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L’accélération politique de l’été 1789, à Versailles, à Paris et dans les provinces du royaume, vient consacrer l’apparition de deux pouvoirs distincts au sein de l’État français 1 : la branche exécutive, c’est-à-dire le roi et ses ministres ; et la branche législative incarnée par l’Assemblée nationale issue des États généraux. Au cours des deux années qui suivent, les débats qui entourent la rédaction de la Constitution de 1791, qui doit déterminer la nouvelle organisation des pouvoirs, portent notamment sur le droit de dissolution. Dès la fin de l’été 1789, les législateurs s’interrogent sur la séparation des pouvoirs et sur l’indépendance qui doit être garantie à l’exécutif.
Dans ce cadre — le droit de veto, qui permet au roi de suspendre tout texte de loi voté par l’Assemblée nationale — est vite soutenu par la quasi-totalité des députés. Pour autant, il apparaît tout aussitôt que ce droit ne peut être une fin en soi : « si le Roi bénéficiait du pouvoir d’empêcher la régénération nationale, tout ce que la Constituante accomplissait resterait lettre morte. » 2 Autrement dit, le droit de veto doit permettre d’empêcher les abus de l’Assemblée, sans bloquer tout son fonctionnement. Pour éviter de possibles blocages, les députés patriotes s’entendent sur le principe d’un veto suspensif : contrairement au veto absolu, que défendaient les députés monarchiens — favorables à l’édification d’une monarchie tempérée sur le modèle britannique —, celui-ci ne permettait pas de bloquer indéfiniment l’élaboration de la loi. C’est donc ce droit qui est donné au roi, le 11 septembre 1789. Accessoirement ce vote confirmait que le roi n’était pas co-législateur : le veto suspensif ne permettait pas au roi de participer à l’élaboration de la loi, mais simplement de lui refuser sa sanction — et donc d’empêcher son application. Mounier, l’une des principales figures monarchiennes, ne s’y trompait pas : le vote du 11 septembre marquait un clair affaiblissement du roi face à l’Assemblée.
Pour résoudre d’éventuelles crises entre ces deux entités, il fallait donc prévoir un dispositif d’appel au peuple. Si la possibilité d’un vote direct du peuple, que l’on n’appelle pas encore référendum, est évoquée — expression de l’infaillible Volonté générale à laquelle le roi et et l’Assemblée devraient se soumettre —, ce sont deux autres options qui sont discutées. D’un côté, le veto ne durerait que le temps d’une législature et si une nouvelle assemblée votait la même loi, il serait levé. De l’autre, certains députés proposent d’attribuer un droit de dissolution au roi afin que les désaccords entre le roi et l’Assemblée ne traînent pas trop en longueur. C’est notamment la position de Barnave. Finalement, les députés tranchent en faveur de la première solution, en l’étendant à deux législatures, ce qui renforçait le veto royal tout en continuant de lui dénier toute participation à l’élaboration de la loi 3.
En 1789, déjà, la possibilité d’accorder un droit de dissolution au roi inquiétait le nouveau personnel politique révolutionnaire. La dégradation constante des relations entre le roi et l’Assemblée, qui culmine une première fois en juin 1791 avec sa tentative de fuite et son arrestation à Varennes, fait que le droit de dissolution est explicitement refusé au roi. Quant au droit de veto, auquel Louis XVI recourt à cinq reprises après le vote de la Constitution de 1791, il devient l’une des questions politiques brûlantes jusqu’à la chute de la monarchie, le 10 août 1792.
Dès l’origine, le droit de dissolution est donc conçu comme un coup de force — un pouvoir extraordinaire à conférer à l’exécutif. Les 18 et 19 Brumaire viennent encore renforcer cette impression. Le mot brutal de Murat aux représentants du peuple — « Citoyens, vous êtes dissous. » — fait partie de la légende du dernier coup d’État du directoire, dont les suites vont se traduire par le renforcement constant du pouvoir exécutif pendant la période consulaire et impériale. Depuis la période révolutionnaire, le droit de dissolution appartient donc à l’imaginaire de la crise politique en France. Théoriquement, il permet au pouvoir exécutif de trancher un blocage et, par le vote, d’obtenir une confirmation du corps électoral. Il n’en demeure pas moins un outil difficile à manier : depuis, le XIXe siècle, on enregistre plusieurs cas de dissolutions ratées. C’est une arme à double tranchant qui peut facilement se retourner contre celui qui l’utilise.
