La Conférence sur l’avenir de l’Europe a été officiellement inaugurée le 9 mai 2021. Pourtant, ce n’est que ce mois-ci que le processus entre dans sa phase la plus importante — la phase délibérative — puisque le premier panel de citoyens européens se tient du 17 au 19 septembre dans les locaux du Parlement européen à Strasbourg.
Les panels de citoyens sont un élément central — le « cœur et l’esprit » — de la conférence. Des citoyens sélectionnés au hasard dans tous les États membres de l’UE y délibéreront sur des sujets européens cruciaux, et feront des recommandations à l’assemblée plénière de la conférence. Chacun des quatre panels qui se tiendront successivement à Strasbourg, Bruxelles, Varsovie et Florence est composé de 200 citoyens (au moins une femme et un homme par État membre, représentatifs en termes d’origine géographique, de sexe, d’âge, de milieu socio-économique et de niveau d’éducation) dont au moins un tiers sont des personnes âgées de 16 à 25 ans. Le premier panel portera sur une économie plus forte, la justice sociale, l’emploi, l’éducation, la culture et la transformation numérique, et sera basé sur les contributions des citoyens recueillies dans toute l’Europe sur la plateforme numérique multilingue dédiée.
Si ces panels constitueront sans aucun doute un exercice impressionnant de démocratie participative transnationale au niveau européen, le risque existe que leur résultat global ne débouche pas sur des propositions politiques efficaces de l’UE, ou soit discrédité au niveau national. La raison pourrait résider dans la déconnexion des panels de la dimension parlementaire nationale.
Selon le règlement intérieur de la Conférence approuvé par les institutions de l’UE, les parlements nationaux auront leurs représentants (4 par État membre) uniquement dans l’assemblée plénière de la conférence. Cependant, leur absence — en qualité d’observateurs — lors des panels de citoyens pourrait être une erreur coûteuse.
Les députés de certains pays ont déjà exprimé leurs inquiétudes quant à la possibilité que les travaux de la Conférence soient détournés par la « bulle européenne », ou l’élimination d’idées moins populaires ou controversées pendant les panels ou sur la plateforme numérique.
Dans ce contexte, le fait de ne pas inviter les députés à observer les parties les plus stratégiques du processus de délibération donnera très probablement du poids aux diverses voix eurosceptiques et nationalistes visant à discréditer les recommandations des citoyens. Cela pourrait également conduire à des accusations de manque de transparence ou de « corruption » potentielle de la contribution des citoyens lors des délibérations politiques. En outre, cela risque de gâcher une excellente occasion d’européaniser les membres des parlements nationaux, en particulier ceux qui siègent dans les commissions sectorielles, qui ne suivent pas les affaires européennes au quotidien mais pourraient être intéressés par la manière dont l’établissement de l’agenda politique dans leurs secteurs respectifs pourrait être façonné en fonction des préférences des citoyens.
Bien qu’il soit peut-être déjà trop tard pour Strasbourg, les invitations aux panels de citoyens suivants devraient être envoyées par le Bureau exécutif de la Conférence aux présidents de tous les parlements nationaux, pour être à leur tour diffusées à tous les députés. Compte tenu de la situation sanitaire et du fait que l’observation des panels pourrait se faire via des outils en ligne, il semblerait techniquement plus réalisable d’obtenir un taux de participation élevé de la part des députés.
La démocratie participative et la démocratie représentative sont deux dimensions essentielles de la légitimité de l’Union européenne. C’est pourquoi les recommandations des citoyens proposées lors de l’assemblée plénière de la Conférence au printemps 2022 devraient également faire l’objet de débats parlementaires nationaux — de préférence en séance plénière de tous les parlements nationaux de l’UE. Une large couverture médiatique nationale devrait être assurée afin de rationaliser les informations sur la mesure dans laquelle les recommandations des citoyens ont été discutées, reprises ou rejetées par les partis et les députés nationaux, permettant ainsi une véritable politisation de la gouvernance européenne dans les contextes nationaux.
Que nous le voulions ou non, les parlements nationaux sont les premiers représentants des multiples demoi européens. Ils ont non seulement un mandat naturel, mais aussi la capacité de traduire les postulats des citoyens en propositions politiques formelles. En fin de compte, si nous nous attendons à une discussion sur les changements potentiels du traité à la suite de la Conférence — pas grand-chose ne peut se produire sans le soutien des majorités dirigeantes nationales. Inviter les députés à agir en tant qu’observateurs silencieux pendant les panels de citoyens et obtenir des informations de première main sur le processus de délibération pourrait aider à y parvenir. Cela permettra également d’éviter le conflit potentiel de légitimités à un stade ultérieur.