La dernière fois que Vladimir Poutine s’est rendu en Corée du Nord à l’été 2000, la Russie venait d’intégrer trois ans plus tôt le G7 — élargi puis renommé G8 —, le nouveau président russe recevait au Kremlin son homologue américain Bill Clinton, invité à s’adresser à la Douma, et le PIB par habitant en Russie entamait une progression faramineuse qui conduira à une multiplication par dix en moins d’une décennie.

Presque un quart de siècle plus tard, la Russie est un État paria avec à sa tête un dirigeant faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI).

  • La Corée du Nord est l’un des rares pays où le président russe est encore en mesure de se rendre sans avoir à craindre d’être arrêté. Le dirigeant nord-coréen s’est quant à lui rendu en Russie en septembre dernier.
  • En août 2023, Poutine avait été contraint d’annuler sa venue en Afrique du Sud à l’occasion du sommet des BRICS en raison du mandat de la CPI.
  • Après l’invasion de la Crimée de février-mars 2014, les capitales européennes et grandes villes américaines étaient encore ouvertes au président russe.
  • Depuis l’invasion de février 2022, la capacité de déplacement de Poutine s’est réduite à la Chine, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, les ex-républiques soviétiques ou bien l’Iran.

Les dirigeants russe et nord-coréen ont trouvé dans cette nouvelle configuration un arrangement qui semble bénéficier aux deux pays. Kim Jong-Un ouvre à Poutine les portes de ses hangars remplis d’obus, de missiles et autres armements. En retour, le président russe fournit une assistance technologique ainsi que des systèmes d’armements lourds (chars d’assaut, avions) que Pyongyang ne peut développer seul. Autre bénéfice pour la dictature nord-coréenne : la guerre en Ukraine constitue une opportunité de tester ses équipements dans une vraie situation de combat1.

Qu’attendre de cette visite, à un moment où la Russie dispose toujours de l’initiative sur le front ukrainien ?

  • Les médias d’État russes évoquent un « programme très riche » qui couvrira une large palette de sujets : économie, énergie, transports, agriculture, liens interrégionaux, questions de sécurité, de coopération dans l’arène internationale2
  • Dans les faits, Vladimir Poutine se rend en Corée du Nord principalement pour une chose : les obus d’artillerie dont l’armée a cruellement besoin pour conserver son avantage sur le terrain3.

Le ministère de la Défense sud-coréen estime que Pyongyang a envoyé à la Russie environ 7 000 conteneurs remplis de munitions depuis le début de la guerre, capables de contenir jusqu’à 5 millions d’obus d’artillerie4. Bien que datées et peu performantes pour la plupart, ces munitions permettent à Moscou de raser les villages et villes ukrainiennes et de harceler les positions de Kiev. En décembre 2023, le commandement ukrainien observait des incidents causés par ces munitions nord-coréennes « entraînant la perte d’armes et de personnel pour les envahisseurs »5.