Huit figures, huit formes, huit macro-crises marqueront l’année qui vient — « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Ces figures sont inquiétantes, parfois totalement déconcertantes. Plutôt que de détourner le regard, nous vous invitons à les découvrir à travers des enquêtes et des portraits que nous publierons jusqu’à Noël. Chaque jour, une case du calendrier à ouvrir. Pour nous soutenir, offrez le Grand Continent

L’ordre monétaire international a rarement été si incertain 1. Des éléments aussi hétérogènes que la présidence de Donald Trump aux États-Unis, la rivalité croissante entre Pékin et Washington et les sanctions et le gel des réserves de la Banque centrale russe contribuent tous à cette incertitude générale.

L’essor des crypto-actifs, des monnaies numériques et le retour des métaux précieux comme réserve de valeur potentielle 2 ont conduit certains à prédire la fin d’un ordre monétaire basé sur la monnaie fiduciaire, sur la décentralisation de l’émission monétaire au niveau national et la création monétaire offshore à l’étranger. 

Après avoir été pendant des décennies le pilier de l’ordre monétaire mondial, le rôle du dollar est aujourd’hui remis en question.

La promotion des stablecoins et d’autres cryptomonnaies émises par des agents privés a été pensée pour étendre le rôle mondial du dollar. Pour autant, rien ne dit que cette stratégie cryptomercantiliste produira les résultats attendus.

La Chine a sa propre stratégie d’internationalisation, fondée sur l’expansion du réseau de swaps bilatéraux de sa banque centrale afin de promouvoir la facturation en renminbi et la création d’un système de paiement entièrement numérique soutenu par une monnaie numérique. 

La stratégie de l’Europe n’est, quant à elle, pas encore définie. 

Dans l’interrègne monétaire, les dirigeants européens — pas uniquement les banquiers centraux — doivent saisir l’occasion de renforcer le rôle monétaire mondial de l’Europe et sa monnaie.

Un euro plus fort serait une bonne nouvelle pour la résilience européenne, que ce soit en élargissant les protections contre les sanctions américaines, en aidant à protéger l’économie européenne des fluctuations des taux de change ou en garantissant de meilleures conditions de financement pour les gouvernements, les entreprises et les ménages européens.

Mais outre que ce renforcement n’exclut pas certains coûts, il nécessitera aussi un certain degré de planification et de coordination des politiques économiques entre les États membres, ainsi qu’entre les autorités fiscales et monétaires — deux éléments qui font défaut jusqu’à présent.

Une feuille de route pour l’Europe en cinq piliers

Dans un discours prononcé en juin dernier, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a fait part de son ambition de créer ce qu’elle a appelé un « euro mondial » 3.

Pour ce faire, affirmait-elle, il faudrait renforcer trois « piliers fondamentaux » : la crédibilité géopolitique, la résilience économique et l’intégrité juridique et institutionnelle.

Dans l’interrègne monétaire, les dirigeants européens — pas uniquement les banquiers centraux — pourraient saisir l’occasion de renforcer le rôle monétaire mondial de l’Europe.

Shahin Vallée

Peu de plans ont toutefois été élaborés pour atteindre ces objectifs. 

L’un des obstacles réside dans le fait que ce programme nécessitera bien plus que la seule BCE.

Il faudra une approche « pangouvernementale », avec la coopération de diverses autres institutions européennes et gouvernements nationaux.

Or ni à la Commission européenne, ni à l’Eurogroupe qui réunit les ministres des Finances de la zone euro, ni au Conseil européen qui réunit les chefs d’État, il n’y a eu — pour l’instant — de véritable discussion sur cette internationalisation de l’euro.

Cette conversation a jusqu’à présent été entièrement laissée à la BCE, qui ne peut pas traiter toutes les dimensions des décisions critiques et urgentes nécessaires pour faire de l’euro une devise de réserve véritablement mondiale. 

