Le Service fédéral russe des statistiques, Rosstat, a suspendu ces dernières années la publication de plusieurs séries de données démographiques : nombre de naissances, de décès, de mariages, de divorces, ainsi que leur ventilation par région. Selon le démographe russe Alexeï Rakcha, « depuis mars 2025, il n’y a pratiquement plus de statistiques démographiques publiques en Russie » 1.
Mardi 29 juillet, c’est le ministère de l’Intérieur qui a cessé de publier ses chiffres sur les victimes de crimes. Il s’agissait de la seule source disponible à l’échelle nationale 2.
- La disparition progressive des données économiques, démographiques et judiciaires russes est antérieure à l’invasion à grande échelle de l’Ukraine de 2022, bien qu’elle ait accéléré depuis.
- Dès 2020, durant la pandémie, le gouvernement russe a cessé de rendre publiques ses données mensuelles sur les causes de décès. Depuis l’an dernier, toutes les statistiques sur les causes de décès ont été complètement supprimées.
- En limitant l’accès à l’information, le Kremlin espère ainsi réduire la capacité des chercheurs et des médias à évaluer l’impact de la guerre sur la mortalité et la société russe.
La suspension des chiffres relatifs à la criminalité révèle toutefois une autre réalité. Ces séries de publications incluent le nombre de victimes d’homicides, d’agressions sexuelles, mais aussi de cambriolages. En tentant de dissimuler ces informations, le Kremlin pourrait chercher à masquer une hausse de la criminalité liée à la guerre contre l’Ukraine.
Il y a quelques semaines, V. A. Maslov, un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur russe, écrivait dans un article scientifique publié dans la revue Lex Russica qu’il fallait s’attendre à ce que « l’impact négatif provoqué par la guerre sur la situation criminelle actuelle se poursuive à l’avenir » 3.
- Maslov détaille dans son article les multiples facteurs susceptibles de conduire à une hausse massive de la criminalité en Russie après la guerre : grâces octroyées à des prisonniers en échange de leur recrutement dans l’armée, anciens combattants souffrant de syndromes post-traumatiques, mais également hausse du nombre d’armes à feu en circulation.
- En accordant des bonus à la signature extrêmement élevés au regard du niveau de vie moyen — jusqu’à plus de 3 millions de roubles, soit près de 33 000 euros —, le Kremlin a profondément transformé les attentes en matière de rémunération de centaines de milliers de combattants, ce qui pourrait compliquer leur réinsertion dans la vie civile.
- Maslow écrit ainsi qu’à leur retour de la guerre, « ces personnes ne voudront guère trouver un emploi où elles gagneront à nouveau moins bien leur vie ».
Plusieurs études montrent que les périodes suivant la fin des conflits sont marquées par une hausse de la criminalité. En République démocratique du Congo, les nombreux affrontements entre groupes armés ont conduit au développement de traumatismes chez les combattants qui compliquent leur réinsertion dans la société 4. Un phénomène similaire pourrait se produire en Russie, alors que la guerre se prolonge depuis plus de trois ans.
Sources
- Publication sur Telegram de Демография от Ракши, 16 mai 2025.
- Publication sur Telegram de Если быть точным, 29 juillet 2025.
- Маслов В. А., « Влияние специальной военной операции на преступность в России », Lex russica, 2025, Т. 78, № 3, С, 98–119.
- Pathways For Peace. Inclusive Approaches to Preventing Violent Conflict, Banque mondiale et Nations unies, 2018.