Berlin. La guerre au Yemen avait poussé la coalition à inscrire dans l’accord de coalition entre le SPD et la CDU une réduction des exportations à caractère militaire vers les pays belligérants. En octobre dernier, le commerce des armes avait été interrompu pour de bon, après l’affaire du meurtre du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul  1. Cette semaine, le SPD s’est engagé en faveur d’une prolongation de l’interruption, tandis que la CDU voulait l’assouplir. Le chantier naval de la Peene en Mecklenbourg-Vorpommern doit subir les conséquences de cette décision politique. Alors que l’entreprise devait livrer 35 navires de patrouille à l’armée saoudienne, seuls 15 d’entre eux l’ont été jusqu’ici. Ce sont les gardes-côtes et la marine allemande qui devront absorber les équipements dont la livraison à Riyad est maintenant impossible  2.

Le vice président du SPD, Ralph Stegner a défendu la position victorieuse du parti dans les négociations. « Les exportations vers l’Arabie Saoudite ne sont pas dans l’intérêt européen ». Ce n’est pas l’avis des partenaires européens, qui ne cachent plus leur impatience face à l’imprévisibilité des décisions allemandes sur les exportations. L’accord négocié à Berlin prévoit cependant que des pièces allemandes nécessaires à la fabrication en France de divers armements à destination de l’Arabie Saoudite pourraient, pour le moment, continuer à être livrées. La livraison à l’Arabie Saoudite des avions de chasse d’Airbus Eurofighter, en partenariat avec le Royaume-Uni, pourra continuer, mais le gouvernement allemand veut interdire leur utilisation sur le théâtre d’opérations du Yémen.

Or la France intensifie en ce moment sa coopération avec l’Arabie Saoudite. Par exemple l’entreprise française « Naval » vient de publier une déclaration d’intention pour construire des navires de guerre dans le pays. Face à la décision du partenaire allemand, Paris invoque les accords Schmitt-Debré de 1972, au titre desquels les deux pays s’engagent à ne pas handicaper les exportations de systèmes d’armes développés en commun. Or dans le contexte d’une industrie aéronautique, navale et terrestre toujours plus intégrée au niveau européen, de nombreux produits vendus à Riyad sont en réalité franco-allemands  3.

L’ambassadrice de France à Berlin Anne-Marie Descôtes reproche à l’Allemagne de faire de l’export des armes un débat seulement politique. Selon elle, cela menace la crédibilité de l’Allemagne comme partenaire de projets industriels futurs. Le gouvernement de Berlin semble en effet faire cavalier seul dans ce domaine. Alors qu’il s’efforce d’ignorer les conséquences géopolitiques et les craintes de ses voisins autour du projet de pipeline Nord Stream 2, en arguant que le projet est strictement économique, il froisse ses voisins en ignorant la dimension profondément intégrée de l’industrie d’armement européenne.

Perspectives :

  • L’ambassadrice Descôtes a évoqué le spectre d’une industrie de l’armement européenne dont les circuits fonctionneraient sans l’Allemagne « Cette insécurité juridique conduit de plus en plus [d’entreprises] à développer des stratégies ‘German-free’ – permettant de produire des équipements sans composants allemands. Si cette évolution se confirme, elle aura des conséquences graves et durables sur notre capacité à procéder à des rapprochements industriels et à conduire des programmes communs » »  4.

Pierre Mennerat

Sources
  1. MENNERAT, Pierre, Allemagne-Arabie Saoudite, le commerce des armes en question, La lettre du Lundi, 28/10/2018.
  2. BARTH, Nina, Export-Stopp verlängert : Keine Waffen für Saudi-Arabien, Tagesschau, 29/03/2019.
  3. FRIEDRICHS, Hauke, Rüstungsausfuhren : Wehrhafte Konzerne, Die Zeit, 29/03/2019.

  4. L’embargo allemand sur les ventes d’armes à Riyad agace Paris, France 24, 29/03/2019.