Les dirigeants politiques et les décideurs doivent établir un plan clair — idéalement préparé par la Commission européenne et la BCE — afin que l’Eurogroupe et, à terme, le Conseil européen puissent évaluer correctement les coûts, les avantages et les compromis liés à l’internationalisation de l’euro. 

Selon nous, ce plan devrait reposer sur cinq piliers

La matrice stratégique des lignes de swap

En période de crise financière nationale et internationale, les pays ont souvent besoin d’accéder rapidement à des devises fortes et se tournent généralement vers le dollar.

Depuis la crise financière mondiale, la Réserve fédérale dispose d’une ligne permanente permettant à certains pays — principalement des pays riches — d’échanger des montants pratiquement illimités de leur propre monnaie contre des dollars.

C’est l’un des moyens utilisés par les États-Unis d’Amérique pour maintenir le système mondial du dollar et répondre aux besoins internationaux de liquidité dans la monnaie pivot du système financier mondial. Ce réseau de swap est central dans le rôle qu’occupe le dollar aujourd’hui dans l’économie et les marchés de capitaux internationaux.

La Banque populaire de Chine a également augmenté ses swaps en renminbi ces dernières années 4, en particulier avec les pays détenant de la dette souveraine chinoise ou avec ses partenaires commerciaux.

Cette mesure a contribué à renforcer l’attrait du règlement des transactions internationales dans la devise chinoise. 

En comparaison, le réseau européen de lignes de swap est incomplet et incohérent, même au sein de l’Union.

Les pays hors zone euro tels que le Danemark, la Suède et la Suisse peuvent accéder à des lignes de swap — celles-ci sont même illimitées dans le cas de la Banque nationale suisse. La Banque d’Angleterre bénéficie également d’une ligne de swap illimitée. Quant à la Hongrie et à la Pologne, elles ne peuvent accéder qu’à des lignes de pension en euros — un arrangement moins généreux qui nécessite des garanties sous forme de collatéral éligible.

Au début de la guerre en Ukraine, la BCE a refusé de fournir une ligne de swap à la Banque nationale d’Ukraine, ce qui l’aurait aidée à stabiliser son système financier en période de crise aiguë. Conformément à sa tradition d’aversion au risque, la BCE avait également refusé en 2010 d’offrir une ligne de swap à la Banque centrale de Lettonie qui bataillait pour préserver son taux de change fixe à l’euro, mais a accepté d’en accorder une à la Riksbank suédoise, qui a finalement fourni des euros à la Lettonie directement et indirectement par l’intermédiaire de ses propres banques commerciales.

L’Union dispose du plus grand réseau d’accords commerciaux au monde, et l’Europe est le premier partenaire commercial de soixante-douze pays, qui représentent ensemble près de 40 % du PIB mondial.

Or une grande partie de ces échanges commerciaux est libellée en dollars américains.

Si ces transactions commerciales étaient libellées en euros et leur règlement garanti par des lignes de swap dans la monnaie européenne, de même si ces accords commerciaux comprenaient des dispositions encourageant le règlement en euros, l’impact pourrait être considérable. 

Ces lignes de swap peuvent jouer un rôle essentiel pour les économies émergentes en difficulté financière. Pourtant, si la Fed et la PBoC ont toutes deux utilisé leur puissance financière pour apporter un soutien politique et financier à plusieurs de ces pays, la BCE s’y refuse toujours arguant implicitement qu’il s’agirait d’une décision politique hors de portée d’une autorité indépendante.

Elle pourrait toutefois, avec l’accord explicite des États membres et de la Commission, établir des « zones d’influence » dans lesquelles elle étendrait les lignes de swap bilatérales en temps de crise à un ensemble sélectionné de partenaires économiques et géopolitiques essentiels.

Cette fonction rentre en contradiction avec le concept d’une banque centrale totalement indépendante, mais c’est pourtant un choix qu’un émetteur de monnaie véritablement mondial dans un système financier contesté et fragmenté doit être prêt à assumer. 

Enfin, les lignes de swap peuvent également s’avérer nécessaires pour soutenir des éléments essentiels des infrastructures de marché, tels que les chambres de compensation qui règlent les titres.

