La France et l’Europe ont payé le prix fort de leur dépendance au gaz russe. Cette dépendance subsiste à travers le GNL russe et les produits issus du gaz russe qui nous sont exportés, comme les engrais azotés russes : elle se déplace aussi vers de nouvelles dépendances comme le GNL américain. Tout cela met la France et l’Europe dans une situation de risque en termes d’approvisionnement énergétique, comment sortir de ces dépendances ? Quels risques cela représente-t-il pour la compétitivité de notre industrie et pour la souveraineté de la France dans les deux prochaines décennies ?
La crise énergétique consécutive au début de l’invasion de l’Ukraine a mis à jour la dépendance importante de l’Europe au gaz provenant de Russie, et a rappelé brutalement à l’Europe combien sa souveraineté énergétique pouvait être fragile. En France comme ailleurs, nous avons effectivement payé très cher cette dépendance, et aujourd’hui, même si nous avons largement réduit les importations de gaz russe par pipeline, nous restons exposés à d’autres formes de dépendances : GNL russe , gaz algérien, mais aussi GNL américain, importé massivement depuis la crise, et bien sûr pétrole. Continuer à importer massivement de l’énergie n’est pas une réponse durable à notre besoin de sécurité d’approvisionnement et les changements de circuits d’approvisionnement après la guerre en Ukraine n’ont fait que déplacer notre vulnérabilité vers un partenaire commercial, les États-Unis, qui cherche à refonder la relation transatlantique en assumant de privilégier ses propres intérêts.
Sortir de ces dépendances auprès de quelques pays fournisseurs ne se décrète pas, mais se construit sur plusieurs piliers.
Le premier, c’est l’accélération de notre électrification. Cela suppose d’abord un effort massif pour développer une électricité décarbonée, pilotable et compétitive, et par nature produite sur notre territoire. La France a un atout historique avec son parc nucléaire, que nous devons préserver et moderniser, mais aussi compléter avec un développement d’alternatives renouvelables, notamment l’hydraulique, l’éolien à terre et en mer et le photovoltaïque, en veillant à le faire à un rythme qui correspond à l’évolution de la demande d’électricité. Cela suppose donc également des politiques de soutien de la demande d’électricité, non pas pour augmenter notre consommation énergétique globale mais pour transférer une partie de notre consommation fossile vers une consommation électrique (mobilités, bâtiment, industrie). Il faut donc ajuster le développement des renouvelables et dimensionner les réseaux à la hauteur de ces besoins présents et à venir et avec une approche intégrée qui est certainement à construire avec nos voisins européens.
Le deuxième pilier, c’est l’investissement dans les infrastructures de demain : interconnexions électriques, transport d’hydrogène, réseaux plus résilients. Cela passe par ce que la CRE appelle une régulation incitative, qui crée les conditions d’un système plus robuste. Dans notre dernier rapport sur l’hydrogène et le CO₂, nous appelons justement à anticiper les usages futurs pour dimensionner au mieux les infrastructures nécessaires. Enfin, il faut rappeler que la compétitivité industrielle dépend aussi du prix de l’énergie. L’électricité en France reste aujourd’hui parmi les plus compétitives d’Europe, grâce à notre mix décarboné. Mais cette compétitivité est fragile. Elle dépend de notre capacité à investir au bon rythme, à garantir des règles du jeu stables, et à ne pas faire peser sur les seuls consommateurs le poids de la transition. La souveraineté énergétique ne peut être que collective, européenne, et construite dans la durée au bon rythme.
Les changements de circuits d’approvisionnement après la guerre en Ukraine n’ont fait que déplacer notre vulnérabilité vers un partenaire commercial, les États-Unis, qui cherche à refonder la relation transatlantique en assumant de privilégier ses propres intérêts.
Emmanuelle Wargon
Le parc nucléaire atteint ses 55 ans pour les premières tranches, la construction de nouveaux réacteurs sera lente et progressive et l’entretien des infrastructures existantes va s’accompagner de coûts croissants. Cela pèse par conséquent sur le prix du MWh qui est aujourd’hui à plus de 60 euros. Dans ce contexte, comment construire une trajectoire énergétique qui soit compétitive et protectrice du pouvoir d’achat ?