1 — 1830 : de la dissolution à la Révolution
C’est sous la Restauration qu’émerge et se développe la pratique du droit de dissolution, qui permettrait au pouvoir exécutif — en l’occurrence le roi en accord avec ses ministres — de résoudre un conflit (existant ou potentiel) avec la chambre 4. Au départ, le corps, très restreint, des électeurs était conçu comme un arbitre qui résoudrait systématiquement la crise en faveur du roi et de ses ministres. Louis XVIII use par exemple de ce droit en 1816 pour renforcer le gouvernement du duc de Richelieu malmené par la « chambre introuvable », ultraroyaliste, qui avait été élue l’année suivante. Son frère, Charles X, l’imite en 1824 et 1827 lorsqu’il cherche à renforcer son premier ministre, Joseph de Vilèle, chef des ultras sous la Restauration. Si la première dissolution est un succès pour l’exécutif, la seconde se conclut par l’élection d’une chambre plus modérée. Charles X valide alors la logique parlementaire qui prévaut en nommant un nouveau chef du gouvernement : Jean-Baptiste de Martignac, issu de la mouvance ultra, mais qui s’est rapproché des « Doctrinaires », partisans d’une monarchie tempérée par la Constitution.
Les tensions entre Charles X et Martignac poussent le roi à nommer Jules de Polignac. Fils de la duchesse de Polignac, favorite de Marie-Antoinette, ayant grandi en émigration, le nouveau chef du gouvernement est immédiatement très impopulaire. Après dix mois de tension entre la Chambre et Polignac, Charles X décide de recourir à nouveau au droit de dissolution. Mais les élections législatives donnent une nouvelle victoire aux modérés. Contre la logique des institutions, telle qu’elle s’exerce depuis 1816, le roi maintient le duc de Polignac et décide de dissoudre à nouveau la Chambre avant même qu’elle ne se réunisse : c’est l’une des quatre ordonnances de Saint-Cloud, signées le 25 juillet 1830. Cinq jours plus tard, le frère de Louis XVI doit abdiquer et partir en exil face au soulèvement de sa capitale. En l’espèce, la dissolution, permise par la Charte, est insupportable pour une partie de la population urbaine, d’autant que la France affronte une situation de crise économique et sociale depuis 1827. Jugé abusif, le recours du roi à ce droit est interprété comme le prémisse d’un retour à l’absolutisme et d’une restauration de la société d’Ancien régime. Cette peur, instrumentalisée par les proches de Louis-Philippe duc d’Orléans, leur permet de présenter ce dernier comme « ami de la Révolution » et un défenseur des libertés consacrées depuis 1789. C’est la fin de la monarchie traditionnelle.
2 — 1877 : conquérir la République
En 1877, les républicains ont la majorité absolue à la Chambre des députés depuis un an. Alors que la précédente Assemblée était dominée par les monarchistes, qui ont échoué à restaurer la monarchie, les élections de 1876 ont consacré l’évolution de l’opinion publique en faveur du régime républicain — même si sa nature, conservatrice ou libérale, reste l’objet de débat. De fait, les lois constitutionnelles de 1875 font l’objet d’interprétations contradictoires quant au rôle du Président de la République : chef du pouvoir exécutif, celui-ci n’est pas responsable devant les Chambres et il jouit de pouvoirs étendus parmi lesquels on trouve le droit de dissolution. Depuis 1873, Patrice de Mac Mahon, issue d’un milieu monarchiste, occupe cette position — théoriquement jusqu’en 1880.
Quant à la Chambre des députés, si elle est issue du suffrage universel, elle doit encore s’affirmer face à un Sénat encore largement acquis à une droite hostile à la libéralisation des institutions. Il n’empêche, de la fin de 1876 à mai 1877, le chef du gouvernement, Jules Simon, républicain conservateur, s’emploie à épurer l’administration en excluant une partie des fonctionnaires nommés sous le gouvernement d’Albert de Broglie. Sur fond de tensions religieuses, il s’agit de « républicaniser le régime ». Alors que les tensions montent entre Jules Simon et Mac Mahon, ce dernier finit par admonester le Président du conseil en lui reprochant de ne pas s’être opposé à une résolution parlementaire condamnant les manifestations ultramontaines demandant la restauration du pouvoir temporel du pape, un enjeu récurrent de tension avec l’Italie depuis 1871. Jules Simon démissionne alors, Mac Mahon le remplaçant par Albert de Broglie, qui entend revenir à la politique ultra-conservatrice d’ordre moral qu’il avait défendue entre 1873 et 1874. Surtout, le Président de la République maintient son choix après que la Chambre des députés a voté une motion de censure. À l’initiative des chefs des différentes tendances républicaines, un manifeste est écrit le 18 mai 1877 pour condamner ce coup de force. Après l’ajournement des chambres pendant un mois, Mac Mahon finit par dissoudre la Chambre en juin.