La BCE a bien cherché à imposer que tous les services de compensation en euros soient situés dans l’Union, mais cette mesure a été compromise par une décision de la Cour de justice européenne — de sorte que la plupart des chambres de compensation importantes en euros sont toujours basées au Royaume-Uni et aux États-Unis.

En conséquence, les mesures garantissant la liquidité ne peuvent reposer que sur un degré élevé de coopération entre la BCE, la Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale. Dans le contexte d’instabilité géopolitique actuelle, il serait pertinent pour l’Union d’interroger la fiabilité de ces accords.

Les lignes de swap peuvent jouer un rôle essentiel pour les économies émergentes en difficulté financière.

Shahin Vallée

Bâtir la souveraineté de nos systèmes de paiement 

Il existe aujourd’hui une technologie permettant de créer un système de paiement numérique public stable et souverain.

La monnaie numérique de la banque centrale chinoise et son système de paiement international ne dépendent pratiquement pas des systèmes contrôlés par des pays étrangers.

Cela signifie que la Chine est en mesure de compenser des transactions hors de la portée des États-Unis — dans un monde cassé, c’est une force considérable.

L’Union aurait beaucoup à gagner à développer un système similaire.

À l’heure actuelle, cependant, l’Europe ne dispose d’aucun système de paiement numérique souverain et toute son architecture dépend des prestataires de services américains.

En cas de sanctions imposées par les États-Unis, ni les transactions de détail les plus modestes — transitant par Visa ou Mastercard — ni les opérations les plus importantes du secteur privé transitant par SWIFT et compensées par CHIPS ne seraient en mesure de les contourner.

Même le système européen TARGET — qui permet les règlements entre les banques centrales — fonctionne avec des logiciels et des prestataires de services américains. 

Si ces risques ont jusqu’à présent été marginaux, ils ne peuvent plus être ignorés : nous sommes face à une vulnérabilité critique qui doit être traitée.

Dans ce contexte, le projet de l’Union visant à mettre en place sa monnaie numérique de banque centrale (CBDC) pourrait constituer un domaine de développement possible, en partie en réponse à l’essor mondial des cryptomonnaies.

Mais la CBDC européenne est en partie freinée par le lobbying des banques européennes craignant de perdre les dépôts des particuliers, qui constituent pour elles une source importante de financement bon marché. Malgré les efforts de la BCE pour rassurer les banques européennes 5, la législation finale devrait céder aux préoccupations des banques en imposant une limite de 3 000 euros sur les avoirs en euros numériques — limitant considérablement leur capacité à fonctionner comme véritable réserve de valeur ou moyen de paiement pour les transactions importantes.

La CBDC — ou euro numérique — fait désormais partie d’un ensemble plus large d’initiatives visant à mettre en place une infrastructure de paiement européenne plus solide, notamment le projet Pontes, qui vise à permettre des règlements par registre distribué interopérables avec TARGET, et le projet Appia, à plus long terme, qui consiste en un registre distribué plus étendu qui servira de véritable interconnexion entre les actifs financiers tokenisés — ou créés par des entités privées — et la monnaie numérique de banque centrale.

La zone Euro travaille également à l’interconnexion de son système de paiement TARGET avec des systèmes étrangers 6 afin de permettre des paiements internationaux robustes et publics.

Bien que ces initiatives soient positives, elles ne sont pas suffisamment complètes et, dans le cas du plus ambitieux projet Appia, elles ne sont pas mises en œuvre assez rapidement pour créer le système de paiement mondial et souverain dont l’Europe aurait besoin. 

L’accélération de ces initiatives en matière de systèmes de paiement publics devrait être une priorité constante pour la BCE, les gouvernements européens et les colégislateurs.

Les stablecoins peuvent tout changer — et l’Europe n’a pas encore de stratégie

Les stablecoins sont une cryptomonnaie indexée sur un autre actif tel que le dollar et garantie par des actifs sous-jacents libellés dans la monnaie d’indexation. 