Nous devons être lucides : notre parc nucléaire, bien que stratégique pour la décarbonation et la souveraineté énergétique, vieillit. Son maintien en condition opérationnelle implique des investissements réguliers. Nous avions évalué en 2023 le coût complet du nucléaire à environ 61€ 2022/MWh. Nous sommes actuellement en train de procéder à une actualisation du coût, qui ne devrait pas être sensiblement différent. Ce chiffre est certes plutôt compétitif à l’échelle européenne — d’ailleurs, la France dispose actuellement des prix les plus bas en Europe, hors Scandinavie — mais il ne suffit plus à garantir à lui seul un prix bas dans la durée pour tous les consommateurs.
Parallèlement, la construction de nouveaux réacteurs — notamment dans le cadre du programme EPR2 — est nécessaire, mais prendra du temps. Les mises en service s’échelonneront sur la fin de la prochaine décennie et le cout sera bien supérieur, l’Etat envisageant un contrat de soutien à 100 euros /MWh alors même que le financement sera partiellement porté par l’Etat. Ce n’est donc pas la solution immédiate pour répondre à la fois aux enjeux de production et de prix. La seule trajectoire réellement soutenable consiste à diversifier. Nous devons tenir une ligne de conduite claire sur le déploiement des énergies renouvelables compétitives — éolien terrestre ou en mer, photovoltaïque. Les derniers appels d’offres de la CRE montrent que ces technologies atteignent aujourd’hui des coûts entre 70 et 80 €/MWh pour les technologies à terre, tandis que l’éolien posé offshore, quant à lui, peut descendre autour de 45 €/MWh, ce qui en fait un atout stratégique pour la France. Il ne faut donc pas opposer nucléaire et énergies renouvelables. La cohérence du système suppose d’investir dans toutes les technologies décarbonées qui peuvent nous offrir de la production stable et abordable.
Enfin, la compétitivité du système ne se joue pas uniquement sur le coût de production, mais aussi sur l’efficacité du réseau et la prévisibilité des tarifs associés pour les consommateurs. C’est pourquoi la CRE plaide pour un pilotage tarifaire stable, une meilleure visibilité sur les dispositifs de soutien à la demande — comme MaPrimeRénov’ ou les aides aux entreprises — et une régulation qui soutient la modernisation des réseaux sans faire exploser la facture des ménages. Le pouvoir d’achat ne sera protégé que si la politique énergétique évite les à-coups, si elle offre de la visibilité aux producteurs, aux investisseurs et aux consommateurs. C’est le rôle que la CRE s’efforce d’assumer : garantir un système cohérent, résilient, et équitable.
Le parc nucléaire français, bien que stratégique pour la décarbonation et la souveraineté énergétique, vieillit.
Emmanuelle Wargon
Parmi les voies de diversification figurent le déploiement des infrastructures gazières européennes (depuis l’Europe du Nord et l’Espagne) et du pourtour méditerranéen (depuis le Maroc et l’Algérie) comme H2Med, qui permettront d’aller chercher des sources d’énergie compétitives (solaire, éolien, hydraulique), et le développement des réseaux électriques. La France pourrait être un hub énergétique majeur dans la prochaine décennie et prendre la tête de la dynamique. Quel rôle pour ces infrastructures dans notre avenir énergétique ? Quel plan de déploiement à la hauteur de ces ambitions ? et des besoins de décarbonation ?
Ce que nous préconisons dans le dernier rapport de la CRE, c’est la planification de la régulation des futures infrastructures H₂ et CO₂, sans attendre que le marché soit pleinement mûr.
Cela suppose de définir des règles d’accès, de tarification, de financement, car ces projets sont très capitalistiques et leur rentabilité dépendra d’une vision claire des usages futurs. Des grandes infrastructures européennes type H2Med auront un rôle à jouer sous réserve de définir leur modèle économique et que les acheteurs soient au rendez-vous. Mais le réseau électrique est tout aussi crucial. Il doit être adapté au changement climatique (notamment plus d’événements extrêmes), capable de raccorder des projets diffus comme les ENR terrestres, mais aussi de gros pôles industriels ou offshore. Nous devons gérer différents enjeux : raccordement diffus, raccordement industriel, raccordement des consommateurs stratégiques. Concrètement, nous discutons aujourd’hui avec les gestionnaires de réseaux des futurs tarifs, car la montée en puissance des investissements nécessaires aura un impact sur les coûts. Mais cet impact sera maîtrisable si la demande suit, et si les investissements sont bien dimensionnés. L’échec serait de construire trop tard ou trop peu — ou au contraire trop tôt et sans utilisateurs. C’est pourquoi l’anticipation coordonnée de la demande est un levier essentiel. Nous avons une fenêtre d’opportunité, en tant que pays situé au carrefour de l’Europe, pour construire un système résilient, interconnecté, souverain et bas-carbone.
