Un consensus historique
Fait inédit dans l’histoire de l’ASEAN, un sujet de politique interne était au coeur des discussions entre les dirigeants des 10 pays de l’organisation régionale samedi : la tragédie birmane.
Le général Min Aung Hlaing, à la tête du gouvernement militaire en Birmanie, avait été convié par l’organisation à prendre part au sommet. Ayant délaissé l’uniforme militaire pour un costume civil, il a été reçu à Jakarta, non pas en tant que dirigeant légitime du pays, mais en tant que « chef de l’armée birmane ». Un consensus a été trouvé entre tous les dirigeants, qui se sont accordés sur un plan définissant en 5 points les mesures devant être adoptées afin d’engager un processus de pacification en Birmanie :
- « La violence doit cesser immédiatement au Myanmar et toutes les parties doivent faire preuve de la plus grande retenue. » – formulation quelque peu déconcertante, qui omet de souligner la responsabilité centrale de l’armée birmane dans le déchaînement des violences subies par les manifestants.
- « Un dialogue constructif entre toutes les parties concernées doit être engagé afin de rechercher une solution pacifique dans l’intérêt de la population. »
- « Un envoyé spécial de la présidence de l’ASEAN facilitera la médiation du processus de dialogue, avec l’aide du secrétaire général de l’ASEAN. »
- « L’ASEAN fournira une assistance humanitaire. »
- « L’envoyé spécial et sa délégation se rendront au Myanmar pour rencontrer toutes les parties concernées. »
En réalité, bien que cet accord soit le signe encourageant d’une première tentative régionale de résolution du conflit, nombreux sont les indices témoignant des limites de la portée d’une telle initiative. Le texte publié par l’ASEAN n’a aucune valeur contraignante. Il est par ailleurs très incomplet : aucune mention n’est faite de la question des prisonniers politiques dans la version finale du plan, bien que « des appels à la libération des prisonniers politiques aient été entendus » précise, dans un communiqué à part, le président du sommet. Or près de 3 500 personnes sont actuellement emprisonnées en Birmanie ; l’ex-dirigeante Aung San Suu Kyi est toujours détenue et est visée par plusieurs poursuites pénales dans six dossiers différents. Enfin, c’est surtout la volonté des dirigeants des pays voisins de l’ASEAN qui est en doute : si l’Indonésie, Singapour et la Malaisie ont porté des messages forts dénonçant la violence des forces de l’ordre en Birmanie et appelant à la libération des prisonniers politiques, le Laos, le Cambodge, ou encore la Thaïlande ont été beaucoup plus discrets. Le Premier ministre thaïlandais, lui-même parvenu au pouvoir après un coup d’État militaire, était même absent. Or l’influence de Bangkok sur son voisin birman est grande, l’armée royale thaïlandaise entretenant des relations étroites avec les militaires de Yangon.
Un régime de terreur
À près de 4 000 km de Jakarta, dans les rues de Naypiydaw, de Yangon, de Bago, loin des discours, des salutations policées et des crépitements des flashs des photographes, ce sont les cris des manifestants, les saluts à trois doigts des contestataires, et les salves des tirs de l’armée birmane qui décrivent le quotidien vécu depuis près de trois mois par la population birmane.
Plus de 750 Birmans ont perdu la vie pendant ces manifestations : Pan Ei Phyu, jeune fille de 14 ans tuée alors qu’elle ouvrait la porte pour accueillir des manifestants échappant aux tirs de l’armée, Zin Min Htet, 24 ans, étudiant en orfèvrerie, abattu lors d’une manifestation alors qu’il n’était armé que d’un bouclier, Hein Htut Aung, 28 ans, chauffeur de taxi, tué d’une balle près d’une barricade. La répression est sanglante et ne connaît aucune limite : depuis le début du coup d’État, au moins 28 attaques visant des hôpitaux et des secouristes ont été dénombrées, certains médecins ayant été arrêtés pour avoir essayé de sauver des vies. La mission des soldats n’est désormais plus de protéger la population, mais « d’annihiler » les manifestants, selon le mot d’ordre diffusé par les dirigeants de l’armée birmane dans une récente liste secrète d’instructions.
À la terreur exercée sur les corps dans la rue s’ajoute le contrôle des esprits sur Internet et dans la presse : plusieurs journaux ont été obligés de fermer – le Myanmar Times a suspendu son activité depuis fin février, face aux pressions trop fortes subies par ses journalistes -, l’Internet mobile a été coupé, le wifi public interdit. Bâillonner l’opposition pour mieux l’étouffer, telle est la stratégie appliquée par l’armée birmane.
Cependant, l’opposition politique s’organise et tente d’unir les forces contestataires pour mieux faire entendre sa voix : un gouvernement d’unité nationale a ainsi été constitué le 16 avril, mais sa puissance d’action est suspendue à la reconnaissance internationale qu’il pourra acquérir, ainsi qu’à la fin de l’impunité dont jouissent les militaires.
Difficile, donc, de dessiner l’avenir des 55 millions de Birmans, ne serait-ce qu’en pointillés, a fortiori en 5 points.