Cité du Vatican. L’accord “provisoire” signé samedi 22 septembre entre le Saint-Siège et la Chine a été abondamment commenté, et de mille manières. Y compris à Rome où les observateurs ne sont pas tous d’accord avec la ligne qui l’a finalement emporté. L’accord vise en premier lieu le règlement de la nomination des évêques chinois, une question cruciale dans un pays où la hiérarchie catholique se trouve coupée en deux, entre d’un côté une Église “clandestine” restée fidèle au pape, et de l’autre une Église “officielle”, abritée au sein d’une instance créée en 1957, “l’Église patriotique chinoise”, dont les membres sont nommés par le PCC. Réunir ces deux branches séparées de l’Église catholique chinoise a toujours été la volonté des papes, de Paul VI à Jean-Paul II et à Benoît XVI. Le pape François a tranché à sa manière, en acceptant de payer un prix que d’aucun juge élevé. Sept évêques “officiels” nommés par le parti communiste chinois ont été “desexcommuniés”, a-t-on ainsi appris quelques heures après la signature de l’accord (2).

L’entente trouvée représente certes un événement historique majeur, ne serait-ce que parce qu’elle succède à des décennies de diplomatie souterraine. Le scepticisme l’emporte cependant généralement sur les résultats à en attendre. D’une part parce que l’accord est déclaré “provisoire”, de l’autre parce que ses termes et articles précis n’ont pas été communiqués.

Pour la grande voix dissidente, celle de l’ancien archevêque de Hong Kong, le cardinal Zen Ze-kiun, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une “trahison”, c’est-à-dire d’un abandon de l’Église clandestine malgré les sacrifices et les persécutions que celle-ci a subi en Chine au nom de sa fidélité à Rome. Elle serait sommée de disparaître au bénéfice de l’Église officielle inféodée au régime. Le compromis ne s’inscrit pas, à ses yeux, dans le sens de la “Lettre aux catholiques chinois” de Benoît XVI en 2007 (1). Seul gage dont l’accord aurait été assorti, pour le Saint-Siège : l’assurance, que sa signature ne l’entrainerait pas à devoir rompre des relations diplomatiques entretenues avec Taïwan, un chantage jusque là exercé par Pékin.

L’accélération des négociations précédant cet accord remonte à la nomination de l’actuel Secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Parolin. Ancien nonce au Venezuela, Mgr Pietro Parolin a également été le négociateur du rapprochement avec le PC vietnamien ayant débouché sur la reconnaissance d’un statut juridique clair pour l’Église catholique dans ce pays. Les discussions avec le PC chinois, ont progressé en 2014, encouragées par ce succès avec l’espoir de formaliser un modèle valable des relations sino-vaticanes.

Autre diplomate du Vatican étroitement associé à ces dossiers : Mgr Claudio Maria Celli. Bien qu’officiellement à la retraite, il était l’émissaire de Rome dans les tentatives de médiations offertes au Président vénézuélien Nicolas Maduro tout au long de l’hiver 2016-2017, avant que celui-ci ne rejette finalement tout dialogue avec l’opposition d’un revers de la main. Ces deux hommes formés au sein de l’Académie pontificale ecclésiastique, l’école des Nonces apostoliques, incarnent la diplomatie vaticane dans sa pure tradition. S’agissant de la Chine, Mgr Celli est abondamment mentionné dans les dépêches de diplomates américains révélés par les Wikileaks. La masse de ces documents révèle un nombre considérable de rencontres avec Mgr Celli, lequel est systématiquement présenté aux États-Unis comme la source la mieux informée sur les relations du Vatican, avec à la fois la Chine et le Vietnam. Une métaphore utilisée par Mgr Celli auprès de ses interlocuteurs américains est sans cesse rappelée pour qualifier la situation des catholiques en Chine : “ils sont en cage, mais dans une cage dont nous nous efforçons d’élargir les barreaux”. Une image qui n’est pas sans évoquer celle utilisée par le cardinal Casaroli, l’architecte de l’ostpolitik vaticane sous Jean-Paul II, estimant que vis-à-vis de URSS, il lui fallait se comporter “comme un chat grattant à la porte pour se faire ouvrir” (3). Que cet accord de Rome avec la Chine ait été annoncé alors que le pape se trouvait en Lituanie inscrit d’ailleurs cet événement dans cette continuité historique.

Partisans d’un dialogue au sommet, et convaincus que le règlement de la question des nominations épiscopales en Chine n’interviendrait que dans le cadre d’un rapprochement diplomatique entre les deux États, Mgr Parolin et Mgr Celli y ont travaillé sans relâche. Cette ligne de la Secrétairerie d’État du Vatican compte néanmoins nombre de détracteurs au sein de la Congrégation pour l’Évangélisation des peuples, responsable de l’action missionnaire de l’Église et à ce titre toute-puissante en Asie. À l’intérieur de ce Ministère de la curie romaine jaloux de ses prérogatives sur les terres de mission asiatiques, la position du cardinal Zen l’emporte généralement. C’est également celle des Missions étrangères de Paris agissant en Chine continentale à partir de Hong Kong par un soutien logistique et pastoral sans faille à l’Église clandestine, à ses évêques, prêtres, missionnaires et fidèles. Car pour une partie des intermédiaires de Rome en Chine, négocier avec le Parti communiste chinois s’avère un jeu de dupes défavorable aux objectifs visés. Grignoter des libertés, sur le terrain, au jour le jour, est au contraire l’unique perspective. Benoît Vermander, un jésuite belge ancien directeur de l’Institut Ricci basée à Taïpei, et aujourd’hui professeur de sciences religieuse à l’université Fudan de Shanghai, résume tout le débat : « La Chine est un État-Église ; et le parti est l’Église de cet État ». C’est pourquoi le pape François aura le plus grand mal, si une forme de normalisation devenait effective, à dessiner un espace de vraie liberté pour l’Église de Rome (4).

