Merz : un premier bilan. Texte intégral de la conférence d’été du chancelier allemand
Dresser un bilan, donner un cap.
Dans un pays gouverné par des coalitions, la conférence de presse du chancelier est un exercice particulièrement codifié.
Pour la première fois de son mandat, Friedrich Merz s’y est prêté : qu’a-t-il voulu communiquer ?
Nous le traduisons en intégralité avec un commentaire ligne à ligne signé Guillaume Duval.
- Auteur
- Guillaume Duval •
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- © Stefan Boness/Ipon

Le 18 juillet, le nouveau chancelier allemand Friedrich Merz s’est soumis à l’exercice d’une première conférence de presse — après dix semaines à son poste et alors qu’il lui en reste 190 pour mettre en œuvre le programme de coalition.
Elle a été l’occasion de dresser un premier bilan de son action, marquée surtout par une forte baisse des impôts pour les entreprises et un net durcissement de la politique migratoire.
Ce dernier dossier est d’ailleurs le seul sur lequel Friedrich Merz ait évoqué la nécessité d’une politique européenne plus intégrée.
Que retenir de cette prise de parole et comment la comprendre ?
Nous traduisons et commentons ligne à ligne son propos liminaire.
Madame Welty, Mesdames et Messieurs, je vous remercie sincèrement de m’avoir invité à me joindre à vous aujourd’hui pour la première fois dans cette fonction.
Ute Welty est une journaliste allemande de l’ARD qui présidait ce jour-là la Bundespressekonferenz, la conférence de presse fédérale. Il s’agit d’une association rassemblant 900 journalistes qui invite les dirigeants allemands à tenir des conférences de presse — un exercice auquel le chancelier allemand se soumet régulièrement.
Je me réjouis que nous puissions revenir ensemble sur les dix dernières semaines de mon mandat et peut-être aussi nous projeter vers les 190 semaines à venir, durée pour laquelle le gouvernement fédéral actuel a été élu.
En Allemagne une législature dure quatre ans. En règle générale, le gouvernement en place couvre l’ensemble de cette période.
Permettez-moi de commencer par quelques remarques générales.
Nous sommes en fonction depuis le 6 mai.
Dès le premier jour, nous avons été confrontés à toute une série de défis majeurs en matière de politique intérieure et étrangère. Ces défis sont de taille — nous n’en faisons pas mystère. Cela vaut pour la politique de sécurité. Cela vaut pour notre budget. Cela vaut pour bien d’autres questions. Mais je suis convaincu que la République fédérale d’Allemagne, notre pays, est suffisamment forte pour relever ces défis par ses propres moyens.
Il ne faut pas s’y tromper : le gouvernement Merz mène avant tout une politique de Germany First et le fait que les moyens de l’Allemagne soient mobilisés d’abord pour redresser le pays lui-même risque fort de rendre les ambitions communes européennes plus difficiles à financer — même si l’Allemagne elle-même a rompu avec les dogmes austéritaires.
Nous avons conclu un accord de coalition à cet effet et nous avons commencé le travail au sein de cette coalition. Comme prévu, nous avons mis en œuvre jusqu’à vendredi dernier — dernier jour de session du Bundestag et dernière séance du Bundesrat avant la pause parlementaire estivale — tout ce que nous avions prévu dans le programme d’urgence pour la première phase de ce gouvernement fédéral.
Nous fixons les priorités nécessaires sans perdre de vue les préoccupations et les questions des citoyens de notre pays. Le premier pas est fait. Nous avons déjà pris toute une série de décisions. Nous avons aussi toute une série de décisions à prendre pour le second semestre.
Comme nous l’avons déjà dit, notre priorité actuelle est de sortir l’économie, notre économie nationale, de la récession. Nous avons amorcé le redressement et pris les mesures nécessaires pour stimuler la croissance.
L’économie allemande est en récession depuis deux années complètes : c’est une situation totalement exceptionnelle depuis l’après-guerre.
Grâce au programme d’investissement d’urgence, au fonds spécial pour les infrastructures et à une réforme fiscale des entreprises de grande envergure — la plus importante depuis plus de quinze ans —, nous avons rendu possibles les investissements privés et publics en Allemagne. Nous constatons d’ores et déjà une amélioration du climat des affaires. Les premiers instituts économiques révisent leurs prévisions à la hausse. C’est une bonne chose. Mais cela n’est rien de plus qu’une attente, un espoir pour la suite de l’année.