C’est une interprétation clef de la Constitution qui se joue au cœur de ce conflit : le gouvernement est-il responsable devant le Président de la République ou devant la Chambre des députés ? Bref, c’est la nature parlementaire du régime qui est en jeu. La campagne, qui dure trois mois, est extrêmement brutale. Le gouvernement et le Président de la République cherchent à museler l’opposition : des préfets, des juges et des maires, considérés trop peu fiables politiquement, sont révoqués ; des candidats officiels sont présentés par Mac Mahon, rappelant l’un des procédés utilisés par Napoléon III. Face à cette offensive, les républicains réagissent : Gambetta, notamment, sillonne la France pour soutenir les partisans de la République. La mort d’Adolphe Thiers, début septembre, permet la mise en scène de l’opposition à la politique de Broglie et Mac Mahon : l’ancien orléaniste, le massacreur de la Commune, rallié tardivement à la République, devient un moment d’unité républicaine. Sa veuve refuse les funérailles nationales et non-partisanes que lui propose Mac Mahon, ce qui permet à des orateurs républicains de s’exprimer pour fustiger la politique du gouvernement.
Les élections de la fin du mois d’octobre conservent une majorité républicaine, même si elle est amputée d’une quarantaine de députés. Mac Mahon pense d’abord à dissoudre à nouveau, mais le Président du Sénat s’y oppose, or le Président a besoin du contreseing de la Chambre haute pour obtenir la dissolution. Après la démission d’Albert de Broglie, Mac Mahon finit par se soumettre et par appeler Jules Dufaure à diriger le gouvernement.
Dans le champ politique, la crise de 1877 marque le début de la conquête de la République par les républicains : l’année suivante, ils emportent une majorité de mairie ; l’année d’après, cette victoire leur permet de prendre la majorité au Sénat. Isolé et marginalisé, Mac Mahon choisit de démissionner. Son successeur, Jules Grévy, choisit alors de donner une lecture radicalement parlementaire des lois constitutionnelles de 1875 : plus aucun Président de la Troisième République n’usa par exemple du droit de dissolution. Cette crise fondatrice installe la Troisième République sans éloigner tous les dangers : le régime affronte de nombreuses crises jusqu’en 1940, l’opposition au système parlementaire ne désarmant jamais réellement. Mais elle introduit aussi le principe de concentration républicaine comme un élément de défense institutionnelle.
3 — 1955 : trancher au centre
Sous la Quatrième République, le droit de dissolution n’est pas dévolu au Président de la République — chef très théorique de l’exécutif — mais au Président du Conseil.
Son exercice exigeait une situation exceptionnelle, comme le précisait l’article 51 de la Constitution de 1946 : « Si, au cours d’une même période de dix-huit mois, deux crises ministérielles surviennent dans les conditions prévues aux articles 49 et 50, la dissolution de l’Assemblée nationale pourra être décidée en Conseil des ministres, après avis du président de l’Assemblée. » Cette dimension introduisait une nuance de taille puisque celui qui décidait la dissolution prenait le risque de devenir l’une de ses victimes dans le cas où les élections législatives le mettait en minorité.
Le seul à tenter cette gageure fut Edgar Faure, qui chercha par ce biais à renforcer sa position au sein du parti radical, sur fond, notamment, de désaccords quant à la politique à mener face aux revendications d’indépendance dans l’empire colonial. Président du Conseil depuis février 1955, Edgar Faure était en effet sous la pression de Pierre Mendès-France, qui obtint la réunion d’un congrès extraordinaire en mai où Faure se retrouva mis en minorité puisqu’il fut décidé que le parti privilégierait désormais les alliances à gauche.