L’électrification massive de notre économie est souvent présentée comme une solution clef pour la neutralité carbone. Quels sont, selon vous, les principaux défis techniques et financiers liés à cette électrification ? Comment passer à l’échelle industriellement et opérationnellement ?
L’électrification massive de notre économie est une nécessité si nous voulons atteindre la neutralité carbone. Il s’agit d’un changement de paradigme profond : on ne remplace pas simplement une énergie par une autre, on change les usages, les réseaux, les équipements, les comportements. Mais cette transition rencontre trois types de défis majeurs.
Le premier est économique : aujourd’hui, la solution vertueuse est souvent plus chère. L’hydrogène vert coûte plus que le gris, la voiture électrique est encore plus chère que la thermique, et les procédés industriels électrifiés restent moins compétitifs. Cette réalité freine la demande. Ce n’est pas un sujet théorique — c’est ce qui fait que les pompes à chaleur se vendent moins, que les chaudières à gaz repartent, et que les investissements industriels prennent du retard.
Le deuxième défi est lié aux changements de comportements : il faut accompagner la transition dans le logement, avec des aides mais aussi des conseils, accompagner la décarbonation de l’industrie, développer l’ingénierie à l’échelle territoriale.
Le troisième est technique : l’électrification suppose un réseau capable d’absorber des pics de consommation, de raccorder massivement de nouveaux usages, et de sécuriser la fourniture en toutes circonstances. Cela passe par des investissements massifs dans les réseaux, dans les flexibilités (stockage, effacement), et dans la planification territoriale.
Passer à l’échelle, c’est d’abord donner de la stabilité. Aujourd’hui, le problème vient en partie d’une instabilité des dispositifs d’aide : primes qui changent, crédits d’impôt modifiés, aides aux flottes d’entreprises supprimées. Or les ménages comme les industriels sont rationnels : s’ils ne peuvent pas anticiper, ils n’investissent pas.
Ensuite, passer à l’échelle, c’est faire fonctionner ensemble tous les maillons : production, infrastructures, régulation, et surtout politique de la demande.
La CRE soutient donc une stratégie claire : soutien aux investissements productifs, tarification adaptée des réseaux, et visibilité pour les consommateurs.
Enfin, nous devons faire en sorte que cette électrification ne soit pas un facteur de fracture sociale. Elle ne doit pas se faire au prix d’un pouvoir d’achat affaibli. Cela suppose une vraie politique d’accompagnement, ciblée, juste, lisible et prévisible. C’est une condition sine qua non pour réussir la transition.
L’électrification massive de notre économie est une nécessité.
Emmanuelle Wargon
500 GW de capacités renouvelables sont déployés chaque année dans le monde, dont plus de 300 GW en Chine. Pensez-vous que l’assouplissement des règles de permis et des procédures, tel que souhaité par l’Europe et la France, permettra à notre Continent de rester dans cette course verte ?
Quand la Chine déploie chaque année plus de 300 GW de capacités renouvelables, et que le monde dans son ensemble approche les 500 GW, nous devons regarder les choses en face : l’Europe n’est pas la seule à se transformer. En France et en Europe, nous avons des projets, des filières, des ambitions. Ce qui freine, souvent, ce sont les procédures : des délais trop longs, des recours multiples, des standards qui varient d’un pays à l’autre. Cette complexité administrative a un coût économique, mais aussi un coût en matière de transition.
L’assouplissement des règles de permis, s’il est bien encadré, est donc une nécessité. Mais il ne doit pas être synonyme de dérégulation. Il faut au contraire une régulation plus intelligente, plus lisible, plus rapide. Ce que nous défendons à la CRE, c’est un cadre clair, anticipé, concerté avec les acteurs locaux car la transition commence dans les territoires à une échelle locale. Il faut aussi éviter les effets de stop-and-go. Les développeurs ont besoin de visibilité, de stabilité, de confiance. Si les règles changent en permanence, ou si un projet peut être bloqué à chaque étape, alors on freine la dynamique, même avec de bonnes intentions.