En règle générale et jusqu’ici, l’essor des stablecoins a suscité deux types de réaction.

L’une est très favorable à ces nouveaux actifs : elle a été explicitée par la loi américaine GENIUS Act, qui encourage l’émission privée sans restriction de stablecoins afin de soutenir la demande internationale pour le dollar américain et les actifs américains sous-jacents. Un rapprochement inédit entre Wall Street et la Silicon Valley qui étaient jusque-là sous le coup d’une opposition entre finance traditionnelle et finance décentralisée. Les stablecoins réunissent ces deux logiques et ces deux lieux de pouvoir.

L’autre point de vue, partagé par la plupart des économistes spécialistes de la monnaie, est que les stablecoins garantis par des actifs tels que les bons du Trésor américain afin de maintenir leur parité, constituent un risque pour la stabilité financière en raison de l’incertitude qui entoure la capacité à maintenir cette parité entre la monnaie fiduciaire auquel il est indexé — risque de convertibilité au pair. 

En Europe, c’est clairement cette dernière opinion qui a prévalu 7.

En effet, l’Union a choisi de réglementer strictement l’émission de stablecoins et, en particulier, d’empêcher la fongibilité des stablecoins en dollars américains émis aux États-Unis — qui représentent la grande majorité des émissions de stablecoins — et des stablecoins émis dans l’Union. Dans un rapport récemment publié pour le Parlement européen 8, l’économiste Daniela Gabor a expliqué pourquoi une telle fongibilité entre les monnaies émises aux États-Unis et dans l’Union pourrait créer des failles dans le système financier transatlantique.

Dans les pages du Financial Times, Richard Portes a expliqué comment cela pourrait exposer l’Union à des risques considérables en matière de stabilité financière 9.

L’Europe a donc l’intention de se prémunir contre ces risques — mais ces intentions ont déjà été compromises par l’Autorité des marchés financiers (AMF) française, qui a décidé d’autoriser de facto la fongibilité des stablecoins Circle émis en Europe et aux États-Unis 10.

Si la BCE s’est opposée à juste titre à cette décision, cet épisode illustre l’absence totale de consensus efficace en Europe sur l’utilisation des stablecoins et leur interaction avec la stratégie d’internationalisation de l’euro.

L’Europe a peu à gagner des stablecoins, ni comme moyen d’accélérer l’internationalisation de l’euro, ni comme moyen de moderniser l’infrastructure de paiement européenne.

Comme l’explique l’économiste Hélène Rey, ils sont partie d’un « privilège technologique » 11 dans la mesure où chaque stablecoin est natif d’un certain écosystème technologique et donne accès à un certain univers de services technologiques et financiers.

Les stablecoins réunissent deux logiques et deux lieux de pouvoir : Wall Street et la Silicon Valley.

Shahin Vallée

En d’autres termes : l’écosystème financier européen n’est pas du tout propice au type d’univers cryptographique et financier décentralisé qui existe aux États-Unis.

Par conséquent, la demande de stablecoins européens, qui constituent principalement un moyen d’accéder à un tel univers d’investissement, devrait rester très limitée.

L’Europe pourrait adopter l’approche de la Chine et exclure en grande partie le rôle des stablecoins émis par le secteur privé. Mais cela nécessiterait probablement un régime réglementaire encore plus strict que le cadre MiCAR existant de l’Union 12.

Si cette réglementation plus stricte des stablecoins privés est mise en œuvre, l’euro numérique émis publiquement — ou CBDC — jouerait un rôle plus important dans les transactions de gros et des ménages, et pourrait alors remplir pleinement ses fonctions d’investissement, d’épargne et de réserve de valeur.

Mais, en l’état, la feuille de route actuelle de la CBDC ne permettra toutefois pas d’atteindre cet objectif. 

Par l’emprunt commun, bâtir un véritable actif sûr

Le rôle du dollar américain est soutenu par le marché vaste, profond et liquide des bons du Trésor américain en circulation.