Le contrat de coalition prévoit un Fonds spécial de 500 milliards d’euros. Le gouvernement allemand a par ailleurs approuvé un plan de 46 milliards d’euros d’allègements d’impôts pour les entreprises comprenant de l’amortissement accéléré et d’autres mesures. Il veut ramener d’ici 2032, le taux de l’impôt sur les bénéfices à 10 % (contre 25 % en France aujourd’hui)
Je constate toutefois que l’intérêt des investisseurs nationaux et étrangers pour l’Allemagne s’est nettement accru et que les premiers entretiens avec ceux qui souhaitent investir en Allemagne sont très encourageants.
En contrepartie, nous avons constitué un fonds spécial que nous finançons par l’endettement.Je l’ai toujours dit : cette décision de dépenser jusqu’à 500 milliards d’euros au cours des douze prochaines années n’a pas été facile à prendre.
Il s’agit là en effet d’une rupture majeure avec les dogmes ordolibéraux allemands, particulièrement prégnants au sein de la CDU, le parti de Friedrich Merz.
Cette décision a nécessité la modification de la Constitution de la République fédérale où avait été introduite en 2009 une disposition interdisant en pratique à l’État fédéral de financer ses dépenses par la dette : le « frein à l’endettement ».
Nous voulons que notre pays bénéficie d’investissements. Nous avons besoin d’infrastructures performantes, de routes, de ponts et de réseaux ferroviaires en bon état. Mais nous voulons aussi numériser davantage. Nous voulons équiper correctement les écoles et créer une administration moderne.
Trente ans de politiques d’austérité et de sous-investissement ont eu pour résultat une profonde dégradation des infrastructures publiques en Allemagne. Le réseau ferroviaire — essentiel dans ce pays très densément peuplé — est dans un état déplorable qui entraîne très fréquemment d’importants retards.
Grâce à une nouvelle politique économique, nous garantissons la stabilité et la prévisibilité afin que les entreprises puissent investir, maintenir les emplois et en créer de nouveaux. Nous voulons tout simplement faire en sorte que l’Allemagne redevienne plus compétitive et plus innovante, meilleure qu’elle ne l’a été ces dernières années.
Contrairement à la France, le système politique allemand, construit pourtant autour d’une proportionnelle intégrale avec un seuil minimal à 5 %, permet une une réelle stabilité des règles du jeu fiscal et réglementaire.
Dans tout cela, une chose est claire : nous devons et nous allons utiliser les investissements publics et les fonds publics avec prudence et veiller à ce qu’ils soient dépensés efficacement. Il s’agit là aussi, je l’ai toujours souligné, d’une question d’équité entre les générations. Mais je suis convaincu que nous en profiterons tous.
La rupture avec les dogmes austéritaires néolibéraux, même si elle est assumée par la CDU, reste très critiquée dans l’opinion publique allemande, notamment par le parti d’extrême droite AfD. Cela oblige Friedrich Merz à beaucoup de prudence sur l’utilisation des fonds — le moindre dérapage serait immédiatement exploité.
Nous accompagnons cette offensive en matière d’innovation et d’investissement par des réformes structurelles.
L’abandon du « frein à l’endettement » ne s’est pas accompagné d’une rupture équivalente vis-à-vis des « réformes structurelles ».
Cela signifie que nous améliorons les conditions-cadres de notre pays. Nous allégeons la charge qui pèse sur les ménages et les entreprises, par exemple avec une réduction globale d’environ dix milliards d’euros des coûts énergétiques.
Les coûts de l’énergie sont particulièrement élevés en Allemagne pour les ménages. Le gouvernement a abaissé en particulier les taxes pesant sur l’électricité.
Nous veillons à alléger la réglementation. Une fois de plus, je tiens à souligner que nous prenons très au sérieux la question de la réduction de la bureaucratie, tant au niveau national qu’européen. Nous avons déjà pris les premières décisions concrètes à cet égard. Elles ont été définitivement adoptées vendredi dernier au Bundesrat. Nous poursuivrons dans cette voie cet été en accélérant les procédures d’autorisation, par exemple pour les éoliennes et les infrastructures hydrogène, ou en simplifiant le droit de la construction, le droit de l’environnement, le droit des marchés publics et le droit procédural. Des décisions seront prises à ce sujet pendant les vacances d’été, le 30 juillet et le 6 août par le conseil des ministres.