À la fin de la même année, alors qu’Edgar Faure a suggéré au Président de dissoudre l’Assemblée, il est exclu du parti radical à une écrasante majorité. Pour prendre de court Pierre Mendès-France, Faure décide alors d’accélérer et de provoquer une dissolution, dans l’espoir de renforcer sa majorité centrale. C’est un échec total : le petit parti qu’il préside, le Rassemblement des gauches républicaines, obtient à peine 3 % des voix, tandis que le Front républicain qui réunit les soutiens de Mendès-France et les socialistes, réunit 27,7 % des voix. Leur programme de modernisation économique et sociale, couplé à la promesse d’engager des négociations en Algérie, leur permet de s’imposer. Faure est renversé et remplacé par Guy Mollet.
Sa tentative de régler par une élection nationale les querelles qui minaient le pôle central du paysage politique complexe de la Troisième République se solde par un échec retentissant.
4 — 1997 : le « bon plaisir » du Président
La Cinquième République marque une véritable rupture dans la mesure où, telle que l’entend de Gaulle, la séparation des pouvoirs n’est pas censée protéger le Parlement des offensives de l’exécutif, mais bien de mettre ce dernier « hors des atteintes, des empiètements et de la source de désordre que représente le pouvoir législatif » 5. Dans ce contexte, le droit de dissolution tel qu’il est établi par l’article 12 de la Constitution se rapproche de la conception qu’en avaient les conservateurs vaincus dans la première décennie de la Troisième République : dissoudre l’Assemblée devenait une manière pour le Président de la République de résoudre une crise qui l’opposait à cette dernière en appelant le peuple à trancher le différend. Au cours des deux occasions pendant lesquelles il eut recours à cette mesure, de Gaulle dramatisa un peu plus les enjeux puisqu’en 1962 et en 1968, il laissa clairement entendre que s’il n’obtenait pas une majorité, il en tirerait les conséquences et démissionnerait — ce qui n’était pas prévu par la Constitution de 1958. Ce faisant, il quittait le rôle d’arbitre qui était théoriquement le sien pour engager en quelque sorte sa responsabilité, en phase avec sa conception plébiscitaire du pouvoir exécutif. Il trouvait aussi le moyen de peser très lourdement sur le cours des élections : alors que les deux dissolutions intervenaient après des périodes de grande instabilité — la fin d’un conflit colonial qui s’apparenta à une guerre civile 6 et mai 1968 —, la menace d’une démission devait provoquer un réflexe d’adhésion au pouvoir en place.
Après que de Gaulle eut quitté la présidence de la République, aucun de ses successeurs n’usa du droit de dissolution comme lui. Après avoir annoncé qu’il y aurait recours pendant ses campagnes, François Mitterrand l’utilisa immédiatement après son élection et sa réélection dans le but de faire élire une majorité à l’Assemblée qui fût de son bord politique. Quant à la dissolution décidée en 1997 par Jacques Chirac, elle a marqué les mémoires comme l’un des gestes politiques les plus désastreux de l’histoire politique récente. Deux ans plus tôt, celui-ci avait écarté l’hypothèse d’une dissolution dans la foulée de son élection. Depuis 1993, en effet, le RPR et l’UDF disposaient d’une majorité confortable. Par conséquent, « aucune crise politique n’aurait justifié une telle décision ». Mais les difficultés du gouvernement Juppé, qui provoque une mobilisation massive contre son plan de réforme des retraites à l’automne 1995, et les déficits importants prévus en 1997, qui auraient forcé le gouvernement à décider de coupes budgétaires à moins d’un an des législatives prévues en 1998, convainquent le Président de dissoudre l’Assemblée un an avant l’échéance. À ce moment-là, les sondages donnent encore une légère avance au camp présidentiel contre le Parti socialiste dirigé par Lionel Jospin, renforcé par sa bonne campagne présidentielle en 1995.
Mais le pari présidentiel s’avère en échec. Dans un éditorial du 23 avril, Jean-Marie Colombani, directeur du Monde, fustige dans des mots restés célèbres la décision de Chirac : « Qui peut dissoudre l’Assemblée nationale ? Le président de la République. Quand ? À peu près n’importe quand. Pourquoi ? Pour ce qu’il veut. Ainsi résumée par un éminent constitutionnaliste, la lettre et l’esprit de l’article 12 de la Constitution dont vient de faire usage le chef de l’État nous ramène à la réalité de nos institutions : elles sont faites pour protéger un seul homme ; elles forment autour de lui une forteresse imprenable ; elles peuvent fonctionner selon son bon plaisir. L’opération reconduction-éclair que lance Jacques Chirac est, certes, une novation institutionnelle : c’est la première fois qu’un chef de l’État use de cette prérogative sans motif autre que son intérêt du moment. » 7 La charge est d’autant plus rude qu’elle souligne les abus de l’exécutif que permet la Constitution de 1958.