Ces derniers constituent depuis des décennies l’« actif sûr » mondial par défaut, servant de référence mondiale et de réserve de valeur pour l’ensemble du système financier.

L’Europe a la capacité de devenir également un grand émetteur d’actifs sûrs en augmentant considérablement ses émissions communes de dette — actuellement trop fragmentées et sporadiques — afin de répondre à la demande d’actifs sûrs d’un véritable émetteur de monnaie de réserve mondiale.

Un émetteur commun unifié pour l’Europe, un programme d’emprunt vaste et prévisible, et un flux clair de recettes fiscales sans recours pour les soutenir permettraient de réduire les coûts d’emprunt et de créer le pool plus important d’actifs sûrs qu’une véritable internationalisation de l’euro nécessite.

Les négociations budgétaires à venir de l’Union — qui devraient trouver une issue d’ici la fin 2027 — pourraient aboutir à ce résultat. Mais elles nécessiteraient de nouvelles propositions audacieuses de la part de la Commission européenne, notamment une réforme du Mécanisme européen de stabilité et le transfert de son pouvoir d’emprunt et de ses ressources vers le budget de l’Union. 

Une telle transformation serait nécessaire pour un programme beaucoup plus vaste que l’actuel plan de relance Next Generation EU de 750 milliards d’euros et l’intégration d’autres programmes d’emprunt existants (SAFE, SURE, facilité d’assistance macrofinancière, emprunt pour l’Ukraine…) sous un même toit permettrait la création d’une courbe de taux d’intérêt unique, souveraine et sûre.

Afin d’encourager l’utilisation de ces actifs sûrs par les gestionnaires de réserves mondiaux, la BCE pourrait, à l’instar de la Réserve fédérale, jouer le rôle de dépositaire pour les banques centrales étrangères.

Ces services pourraient même être étendus à l’offre de services de coffres-forts en Europe pour les matières premières précieuses telles que l’or — garantissant ainsi la détention physique sur le sol européen dans le cadre d’un système juridique plus stable et plus prévisible que celui des États-Unis.

Vers l’intégration des marchés des capitaux

La création de ce marché d’actifs sûrs, profond et liquide, s’accompagnerait d’un marché européen des capitaux intégré. La BCE plaide depuis longtemps en faveur d’un cadre pour soutenir cette initiative, à commencer par la création d’un superviseur intégré des marchés de capitaux — une Commission européenne des valeurs mobilières, ou l’équivalent pour les marchés de capitaux du superviseur unique des banques créé en 2014.

Mais les dizaines de feuilles de route pour une union des marchés des capitaux ont toutes été écartées : elles ne parvenaient pas à réunir l’intégration juridique et politique nécessaire.

La création d’un nouveau régime juridique supranational de l’Union — suggéré notamment par Enrico Letta et Mario Draghi — contribuerait probablement à surmonter cet obstacle, mais aucun progrès significatif n’a été réalisé dans ce domaine.

Il existe toutefois des opportunités.

L’environnement financier européen, traditionnellement dominé par les banques, se diversifie de plus en plus, les institutions financières non bancaires (IFNB) jouant un rôle plus important.

Mais pour tirer parti d’un marché des capitaux plus diversifié et plus agile, il paraît indispensable d’intégrer les marchés des capitaux européens qui sont actuellement fragmentés selon des lignes nationales.

Au-delà d’un superviseur unique, cette meilleure intégration devra se traduire par une modification et un élargissement du rôle du cadre opérationnel de la BCE, notamment en élargissant la liste des contreparties éligibles aux opérations de refinancement et de prise en pension afin d’y inclure les institutions financières non bancaires (IFNB) — ce qu’aucun projet d’union des marchés des capitaux ne prévoit pourtant actuellement. 

L’ordre monétaire qui vient

C’est aujourd’hui une évidence : nous ne pouvons plus considérer comme acquis le système monétaire international actuel.