En Allemagne comme en France, les procédures d’autorisation sont lourdes et donnent fréquemment lieu à des contentieux.
Un autre domaine dans lequel nous constatons déjà très clairement que notre politique porte ses fruits est la réduction de l’immigration irrégulière.
Ce sujet, sur lequel Friedrich Merz s’est montré le tenant d’une ligne très dure, a été au cœur de la récente campagne électorale.
Pour autant, l’économie allemande aura massivement besoin de main d’œuvre immigrée au cours des prochaines années pour compenser les effets d’une démographie très déprimée depuis longtemps. Cet équilibre pourrait être difficile à trouver pour le gouvernement Merz.
Nous maintenons notre objectif de faire de l’Allemagne un pays attractif pour les immigrants, en particulier pour notre marché du travail, mais aussi pour la science et la recherche. Cependant, nous sommes d’accord sur le fait que nous ne devons pas continuer à surcharger nos villes et nos communes, ni notre société dans son ensemble, avec une immigration irrégulière. C’est pourquoi nous avons engagé des mesures correctives en vue de mettre en œuvre une politique migratoire à la fois humanitaire et ordonnée, en améliorant la gestion des migrations.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les contrôles aux frontières, qui ont été renforcés dès le premier jour de notre mandat, portent leurs fruits.
Malgré les accords de Schengen, le nouveau gouvernement allemand a décidé de rétablir les contrôles aux frontières du pays.
Nous avons également pris des décisions législatives, telles que la limitation du regroupement familial ou la possibilité de revenir sur la naturalisation accélérée telle qu’elle existait jusqu’à présent.
Cette restriction concerne les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire — moins que le statut de réfugié à proprement parler. Celles-ci ne pourront plus faire venir leurs familles en Allemagne pour les deux ans qui viennent.
Le gouvernement Scholz avait autorisé l’acquisition de la nationalité après trois ans pour certains immigrés particulièrement bien intégrés. Cette durée est ramenée à 5 ans comme c’était le cas auparavant.
Une chose est claire : à long terme, nous ne pourrons résoudre la question de l’immigration irrégulière qu’ensemble, au sein de l’Union.
C’est pourquoi nous nous engageons également en Europe pour parvenir à des décisions communes. Ce que nous faisons actuellement en Allemagne n’est qu’une solution temporaire. Nous en sommes conscients. Le ministre fédéral de l’Intérieur en est conscient. Nous en sommes conscients au sein de la coalition. Mais nous devons agir tant qu’il n’y a pas de meilleure protection des frontières extérieures en Europe.
L’Allemagne de Friedrich Merz pèsera de tout son poids aux côtés du reste de la droite européenne pour renforcer la logique de « forteresse Europe » déjà à l’œuvre.
Le troisième domaine que je voudrais aborder et dans lequel nous travaillons également à un véritable changement est la politique sociale.
Il va de soi que nous voulons préserver l’État social allemand. Mais nous voulons aussi qu’il reste performant. Cela signifie que nous devons mettre en œuvre des réformes. Les travaux préparatoires à cet égard sont en cours.
L’un des plus grands problèmes de notre époque est la disponibilité de logements abordables. Nous avons prolongé le moratoire sur les loyers et déjà modifié le code de la construction afin de permettre une construction plus rapide et plus simple. Nous allons enfin débloquer des sommes record pour la construction de logements sociaux afin que la situation du logement s’améliore progressivement.
Les prix de l’immobilier avaient été longtemps très inférieurs en Allemagne à ce qu’ils sont en France mais ils ont fortement augmenté au cours des dernières années, faisant de ce sujet l’un des plus sensibles politiquement dans le pays.
Au cours du second semestre, nous lancerons la réforme des systèmes de sécurité sociale avec les décisions que nous avons prises dans l’accord de coalition, c’est-à-dire avec la mise en place de commissions appropriées, qui n’ont toutefois pas pour objectif de transférer cette tâche à des commissions, mais d’élaborer de bonnes recommandations que nous souhaitons ensuite mettre en œuvre au sein de la coalition.
La CDU avait promis comme d’habitude de tailler dans le vif de la protection sociale allemande mais ce projet était d’autant plus inacceptable pour le SPD qu’il venait d’encaisser son pire score depuis la fin du XIXe siècle aux élections législatives de février dernier.
