Le dimanche 29 octobre 2023 vers 19h00 (heure locale), une foule d’environ 1200 personnes1 s’est introduite dans l’aéroport de la ville de Makhatchkala, capitale de la république du Daghestan, un territoire russe et pluri-ethnique du Caucase à majorité musulmane.

  • Les individus présents étaient visiblement à la recherche des passagers israéliens du vol WZ 4728 en provenance de Tel Aviv. Les images montrent une foule arborant des drapeaux palestiniens et dégradant l’intérieur de l’aéroport au cri du takbîr tout en procédant à des interrogatoires et à des contrôles d’identité.
  • Les forces de l’ordre ont évacué les manifestants vers 22h (heure locale). Des heurts avec la police ont éclaté. Selon l’ambassadeur israélien à Moscou, Alexandre Ben Zvi, aucun passager du vol n’a été blessé. 
  • Au total, une vingtaine de personnes ont été blessées, dont la moitié de policiers. Environ 80 individus ont été interpellés. 
  • Le 2 novembre, répondant à la demande du champion daghestanais de MMA Khabib Nurmagomedov de pardonner les manifestants, le chef de la république du Daghestan Sergueï Melikov a déclaré : « Personne ne demande que tous ceux qui se trouvaient à l’aéroport cette nuit-là soient punis. […] Ceux qui ont brisé des portails, brisé des vitrines ou renversé une voiture de police seront tenus responsables conformément à la loi. Et celui qui a regardé, tenant simplement le drapeau palestinien dans sa main, ne sera pas tenu responsable des actions illégales des autres ». Selon certaines sources, les individus interpellés pourraient être envoyés sur le front ukrainien  de la Région militaire Nord.
  • Selon l’agence de presse russe TASS, les synagogues du Daghestan ont été placées sous protection policière2.

Les réactions à l’attaque ont été internationales et se sont insérées à la fois dans le contexte de la guerre de Soukkot et celui de la guerre en Ukraine.