Oui, donc, à des procédures simplifiées — mais aussi à des délais garantis, à des outils numériques pour le suivi, à des référentiels harmonisés à l’échelle européenne. Si l’Europe veut rester dans la course verte, elle devra allier ambition politique et efficacité administrative. Et c’est exactement à cela que la CRE contribue : mettre en œuvre les conditions pratiques de la transition.
La réforme du marché européen de l’électricité est en discussion. Faut-il revoir les mécanismes de tarification et d’interconnexion pour limiter l’exposition aux chocs extérieurs et rendre nos économies nationales plus résilientes ? Comment faire du marché intérieur européen un atout ?
La crise énergétique que nous avons traversée a révélé à la fois la résilience et les limites du marché européen de l’électricité. Le principe fondamental du marché, celui de la fixation des prix à partir de la centrale marginale — souvent une centrale à gaz — a permis historiquement une intégration progressive du système électrique. Mais il a aussi montré ses limites dans un contexte de choc massif sur le gaz. Ainsi, en France, les prix de l’électricité ont augmenté significativement alors même que notre mix électrique est très largement indépendant du gaz, à un moment où nous étions très dépendants des interconnexions, en raison de la baisse de production des centrales nucléaires causée par la crise de la corrosion sous contrainte. Est-ce qu’il faut revoir les règles ? On peut toujours chercher à améliorer le modèle, mais sans abandonner les bases du marché intérieur ou celles de la tarification au coût marginal.
Les interconnexions ont par ailleurs fait la démonstration de leur rôle essentiel de levier de sécurité d’approvisionnement et de mutualisation des ressources. Côté marchés, les perspectives s’organisent autour d’une tarification plus stable, plus prévisible, de la mise en place de mécanismes de capacité ou de contractualisations de long terme, PPA ou contrats pour différence (CfD) sur les productions décarbonées, afin de garantir des prix planchers pour les producteurs et des prix plafonds pour les consommateurs. C’est ce que nous soutenons à la CRE, et ce vers quoi tendent les dernières évolutions du cadre européen. L’objectif est de faire du marché intérieur un atout : un marché capable de garantir à la fois la fluidité des échanges, la sécurité des approvisionnements, et la compétitivité des prix pour l’industrie comme pour les ménages. Mais pour cela, il faut une gouvernance claire, des outils de correction des chocs, et une coordination renforcée entre les régulateurs nationaux.
Si l’Europe veut rester dans la course verte, elle devra allier ambition politique et efficacité administrative.
Emmanuelle Wargon
Une convergence européenne sur les questions énergétiques est-elle possible à moyen terme compte tenu des différences de mix énergétique entre des pays comme la France et l’Allemagne par exemple ? Quel est le rôle du régulateur comme la CRE dans ce mouvement vers la convergence ?
Une convergence totale des mix énergétiques en Europe n’est ni réaliste, ni souhaitable. Chaque pays a son histoire, ses ressources, ses choix politiques : la France s’appuie sur le nucléaire, les pays scandinaves sur l’hydroélectricité, l’Allemagne sur les renouvelables et, encore aujourd’hui, partiellement sur le charbon et le gaz. La diversité est une richesse, mais elle pose évidemment la question de la cohérence.
Pour autant, une convergence sur les objectifs — sobriété, neutralité carbone, sécurité d’approvisionnement, compétitivité — est non seulement possible mais indispensable. Elle ne repose pas sur l’uniformisation des mix mais sur la capacité à organiser un système commun qui permette à ces mix différents de fonctionner ensemble. Le rôle des interconnexions est central : elles permettent de compenser les excédents ou les pénuries temporaires entre pays, et elles ont été fort utiles à la France en 2022 quand se sont conjugués les effets de la crise liée au gaz russe et le problème de la corrosion sous contrainte du parc nucléaire. Mais elles doivent s’accompagner de règles communes de tarification, de gestion de la congestion, de transparence sur les coûts. C’est là qu’interviennent les régulateurs, et en particulier la CRE.
Nous participons activement aux travaux de l’ACER, l’Agence de coopération des régulateurs européens, et nous œuvrons à une harmonisation des cadres : que ce soit pour les appels d’offres renouvelables, pour la régulation des réseaux, ou pour la structuration des marchés de capacité. La CRE a également un rôle à jouer dans la définition d’un cadre d’investissement lisible, pour que les opérateurs puissent développer des projets transfrontaliers — dans l’hydrogène, les interconnexions ou les data centers — sans se heurter à une jungle réglementaire. La convergence n’est pas un alignement à marche forcée.