Reste cependant que pour le pape François, le premier pape latino-américain et également le premier pape jésuite, l’héritage de Matteo Ricci, son coreligionnaire, est considérable. “L’amitié” préconisée par le missionnaire pour se faire accepter et vivre en Chine, il y a plus de quatre siècles, est également le crédo du pape François, qui n’a jamais caché que son plus vif désir serait de pouvoir se rendre au pays de Xi Jinping.

Or comme le prouve depuis son élection ce pape argentin, conclure des accords, même imparfaits, est une arme constante de sa diplomatie. Aller de l’avant, escalader la Grande muraille de Chine pour achever d’y ensemencer le catholicisme apparu dans ce pays au VIIème siècle et ne comptant cependant aujourd’hui que 12 millions de fidèles écartelés entre les deux branches de ces Églises qu’il faut coûte que coûte réunir, tel est bien sûr l’enjeu crucial de cette nouvelle ère. La voie choisie ne fait pas le bonheur de tous, mais elle se tente. L’avenir dira si l’accord du 22 septembre est plus profitable à l’Église catholique que celui signé entre le Vatican l’État d’Israël en 1993. Il devait déboucher sur un deuxième accord de règlement de questions concrètes, mais celui-ci n’a jamais été obtenu par la suite.

Perspectives :

  • Du 14 au 16 octobre 2018 se tiendront à Bologne, à l’initiative de la Communauté de Sant’Egidio, les prochaines rencontres et journées de prière pour la paix. Organisées chaque année, ces rencontres rassemblant un très grand nombre de leaders religieux de toute confession autours de personnalités politiques, d’acteurs de l’économie ou de médias issus du monde entier, illustrent la vocation de Sant’Egidio de création d’une « internationale religieuse » chargée de la promotion de la paix.
  • Le programme de ces journées d’octobre 2018, et plus encore la liste de ses intervenants et invités, traduit exactement la convergence de vues existant aujourd’hui entre la diplomatie du Vatican et celle de Sant’Egidio, une communauté de laïcs chrétiens fondée à Rome il y a un quart de siècle par un ancien Ministre italien, Andrea Riccardi, et souvent qualifiée de « petite Onu de Trastevere ».
  • Sant’Egidio est redevenue un outil dans la palette de la politique étrangère de l’Eglise, alors que le pontificat de Benoît XVI avait marqué de nettes distances avec « l’esprit d’Assise » (discours controversé lors de sa Conférence de Ratisbonne traitant de l’islam, gaffe de la « désexcommunication » d’un évêque intégriste négationniste, très négativement perçue en Israël).
  • Il est à noter cette année que trois évêques « officiels » chinois seront présents aux journées de Bologne : Mgr Joseph Shen Bin, l’évêque d’Haimen, dans la province de Jiangsu, Mgr. Dang Ming Yan, l’évêque de Xi’ an, dans la province du Shaanxi et Mgr Yang YongQiang, l’évêque de Zhoucoun, dans la province du Shandong. Tous trois appartiennent à l’Eglise « officielle » chinoise mais leurs nominations ont été décidées en accord avec Rome dans le cadre de la progression des négociations entre Rome et Pékin, dans les années précédant la signature de l’accord du 22 septembre.
  • Autre présence notable : celle de Mgr Antonij, le métropolite de Borispol en Ukraine, placé sous la juridiction du Patriarcat de l’Eglise orthodoxe de Moscou. Ce dignitaire orthodoxe ukrainien n’appartient donc pas à la hiérarchie de l’Eglise orthodoxe de Kiev « séparée » de Moscou, dont l’autocéphalie (la pleine indépendance canonique) est en voie d’être déclarée par le Patriarche de Constantinople, ce qui provoque des tensions très vives avec le Patriarche de Moscou, et même des menaces de schisme.
  • Parmi les personnalités politiques européennes annoncées à Bologne entre le 14 et le 16 octobre prochain, le Président français Emmanuel Macron, pour lequel ces rencontres inter-religieuses de la Communauté de Sant’Egidio constituent donc un événement digne d’intérêt. Sa présence s’inscrit dans la suite des rencontres qu’il a eues à l’occasion de sa première visite officielle au Vatican, le 26 juin dernier.

Sources :

  1. Benoît XVI, Lettre aux catholiques chinois, 27 mai 2017.
  2. CERVELLERA Bernardo, L’accordo Cina-Vaticano : qualche passo positivo, ma senza dimenticare i martiri, AsiaNews, 24 septembre 2018.
  3. CHARBONNIER P. François, La longue marche de l’Église vers une entente Chine-Vatican (3/3), Églises d’Asie, janvier 2018.
  4. MAKARIAN Christian, Chine : la fausse route du pape, L’Express, 30 mars 2018.