir des accords de paix. Il faut juste avoir recours à la force. Personnellement, je suis convaincu qu’au moment où la guerre va se terminer, les intérêts fondamentaux de tous les pays de la région — y compris ceux d’Israël, du Liban, d’Égypte et des Palestiniens… — nous forceront à reprendre la voie de la normalisation. Il n’y a pas d’autre solution. Autrement, on se trouvera en permanence dans cette situation, avec des guerres sur tous les fronts et peut-être plus.
Israël est un pays très fort avec beaucoup d’atouts et de capacités. En même temps, le gouvernement israélien doit comprendre que nous ne pouvons pas effacer ou éliminer la question palestinienne ou régler tous les problèmes par la force. Il faut revenir à la logique d’Oslo, aux négociations, au processus de paix. C’est la seule voie possible.
Comment voyez-vous l’état de la relation entre Israël et les États Unis ? On a l’impression que les États Unis ont perdu de leur capacité de pression qu’ils avaient historiquement sur le gouvernement israélien.
Le président Joe Biden, et sa Vice-présidente Kamala Harris font ce qu’ils peuvent pour empêcher une guerre régionale totale, voire une guerre mondiale.
Depuis le 7 octobre Israël ressent une menace existentielle. Peut-être que, vu depuis l’Europe, vous trouvez cela exagéré ou injuste, mais ce que nous avons vécu le 7 octobre nous a montré que certains de nos voisins voulaient nous tuer, tout simplement. C’est malheureusement l’opinion qui domine aujourd’hui en Israël.
Et si un pays fort, riche, comme Israël se trouve dans cette situation de menace existentielle, alors ce pays réagit. Il est très difficile de faire pression sur un pays qui ressent une menace existentielle.
Je suis un homme raisonnable, j’ai lutté toute ma vie pour la paix. Je souhaite que la guerre s’arrête et qu’on puisse revenir à ce chemin très réel, très logique, très clair de normalisation. Nous avons des relations diplomatiques, commerciales, économiques avec plusieurs pays arabes. Il faut élargir ce cercle. Pour cela, il faut arriver à la solution à deux États.