Mais si l’émergence des stablecoins va sans doute accroître la demande d’actifs en dollars qui les soutiennent — principalement des bons du Trésor américain — elle risque également d’introduire davantage d’instabilité, car la convertibilité au pair de ces monnaies stables nouvellement créées et encore mal réglementées demeure très incertaine.

Une ruée sur les stablecoins pourrait finir par susciter des doutes profonds non seulement sur l’écosystème crypto mais aussi sur le système fiduciaire du dollar américain dans son ensemble.

Les stablecoins pourraient être le plus grand accélérateur pour le dollar américain déclinant — c’est l’espoir de l’administration actuelle — mais ils pourraient aussi s’avérer être sa plus grande source de déstabilisation et le vecteur d’un choc financier et de crédibilité dévastateur.

Si le FMI s’est pour l’instant montré discret quant au risque pour le système financier mondial, la Banque des règlements internationaux 13 et, plus récemment, le Comité européen du risque systémique 14 se sont quant à eux montrés plus virulents. 

La Chine, pour sa part, a opté pour l’expansion de sa monnaie à des fins de négociation et de règlement en combinant une monnaie numérique forte émise par la banque centrale et un système de paiement entièrement souverain avec un vaste réseau de lignes de swap bilatérales qui a pour but de faire augmenter le nombre de règlements commerciaux en renminbi.

Elle a exclu tout rôle pour les monnaies émises par le secteur privé en dehors du contrôle du gouvernement. 

L’Europe semble prise en tenaille entre ces deux approches, sans stratégie claire.

Si nous voulons sérieusement renforcer le rôle international de la monnaie commune, il nous faudra faire bien plus que compter sur les seuls efforts et la bonne volonté de la BCE.

Une coordination politique et une action législative ambitieuse seront nécessaires, tout comme le travail de la Commission européenne et de l’Eurogroupe. 

Jusqu’à présent, cependant, l’ampleur des défis à relever et la rapidité avec laquelle le système international évolue semblent totalement sous-estimés.

Sources
  1. Cet article sera également publié en anglais sur Phenomenal World.
  2. Zoltan Pozsar, « Money, Commodities, and Bretton Woods III », Credit Suisse, 31 mars 2022.
  3. Christine Lagarde, « Europe’s “global euro” moment », Banque centrale européenne, 17 juin 2025.
  4.  Horn, S., Parks, B., Reinhart, C. M., et Trebesch, C., « China as an International Lender of Last Resort », NBER Working Paper No. 31105, National Bureau of Economic Research (NBER), 27 mars 2023.
  5. Ulrich Bindseil, Piero Cipollone et Jürgen Schaaf, « Digital euro : Debunking banks’ fears about losing deposits », Banque centrale européenne, 19 févrirer 2024.
  6. Piero Cipollone, « Enhancing cross-border payments in Europe and beyond », Banque centrale européenne, 1er avril 2025.
  7. « Markets in Crypto-Assets Regulation (MiCA) », Autorité européenne des marchés financiers.
  8. Daniel Gabor, « Transatlantic Fault Lines : Risks and opportunities in the EU-US macro-financial relations », Think Tank du Parlement européen, Comité d’Affaires économiques et monétaires, 25 novembre 2025.
  9. Richard Portes, « The stablecoin loophole that could expose the EU », Financial Times, 25 juillet 2025.
  10. « Fungibility : MEPs challenge backdoor entrance of foreign stablecoins under EU’s MiCA – Ledger Insights – blockchain for enterprise », Ledger Insights, 25 juin 2025.
  11. Hélène Rey, « Stablecoins, Tokens, and Global Dominance », Fond monétaire international, septembre 2025.
  12. « Markets in Crypto-Assets Regulation (MiCA) », Autorité européenne des marchés financiers.
  13. « The crypto ecosystem : key elements and risks », Banque des règlements internationaux, juillet 2023.
  14. « Crypto-assets and decentralised finance – Report on stablecoins, crypto-investment products and multi », Conseil européen du risque systémique, octobre 2025.