La doctrine Katz : le FMI contre la Chine
Contre la Chine, les États-Unis de Donald Trump ont besoin d’arsenaliser le FMI.
Cette année, les Réunions d’automne à Washington sont l’occasion d’introniser le nouveau numéro deux du Fonds : Dan Katz.
Protégé de Scott Bessent, il est le tenant d’une ligne dure face à Pékin, qu’il avait théorisé dans ce texte clef. Nous le publions avec une introduction contextuelle signée Shahin Vallée.
- Auteur
- Shahin Vallée •
- Image
- © Dan Katz vu par Tundra Studio

Cette année, aux Réunions de printemps du FMI, on craignait grandement que les États-Unis ne quittent le Fonds et la Banque mondiale.
Le Département d’État entreprenait alors une grande revue des engagements américains dans les institutions internationales et laissait planer le doute sur son engagement dans les deux organismes issus de Bretton Woods.
Dans un discours remarqué — que nous avions commenté dans la revue — le Secrétaire au Trésor Scott Bessent avait expliqué que les États-Unis resteraient bien dans les institutions du Consensus de Washington, mais seulement au prix de changements profonds.
Ceux-ci ont commencé à voir le jour, comme le soutien sans équivoque au nouveau programme d’ajustement de l’Argentine de Javier Milei — alors même que le conseil d’administration du Fonds avait émis de grandes réserves. Six mois plus tard, l’Argentine s’enfonce dans la crise et, sous la pression américaine et le concours financier du Trésor, le FMI est forcé de renouveler son engagement en soutien d’une stratégie économique dont chacun — à commencer par les marchés financiers — doute profondément.
En nommant Dan Katz — un proche de Scott Bessent — administrateur au FMI, et en intensifiant sa volonté de marginaliser la Chine, la stratégie américaine se fait de plus en plus claire : ne pas quitter les institutions internationales mais les manipuler pour marginaliser la Chine.
Cet agenda coïncide avec une nouvelle secousse dans la guerre commerciale sino-américaine, alors que la Chine instaure de nouveaux contrôles sur les chaînes de valeur liées aux terres rares.
Les États-Unis ont compris que pour avoir une chance de remporter ce conflit commercial, ils allaient avoir besoin de leurs alliés et des institutions internationales.
Ils ont ainsi commencé à utiliser le G7 pour étendre le régime de sanctions et de tarifs contre l’Inde et la Chine et vont certainement tenter d’imposer une réponse multilatérale sur les terres rares.
À ce stade, il semble difficile d’imaginer l’Europe y résister. Pour éviter d’entraîner l’Union dans le piège de Thucydide, il faut comprendre la radicalité des tenants de la proposition trumpiste.
Ce texte de Dan Katz, nouvel homme fort de Trump au FMI, en est un bon exemple.
Cette semaine, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international se réunissent.
Ce texte est publié en avril 2024, lors des dernières Réunions de printemps avant l’élection de Trump.
Alors que, des quatre coins du globe, les gouverneurs des banques centrales, les ministres des Finances, les acteurs du secteur privé et les organisations de la société civile du monde entier se déplacent à Washington, ces deux institutions pourront prétendre à juste titre être au cœur du système financier international.
Comme toutes les organisations internationales, la Banque mondiale et le FMI préfèrent que tous les pays participent, et pas seulement ceux qui partagent les valeurs et les objectifs de l’intégration économique tels qu’ils furent fixés après la Seconde Guerre mondiale.
En cela, elles commettent malheureusement une erreur.
Cette forme d’approche inclusive peut certes convenir à une organisation diplomatique telle que les Nations unies ; mais la Banque mondiale et le FMI sont des institutions financières, conçues par l’Occident pour promouvoir le développement, la croissance économique et la stabilité. Elles n’ont pas été conçues pour que s’y joignent des économies non marchandes comme la Chine, ni pour promouvoir leurs intérêts.
Jouer tout en sapant les règles du jeu
Comme on pouvait s’y attendre, l’intégration de la Chine dans les institutions de Bretton Woods n’a fait que compromettre leur objectif. Il est temps de reconnaître cette réalité et d’ostraciser la Chine plutôt que de vainement tenter de la coopter, encore et toujours.
La Chine ne partage pas l’engagement de l’Occident à améliorer le niveau de vie mondial en promouvant des politiques macroéconomiques raisonnables — politiques qui, en fin de compte, renforcent un système international dominé par le capitalisme. Au contraire, Pékin cherche à promouvoir dans le monde ses propres intérêts économiques, politiques et militaires.
Ces dernières années, la Chine est devenue le plus grand créancier officiel des pays en développement 1. Ces prêts sont généralement accordés sans conditions propres à encourager des politiques macroéconomiques raisonnables 2 ; ils constituent un piège à l’endettement, conçu pour permettre une expansion supplémentaire de l’influence chinoise 3 ; souvent, ils encouragent la corruption dans les pays débiteurs.
Ces efforts de la Chine pour promouvoir le développement de ces pays s’accompagnent également, dans la majorité des cas, de la présence de travailleurs et d’entreprises chinoises 4 — généralement des entreprises publiques liées au Parti communiste chinois ; pour les populations locales des pays débiteurs, cette présence diminue les retombées économiques que ces projets pourraient avoir.