Le développement des infrastructures aura un impact pour les consommateurs et pourrait se traduire par une hausse du prix de l’énergie et de nombreux biens de consommation qui sont au cœur du quotidien des Français. Comment assumer les nécessaires rationalisations de consommation et effectuer le travail de pédagogie essentiel pour expliquer les hausses de prix actuelles et futures ? Comment accompagner les consommateurs les plus vulnérables ?
Le message clef est simple : la transition énergétique ne doit pas être subie, elle doit être accompagnée. La transition n’est pas un effort que les Français doivent porter seuls : elle doit être partagée, planifiée, expliquée — et socialement soutenable.
Le développement des infrastructures et le développement des capacités de production décarbonées sont indispensables : nous devons développer et raccorder les énergies renouvelables, électrifier l’industrie et les transports, adapter les réseaux au changement climatique. Mais tout cela aura un coût. Et ce coût, à un moment ou un autre, transite en partie par la facture des consommateurs. Cela doit se faire de manière équitable, en faisant porter un juste effort sur les différents acteurs du système électrique, en lien avec l’État, mais aussi sur le long terme pour étaler les efforts dans le temps, et en veillant à limiter les effets anti-redistributifs. Ce que nous devons absolument éviter, c’est que cette transition soit perçue comme injuste. C’est un danger réel, que nous avons vu se manifester brutalement avec la crise des gilets jaunes.
La convergence n’est pas un alignement à marche forcée.
Emmanuelle Wargon
Cela commence par un travail d’information. Nous devons expliquer clairement pourquoi les prix évoluent, ce qu’ils financent, et ce que cela permet d’éviter à long terme — en matière de dépendance géopolitique, de crises climatiques ou de pannes de réseau.
Une hausse de quelques euros sur une facture peut représenter un investissement stratégique qui nous protège collectivement et évite une augmentation massive en cas de crise. Mais il faut le dire, l’assumer et l’expliquer.
Ensuite, nous devons cibler les soutiens là où ils sont nécessaires. Les dispositifs doivent être lisibles, stables, compréhensibles. Les aides à la rénovation, à la mobilité électrique ou au chauffage doivent éviter les effets de stop-and-go qui provoquent l’attentisme. Et surtout, il faut que les publics les plus vulnérables — ménages modestes, zones rurales, familles nombreuses — puissent y accéder simplement. À la CRE, nous avons un rôle précis : garantir que la régulation tarifaire reste équilibrée. Nous travaillons à éviter des effets de ciseaux entre le financement des réseaux et la stagnation de la demande. Et nous alertons sur les effets contre-productifs d’une fiscalité mal calibrée, qui risque de peser plus lourdement sur les consommateurs à faibles revenus.
C’est effectivement le rôle de la CRE de tenter de trouver un compromis entre le bon niveau d’investissement nécessaire pour assurer un transport et une distribution d’électricité et de gaz fiables, sécurisés et résilients face au changement climatique et le niveau de prix acceptable par les consommateurs, qu’il s’agisse des ménages, des entreprises ou encore des collectivités.
Dans cette recherche de compromis, nous sommes à l’écoute des parties prenantes que nous consultons régulièrement, ce qui nous permet de tenir compte des contraintes et enjeux de tous les acteurs.
À titre d’illustration, en 2024, nous avons auditionné 46 acteurs de marché et réalisé 17 consultations publiques — plus d’une par mois ! Je crois que c’est le meilleur moyen d’impliquer tous les acteurs.
Une hausse de quelques euros sur une facture peut représenter un investissement stratégique.
Emmanuelle Wargon
Enfin, je voudrais terminer sur une note d’optimisme. Je ne crois pas que la transition énergétique implique nécessairement contrainte, sobriété subie ou factures plus élevées.
Je suis convaincue qu’elle peut au contraire passer par une électrification des usages, l’électricité en France étant quasi totalement décarbonée, par des usages mieux pilotés et répartis dans la journée, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises, pour bénéficier d’une électricité abondante et peu chère (je pense à la production photovoltaïque en été), par d’autres flexibilités à développer comme le stockage ou encore d’autres énergies à déployer (géothermie, hydrogène, biométhane, etc.), et enfin par des coopérations pérennes avec nos voisins européens pour consolider notre souveraineté. Nous pouvons y parvenir si nous y travaillons ensemble avec des acteurs de la société : ménages, entreprises industrielles ou tertiaires, collectivités locales, administration, et que chacun y prend sa part.