  • Israël, les Etats-Unis et le Canada ont condamné les événements. Le 29 octobre 2023, Israël a publié une déclaration conjointe du bureau du Premier ministre et du ministère des Affaires étrangères : « L’État d’Israël considère avec la plus grande gravité les tentatives visant à nuire aux citoyens israéliens et aux Juifs partout dans le monde. […] Israël attend des autorités judiciaires russes qu’elles garantissent le bien-être de tous les citoyens israéliens et juifs où qu’ils se trouvent et qu’elles prennent des mesures énergiques contre les émeutiers et contre les incitations sauvages dirigées contre les juifs et les Israéliens. L’ambassadeur israélien en Russie, Alex Ben Zvi, travaille avec les autorités russes pour assurer le bien-être des Juifs et des Israéliens sur le site ». Yossi Zilberman, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien a qualifié les individus s’étant introduit dans l’aéroport de « bandits cherchant à blesser les juifs ». Le même jour, George Deek, ambassadeur d’Israël en Azerbaïdjan, a publié sur X le texte suivant : « Au Daghestan, une foule a tenté de trouver et de lyncher des Juifs à l’aéroport. Voici ce qu’ils ont trouvé : six enfants musulmans du Daghestan qui revenaient d’un traitement contre le cancer en Israël. Ils veulent prendre la vie. Nous voulons donner la vie ».
  • Le 29 octobre 2023, l’envoyée spéciale des États-Unis chargée de surveiller et de combattre l’antisémitisme, l’ambassadrice Deborah Lipstadt, a publié sur X le communiqué suivant : « Nous condamnons les manifestations violentes qui ont été signalées en Russie et qui menacent les Israéliens et les Juifs. Nous demandons aux autorités russes d’assurer leur sécurité. Les États-Unis sont aux côtés d’Israël et de l’ensemble de la communauté juive face à la montée de l’antisémitisme dans le monde. Il n’y a aucune excuse pour s’en prendre aux Juifs ou pour se livrer à des incitations antisémites, où que ce soit ». Le 30 octobre, à l’occasion d’une conférence de presse, le coordinateur des communications stratégiques du Conseil de sécurité nationale John Kirby a déclaré :  « Je pense que vous avez tous vu ce qui s’est passé hier au Daghestan, en Russie, dans ce qui ne peut être décrit que comme une manifestation effrayante de haine, de sectarisme et d’intimidation. Certains l’ont comparé aux pogroms de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Je pense que c’est probablement une description appropriée, compte tenu de la vidéo que nous avons vue. L’État –ou, désolé, les responsables provinciaux locaux se sont certainement prononcés assez rapidement pour condamner cette foule. Et j’ai entendu dire qu’au cours de la dernière heure, apparemment, M. Poutine avait décidé d’avoir une sorte de réunion avec ses responsables de la sécurité. Mais en dehors de cela, nous avons entendu des grillons venant du Kremlin. Rien. Aucune condamnation. Pas d’appel à l’arrêt de la haine, de la discrimination et de l’intolérance envers les Juifs. Rien. Et je pense que cela en dit long ».
  • Les autorités daghestnaises ont réprouvé l’incident en pointant la responsabilité des réseaux sociaux et en mettant en relation l’événement avec les bombardements dans la bande de Gaza. Le premier ministre du Daghestan, Abdulmuslim Abdulmuslimov, a contextualisé l’attaque au regard des événements au Levant, avant de rappeler que les événements du 29 octobre ne sont pas conformes à l’identité du Daghestan : « Bien sûr, une personne normale ne peut pas accepter que les hôpitaux, les maisons où vivent des personnes âgées, des enfants et des femmes soient bombardés. Personne ne peut accepter que plus de 7 500 Palestiniens aient été tués pendant la guerre. Ici, nous soutenons la ligne de notre président Vladimir Vladimirovitch Poutine, qui dit que nous devons être du côté de la justice et de la vérité. Tout conflit et toute guerre se termine par la paix. Mais ce qui s’est passé dans notre république hier et aujourd’hui ne correspond pas au mode de vie des Daghestanais. Depuis des temps immémoriaux, les Daghestanais sont un peuple équilibré, juste, instruit ». Le 31 octobre, l’agence de presse RIA Daghestan a rapporté les propos suivants du chef de la république Sergueï Melikov : « Si l’on suppose soudainement que cette action a été menée exclusivement sur une base interethnique contre les Juifs, il convient alors de noter qu’un tel problème n’existe pas dans le pays. Au fil des années, de nombreux Juifs sont déjà devenus à la fois citoyens russes et citoyens israéliens, car beaucoup ont des parents vivant en Israël. Avant de répondre à la question « À qui la faute ? », il faut répondre à la question « À qui profite cela ? J’espère qu’il devient désormais clair à qui profite cette action. La rapidité avec laquelle l’Occident s’en est rendu compte et a commencé à commenter suggère qu’ils savaient quoi, quand et où cela se produirait et qu’ils étaient prêts à y faire face ».
  • La Russie a affirmé que les heurts avaient été orchestrés par les services de renseignement occidentaux. Le 30 octobre, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a déclaré que « les événements d’hier à l’aéroport de Makhachkala [était], dans une large mesure, le résultat d’ingérences extérieures », accusant les Occidentaux de « profiter de la situation et de la provoquer » pour « diviser la société russe »3. Lors d’une réunion à Novo-Ogariovo (résidence officielle au président russe) le 30 octobre, Vladimir Poutine a déclaré : « Lors d’une récente réunion avec des dirigeants d’associations religieuses, j’ai parlé des tentatives visant à utiliser la situation dramatique au Moyen-Orient et d’autres conflits régionaux contre notre pays, contre la Russie, pour déstabiliser et diviser notre société multinationale et multireligieuse. Pour ce faire, ils utilisent une variété de moyens, comme nous le voyons, des mensonges, des provocations et des technologies sophistiquées d’agression psychologique et informationnelle ».
  • Accusant l’Occident de manipuler la jeunesse daghestanaise, la Tchétchénie a regretté les dégâts matériels et a encouragé les émeutiers à diriger leur colère contre un front désigné comme pro-ukrainien et anti-palestinien. Le 30 octobre, Ramzan Kadyrov, le président de la Tchétchénie – république russe frontalière du Daghestan – a publié sur sa chaîne Telegram le texte suivant : « Comme toujours, notre président [Vladimir Poutine] a raison. La Russie se bat pour une véritable liberté, en s’opposant aux fascistes et aux satanistes agissant dans l’intérêt de l’Occident. […] Afin de ne pas devenir victimes de manipulation, les jeunes devraient consulter des personnes bien informées et écouter leurs opinions. Et puis ils ont détruit leur propre aéroport et leurs hôtels. Ils ont causé du tort à eux-mêmes, à leur république. Je suis sûr qu’à ce moment-là, des appels ont été lancés parmi les autorités du Daghestan pour expliquer l’absurdité d’une telle action et d’une telle manipulation de la part de l’Occident, mais ils n’ont pas été entendus. […] S’il y a un tel zèle et un tel désir de faire face à l’ennemi, je m’en réjouis ! Mais il faut l’orienter dans la bonne direction : vers l’Ukraine. Ce sont les mêmes forces là-bas, les vrais satanistes, fascistes et serviteurs d’Iblis, qui soutiennent le meurtre des Palestiniens. J’en appelle aux jeunes : réfléchissez avant de faire quelque chose comme ça. Ne devenez pas une foule déraisonnable. Les actions spontanées ne mènent pas à de bonnes choses. Consultez les aînés. Je remercie Vladimir Vladimirovitch pour sa position claire, équilibrée et sage sur cette question. Je suis fier de faire partie de l’équipe de notre président et j’ai l’honneur de contribuer à soutenir la SVO [«Opération militaire spéciale»] ! […] ». Il a par la suite appelé les forces de l’ordre tchétchènes à réprimer tout trouble potentiel en Tchétchénie et à « tirer trois coups de semonce en l’air et ensuite tirer un quatrième coup dans la tête ».
  • L’Ukraine a condamné les attaques et a pointé du doigt l’antisémitisme des autorités russes. Le 29 octobre 2023, Volodymyr Zelensky a publié sur X le communiqué suivant : « Des vidéos épouvantables en provenance de Makhachkala, en Russie, où une foule en colère a fait irruption dans l’aéroport à la recherche de citoyens israéliens sur le vol en provenance de Tel-Aviv. Il ne s’agit pas d’un incident isolé à Makhachkala, mais plutôt d’un élément de la culture de haine généralisée de la Russie envers les autres nations, qui est propagée par la télévision d’État, les experts et les autorités. Le ministre russe des affaires étrangères a fait une série de remarques antisémites au cours de l’année écoulée. Le président russe a également utilisé des insultes antisémites. Pour les têtes parlantes de la propagande russe à la télévision officielle, la rhétorique haineuse est une routine. Même l’escalade la plus récente au Moyen-Orient a donné lieu à des déclarations antisémites de la part d’idéologues russes. L’antisémitisme russe et la haine envers les autres nations sont systémiques et profondément enracinés. La haine est le moteur de l’agression et de la terreur. Nous devons tous travailler ensemble pour nous opposer à la haine.