La Chine travaille à contre-courant de la Banque mondiale et du FMI ; en dehors de ces organisations, elle crée des institutions parallèles pour le développement.
La présence de la Chine au sein du FMI et de la Banque mondiale les affaiblit aussi de l’intérieur. Les efforts du FMI pour résoudre les crises de la dette souveraine sont souvent contrariés par le refus de la Chine d’accepter des concessions raisonnables faites au débiteur 5, bien que celles-ci soient courantes pour les créanciers officiels.
À la Banque mondiale, la Chine sape fréquemment les tentatives visant à faire respecter les normes relatives aux droits de l’homme. Elle s’oppose notamment aux efforts visant à corroborer les indices déjà nombreux de travail forcé 6 sur plusieurs marchés publics chinois bénéficiant d’un prêt de la Banque mondiale 7.
Les offres de prêt faites par la Chine continuent également de dominer les appels d’offres de la Banque mondiale 8. Comme on pouvait s’y attendre, les entreprises chinoises font progresser les intérêts chinois, par exemple en aidant les gouvernements à espionner leurs opposants 9 ; le tout se fait grâce aux subventions de la Banque mondiale et aux fonds des contribuables américains.
L’impasse d’une politique d’apaisement
Les dirigeants de la Banque mondiale et du FMI ont généralement répondu à ces faits en cherchant l’apaisement plutôt que le conflit ; c’est regrettable.
Le président de la Banque mondiale Ajay Banga, nommé par l’administration Biden, a déclaré qu’il ne voulait pas prendre parti entre les États-Unis et la Chine 10. Il a approfondi la coopération de la Banque mondiale avec la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures 11, créée par la Chine dans le but manifeste de promouvoir les intérêts chinois et comme alternative à la Banque mondiale 12. La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, cherche à augmenter la contribution financière et les droits de vote de la Chine au FMI, sans demander à ce qu’elle s’engage en contrepartie à soutenir la mission déclarée du Fonds.
Il est temps que les nations démocratiques et capitalistes, États-Unis en tête, cessent de croire à cette fiction selon laquelle la Chine peut être une force productive et responsable au sein d’organisations internationales comme la Banque mondiale et le FMI. Au contraire, les États-Unis devraient chercher à défier et à marginaliser la Chine.
La Banque mondiale devrait immédiatement cesser tout prêt à la Chine et réviser ses appels d’offres afin d’éliminer les offres de prêt chinoises. Le FMI devrait parler avec franchise du comportement financier de la Chine, et travailler avec les agences de notation pour s’assurer qu’un défaut souverain sur les prêts chinois ne nuise pas à la solvabilité, compte tenu de la nature prédatrice et opaque de ces prêts. Les pays du G7 et ceux partageant les mêmes idées devraient également être prêts à utiliser des outils économiques bilatéraux pour atteindre ces objectifs et soutenir les institutions de Bretton Woods.
Cette approche provoquerait la Chine et susciterait peut-être un retour de flamme diplomatique ; il faut pourtant avoir la volonté de prendre des mesures drastiques pour changer le comportement de ce pays. Les États-Unis doivent travailler au sein des institutions de Bretton Woods à promouvoir ce qui étaient leurs buts initiaux 13 : aider les plus pauvres du monde et promouvoir la croissance et la stabilité économiques mondiales ; ils ne sauraient abandonner ces tâches à la Chine.
Sources
- Oyintarelado Moses, Demystifying Chinese Overseas Lending and Development Finance : Why China Became the World’s Largest Official Bilateral Lender, Global Development Policy Center, avril 2023.
- Bernard Condon, « China’s loans pushing world’s poorest countries to brink of collapse », AP, 18 mai 2023.
- Maria Abi-Habib, « How China Got Sri Lanka to Cough Up a Port » The New York Times, 25 juin 2018.
- Pippa Morgan, Andrea Ghiselli, « Chinese workers on Africa’s infrastructure projects : the link with host political regimes », The Conversation, 11 janvier 2023.
- Ezra Fieser, Shawn Donnan, Ramsey Al–Rikabi, « IMF Talks on Debt Deadlock Stuck Between China, Private Lenders », Bloomberg, 11 octobre 2023.
- Laura T. Murphy, Kendyl Salcito, Nyrola Elimä, « Financing & genocide : Development finance and the crisis in the Uyghur Region », Atlantic Council, 16 février 2022.
- Stuart Lau, « UN rules useless against China’s forced labor, research shows », Politico, 9 mai 2023.
- « Borrower Countries’ Contracts to Businesses in the U.S. and to Entities Potentially on U.S. Sanctions or Other Lists of Concern », Banque mondiale, 10 mai 2023.
- Joe Parkinson, Nicholas Bariyo et Josh Chin, « Huawei Technicians Helped African Governments Spy on Political Opponents », The Wall Street Journal, 15 août 2019.
- Eric Martin, « New World Bank Chief Vows to Steer Clear of US-China Rivalry », Bloomberg, 14 juin 2023.
- « World Bank Group and Asian Infrastructure Investment Bank Work Together to Address G20 Capital Adequacy Framework Recommendations », Banque mondiale, 23 juin 2023.
- « The AIIB and the ‘One Belt, One Road’ », Brookings, été 2015.
- D. J. Nordquist, Dan Katz, « The World Bank and the International Monetary Fund Should Do Less to Achieve More », CSIS, 22 janvier 2024.