Au soir du 1er juin, la droite et le centre sont battus. La « gauche plurielle », qui réunit socialistes, communistes et radicaux, emporte une majorité confortable. C’est le début de cinq années de cohabitation, pendant lesquelles Jacques Chirac apparaît très isolé. La défaite calamiteuse du camp présidentiel et, en 2000, le passage au quinquennat, qui semblait devoir garantir au Président de la République une majorité, pouvaient donner l’impression que le droit de dissolution était devenu une curieuse obsolescence constitutionnelle, à la fois dangereuse et inutile : plus qu’une arme à double tranchant, la dissolution apparaît comme un couteau sans manche.
5 — 2024 : le paradoxe consacré ?
Pendant vingt-sept ans, la dissolution disparaît de l’horizon politique, ne survivant que dans la fiction politique où elle conserve un fort ressort narratif : elle y est figurée comme un coup de majesté institutionnel qui permet à des Présidents fictifs de renverser la table et de bousculer le récit.
Jusqu’au soir du 9 juin 2024.
Alors que le Rassemblement national est arrivé très largement en tête, le Président de la République décide de dissoudre l’Assemblée nationale : « que la parole soit donnée au peuple souverain, rien n’est plus républicain. » Le temps permettra sans aucun doute d’éclairer les motivations d’Emmanuel Macron. De plus en plus limité par la majorité relative dont il disposait à l’Assemblée nationale, il est possible qu’il ait compté sur la division des gauches — de plus en plus virulentes depuis les attentats du 7 octobre en Israël et la guerre sanglante qu’ils ont entraînée à Gaza — pour que ses partisans se retrouvent seuls au second tour face au Rassemblement national.
Si c’était le cas, l’union rapide des gauches et le rejet dont il fait l’objet dans l’opinion publique l’ont empêché d’obtenir le résultat qu’il souhaitait. Plus que jamais, les Français refusent le « bon plaisir » présidentiel. Et à la place d’une majorité renforcée pour Emmanuel Macron, la Cinquième République paraît plongée dans l’inconnu. Alors que le régime n’a cessé de se présidentialiser depuis 1958, en renforçant l’assujettissement du Parlement à la Présidence, l’hypothèse d’un Parlement sans majorité claire ouvre brutalement le champ des possibles.
On touche ici au paradoxe du droit de dissolution.
En 1789, les députés patriotes le considéraient comme une arme absolument démesurée pour l’exécutif ; en réalité, ce type d’appel au peuple aboutit souvent — pas toujours, comme en témoignent les cas de 1816, 1962 ou 1968 — à un renforcement du pouvoir parlementaire. Dans l’immédiat, il semble que ce soit le cas en 2024. À moyen terme, cependant, le recours à l’article 12 crée une incertitude profonde. Après soixante-cinq ans d’écrasement de la culture politique parlementaire, il paraît difficile de la réintroduire en quelques années.
À moins d’un énorme choc politique, la Constitution ne changera pas d’ici 2027 — et un nouveau Président ou d’une nouvelle Présidente, qui recourrait à une nouvelle dissolution dans la foulée de son élection, pourrait alors faire advenir les pires possibilités de la Cinquième République.
Sources
- Jean-Clément Martin, La Grande Peur de juillet 1789, Paris, Tallandier, 2024.
- Guillaume Glénard, L’exécutif et la Constitution de 1791, Paris, Presses Universitaires de France, 2010, p. 102.
- Guillaume Glénard, « Sanctionner : parfaire la loi », Clio@Themis [En ligne], 6 | 2013, mis en ligne le 24 juin 2021.
- Alain Laquièze, Les origines du régime parlementaire en France, 1814-1848, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, p. 380-383.
- Nicolas Roussellier, La Force de gouverner, Paris, Gallimard, 2015, p. 569.
- Grey Anderson, La guerre civile en France, Paris, La Fabrique, 2018.
- Jean-Marie Colombani, « Le bon plaisir », Le Monde, 23 avril 1997.