Aux élections législatives d’avril-mai 1936, chacune des formations politiques réunies au sein du Front populaire — Parti communiste, Section française de l’Internationale ouvrière et Parti radical — présente des candidats dans la plupart des 608 circonscriptions que comptait alors la France. Ces candidats de gauche s’engagent à se désister au second tour au profit de celui arrivé en tête. 

  • Le fonctionnement de la coalition de gauche était donc différent en 1936 de celui du Nouveau Front populaire de 2024, dont les partis membres — la France insoumise, le Parti socialiste, Les Écologistes, le Parti communiste français, Place publique, Génération·s, la Gauche républicaine et socialiste, le Nouveau Parti anticapitaliste — se sont accordés pour présenter un candidat unique dans les 577 circonscriptions en jeu — à quelques exceptions à la suite de la « purge » sur plusieurs investitures LFI, de peur que le morcellement de la gauche et la puissance des droites ne les privent d’un accès au second tour.

La carte des résultats du premier tour des élections de 1936 montre le cumul des voix des différents candidats réunis sous la bannière du Front populaire1

Ceux-ci obtiennent leurs scores les plus élevés dans les bassins ouvriers du Nord-Pas-de-Calais (Nord, Aisne, Ardennes) et de la « ceinture rouge » des banlieues parisiennes. Les régions plus rurales à tradition progressiste, autour du Massif central (Allier, Puy-de-Dôme) et sur le pourtour méditerranéen (Aude, Hérault, Gard), offrent également d’importants scores au Front populaire qui est en revanche à la peine dans la France de l’ouest catholique (Vendée, Bretagne).

Les résultats obtenus par le Nouveau Front populaire au premier tour des législatives de 2024 offrent un paysage très différent de celui de 1936. 

  • Si les banlieues parisiennes sont restées des bastions de la coalition de gauche, la plupart de ses autres places fortes de 1936 ont basculé à l’extrême droite en 2024, singulièrement dans le Nord et le Sud méditerranéen. 
  • Au regard de ses faibles scores de 1936 dans l’Ouest (Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique), la gauche y affiche une légère progression en 2024. Il est toutefois à noter que même si elle arrive en tête avec parfois près de 40 % des voix, l’extrême droite est loin d’y atteindre les scores faramineux qu’y obtenait le Front populaire en 1936 — avec plus 90 % des voix dans certains départements comme l’Allier, l’Aude ou l’Ariège. 

Ces variations dans la géographie du vote de gauche à presque un siècle de distance sont à interpréter avec beaucoup de précaution tant le profil des électeurs a changé, marqué notamment par le déclin des classes paysanne et ouvrière. 

  • C’est pourquoi tout autant que les basculements spectaculaires, les continuités apparentes cachent aussi des évolutions : le franc soutien apporté par les Parisiens au Front populaire de 1936 comme au Nouveau Front populaire de 2024 ne doit pas faire oublier que la sociologie de la capitale française a profondément changé entre ces deux dates.
  • Jadis portée par un vote ouvrier et paysan largement prolétaire, la coalition de gauche l’est aujourd’hui plutôt par l’addition des « classes créatives » bourgeoises des métropoles et les populations plus défavorisées de leurs banlieues.

Il faut aussi remarquer que, dans le jeu politique de la fin de la Troisième République, le parti radical occupait une place beaucoup plus centriste. Historiquement ancré à gauche, revendiquant une filiation jacobine et républicaine, il a évolué à partir de la deuxième moitié des années 1920 pour devenir un parti pivot, qui trouvait une partie de son assise au sein de populations — petits patrons, propriétaires, petits rentiers — hostiles à la SFIO et surtout au PCF. 

  • L’union de ces trois forces politiques est particulièrement marquante au regard de la violence des relations entre radicaux et communistes, du début des années 1920 à 1934. 
  • C’est cette alliance difficile qui explique l’ampleur du triomphe des gauches en 1936 (plus de 55 % des suffrages exprimés) — mais aussi, sans doute, la fragilité d’une coalition qui dura dix-huit mois. 
Sources
  1.  Les départements en 1936 n’étaient pas exactement les mêmes qu’aujourd’hui, notamment en région parisienne et en Corse. La carte adapte les résultats d’alors au découpage contemporain.