Le Daghestan est une république pluriethnique et pluriconfessionnelle bien que l’islam sunnite y soit majoritaire. Une communauté juive autochtone, les Juifs des montagnes, vit dans la région depuis plusieurs siècles.

  • Dans ses allocutions, le chef de la république du Daghestan Sergueï Melikov a mis en avant cette spécificité culturelle : « Par leurs actions, ces non-humains ont piétiné l’un de nos principaux principes : une attitude bienveillante envers l’invité. Je voudrais vous rappeler comment les montagnards traitaient leurs kunaks [visiteur à qui l’on offre l’hospitalité indépendamment de son groupe ethnique et de sa religion en vertu d’une coutume caucasienne ancestrale]. La meilleure chose dans la maison était destinée à l’invité et, pour sa sécurité, le propriétaire pouvait sacrifier sa vie. Seuls ceux qui honorent ces ordres de leurs ancêtres peuvent s’appeler Daghestanais. Ceux qui ont fait preuve hier d’obscurantisme et de xénophobie ne méritent pas ce fier titre. » « Ces jours-ci, […] des appels militants ont été diffusés contre l’un de nos peuples autochtones, les Juifs des montagnes, qui vivent au Daghestan depuis de nombreux siècles. Ce sont les mêmes Daghestanais que vous et moi. Ils ont apporté une contribution inestimable à notre culture et à notre histoire communes. Ce sont des poètes, compositeurs, artistes célèbres […]. Nous ne permettrons à personne de porter atteinte aux droits de nos compatriotes, toute tentative de ce type sera brutalement réprimée »4
  • Au-delà des spécificités culturelles, le nord-Caucase bénéficie de la part du Kremlin d’un traitement particulier : la région est intégrée au district fédéral du Nord-Caucase (DFNC) et relève du ministère délégué aux Affaires nord-caucasiennes, Minkavkaz. Certaines analyses estiment que les responsables russes craignent de voir leur pouvoir s’éroder dans cette périphérie de la Fédération de Russie5. Après la rébellion de Prigojine, Poutine s’était rendu rapidement au Daghestan6.
  • Selon Pinchas Goldschmidt, l’ancien grand rabbin de Moscou, exilé depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, cet acte antisémite ne serait pas isolé. D’autres événements antisémites auraient eu lieu dans le Caucase. Le centre juif de Naltchik, la capitale de la république de Kabardino-Balkarie, aurait été incendié le 29 octobre7. A Khassaviourt, un hôtel abritant supposément des réfugiés juifs aurait été assiégé.