L’attaque de la nuit du 13-14 avril avait été caractérisée par une certaine lenteur qui s’était soldée par un échec tactique évident :
- Selon l’armée israélienne, la plupart des munitions (99 %, en prenant en compte les drones et missiles) n’avaient pas atteint leur cible.
- Elle avait permis à l’Iran de revendiquer une nouvelle doctrine : « Une nouvelle équation a été établie avec cette opération : si le régime sioniste attaque, il sera contre-attaqué depuis l’Iran. » – très vite mise à mal par Israël.
L’attaque d’hier soir a connu une dynamique différente.
- Plus massive, le porte-parole du Pentagone, le général de division Pat Ryder, a déclaré qu’elle « est environ deux fois plus importante en termes de nombre de missiles balistiques lancés par rapport à la dernière fois ».
- Elle a été également plus ciblée : « on ne lance pas autant de missiles sur une cible sans avoir l’intention de toucher quelque chose », et plus rapide — certains missiles balistiques ont traversé les 2 000 kilomètres séparant les deux pays en seulement 12 minutes.
Un point central à surveiller dans l’évaluation du bilan de l’attaque est la gestion délibérée de l’information par Israël.
- Selon une source militaire consultée par la revue, Israël a intérêt à maintenir une zone d’ombre quant à l’ampleur réelle des dommages subis.
- D’un côté, Israël a tout intérêt à « maintenir le flou sur les dommages effectifs pour compliquer le BDA [Battle Damage Assessment] iranien » et provoquer une nouvelle humiliation stratégique : « l’incapacité à toucher des objectifs précis ne fait que souligner l’inefficacité ou les limites de l’arsenal iranien. Au lieu d’imposer une crainte ou de renforcer sa position sur la scène internationale, cela montre une défaillance technique et stratégique, affaiblissant davantage l’image du régime à l’intérieur comme à l’extérieur ».
- Ce flou calculé permettrait de perturber l’analyse iranienne et de retarder, voire de fausser d’éventuels ajustements tactiques.
- « S’il y avait eu des pertes humaines, Israël l’aurait probablement annoncé », souligne cette même source, mais il reste envisageable que des infrastructures militaires aient été endommagées.
Des dizaines de vidéos analysées par la revue à partir d’une sélection OSINT montrent des impacts limités sur des objectifs militaires et dans des zones civiles, comme à Tel-Aviv. Mercredi 2 octobre, l’Armée de l’air israélienne a par ailleurs reconnu que des bases avaient été « endommagées »1.
- Parmi les centaines de vidéos ayant été diffusées et relayées sur les réseaux sociaux, nous sommes en mesure d’identifier trois zones principales touchées par des frappes : la base aérienne de Nevatim, le nord de Tel-Aviv, notamment à proximité du siège du Mossad, et un complexe scolaire situé à Gedera, dans l’ouest du pays.
- Nevatim a été la plus touchée : au moins une dizaine de missiles ont atteint leur cible, soit plus que lors de l’attaque d’avril dernier (9 missiles au total sur les 120 tirés avaient réussi à passer les défenses sol-air).
- Les vidéos disponibles ne permettent pas d’affirmer que des appareils israéliens ont été détruits par les frappes sur la base de Nevatim, comme l’affirmaient les médias iraniens au soir de l’attaque2.
- Un missile a également atterri en mer à quelques centaines de mètres du centre-ville de Tel-Aviv3.
Téhéran a utilisé des missiles plus sophistiqués (Emad et Ghadr) dont la vitesse rend leur interception plus difficile par les défenses israéliennes, ce qui pourrait expliquer un taux d’interception plus faible par rapport à l’attaque d’avril (qui était d’environ 92,5 % pour les missiles balistiques). Si l’attaque semble avoir causé légèrement plus de dégâts cette fois-ci, les coûts pour Téhéran sont également plus élevés.
Il ne faut pas sous-estimer la capacité de l’armée israélienne à mener la guerre de l’information.
- Israël dispose de protocoles de sécurité très stricts qui limitent considérablement la fuite d’informations sensibles, en particulier dans les premières heures suivant une attaque.
- L’objectif est de maîtriser le récit des événements, en minimisant la diffusion d’images ou d’éléments qui pourraient être exploités par l’adversaire pour corroborer des succès militaires : « L’OPSEC Israélienne est globalement plutôt solide et les images satellite ne seront peut-être pas communiquées, il est possible qu’on ne sache jamais ».
- La possibilité d’obtenir des informations via des images satellites reste faible. Les images satellites commerciales peuvent être difficiles d’accès, et il n’est pas certain que les États disposant de moyens de reconnaissance avancés souhaitent partager ce type de renseignements avec le public ou avec l’Iran.
- Ce manque de données visuelles directes, combiné à la volonté israélienne de contrôler la narration, rend la situation encore plus opaque. « Il est tout à fait envisageable que l’on ne sache jamais l’ampleur exacte des dégâts, sauf si Israël décide de lever volontairement le voile à un moment donné, pour des raisons stratégiques », conclut la source militaire.
Sources
- Yonah Jeremy Bob et Keshet Neev, « Iranian attack caused damage to Israel Air Force bases, IDF says », The Jerusalem Post, 2 octobre 2024.
- « انهدام جنگندههای اف-۳۵ رژیم صهیونیستی در پایگاه نواتیم », Defa Press, 1er octobre 2024.
- Vidéo publiée sur X (Twitter) par Jim Sciutto, 1er octobre 2024.