Pour s’en sortir, les coalitionnaires ont décidé de constituer des commissions spécialisées pour leur proposer des réformes du système de santé, du système de retraite ou de l’assurance chômage.
Ce sujet risque cependant de devenir explosif à terme pour la coalition.
Un autre domaine d’investissement important est le renforcement de notre défense, car sans paix et sans liberté, la plus belle croissance économique ne nous sert à rien.
Nous veillons ici, grâce à de nouvelles règles, à ce que nos soldats aient ce dont ils ont besoin pour devenir l’armée conventionnelle la plus puissante d’Europe. Afin que cela se fasse le plus rapidement possible, nous présenterons encore pendant les vacances d’été une loi visant à accélérer les achats de matériel. Les travaux préparatoires sont en grande partie terminés.
Nous devons tous comprendre que nous vivons dans un monde où certains tentent à nouveau d’imposer la loi du plus fort par la puissance militaire. Nous devons être en mesure de nous défendre contre cela. Je répète ici cette phrase maintes fois entendue et souvent citée : nous voulons pouvoir nous défendre pour ne pas avoir à nous défendre. C’est la ligne directrice de notre politique de sécurité et de notre politique de défense. Notre objectif est d’avoir un pays et une Union européenne qui, avec nos alliés de l’OTAN, soient si forts que nous n’ayons jamais à utiliser nos armes, à envoyer nos hommes et nos femmes au combat, mais que nous soyons cependant en mesure de le faire si nécessaire.
Le courant pacifiste reste très fort en Allemagne et l’effort en faveur de la défense ne peut être accepté au sein de la société allemande que s’il est associé de manière crédible à l’idée de ne pas s’en servir.
En tant que partenaire fiable en Europe et dans le monde, nous sommes prêts à assumer à nouveau davantage de responsabilités en tant que leader — car ce qui se passe dans le monde nous concerne tous directement, chaque jour, en Allemagne. La force et la puissance économique de l’Allemagne ont des répercussions directes sur l’Europe et le monde. Cela signifie que les affaires intérieures et les affaires étrangères sont indissociables.
La politique étrangère est toujours, aussi, une politique intérieure.
L’évolution était déjà en cours depuis que Gerhard Schröder avait refuser d’engager l’Allemagne dans la guerre d’Irak en 2002 mais Friedrich Merz confirme la fin du profil bas allemand sur le terrain géopolitique et la volonté de l’Allemagne de jouer elle aussi dans la cour des grands en la matière.
En résumé, permettez-moi de dire que notre coalition assume ce que nous avons choisi comme titre pour notre accord de coalition : la responsabilité pour l’Allemagne. Avec tout ce que nous avons mis en place et ce que nous allons encore mettre en place, nous osons davantage miser sur la confiance plutôt que sur les directives et les réglementations. Nous osons ainsi davantage de libertés, tout en reprenant le contrôle dans des domaines importants. Nous voulons que l’Allemagne devienne le moteur de l’économie et de la défense en Europe. Nous voulons montrer — et nous le montrons — que l’Allemagne peut être gouvernée depuis le centre.
Je voudrais peut-être ajouter un dernier mot sur les partis qui soutiennent la coalition, la CDU/CSU et le SPD. La CDU/CSU et le SPD entretiendront des relations de travail tout à fait normales, car nous savons quelle est notre mission. Les succès et les moments forts en font tout autant partie que les revers occasionnels. Cela fait partie de toute coalition. Mais nous gérons cela de manière équitable et dans un esprit de partenariat au sein de cette coalition.
De premières tensions sont apparues ces derniers jours entre la CDU et le SPD au sujet de la nomination d’une juge proposée par le SPD à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe dont le profil est contesté par la CDU.
C’est pourquoi je partirai en vacances d’été dans deux semaines pleinement satisfait de ce que nous avons accompli au cours des dix premières semaines. Elles seront courtes. Je reviendrai avec la ferme intention de poursuivre au second semestre ce que nous avons commencé, à savoir bien gouverner l’Allemagne et, compte tenu des crises mondiales, positionner l’Allemagne de manière à ce que nous restions un pays où l’on puisse continuer à vivre dans la liberté, la paix et la prospérité au cours des prochaines années. Tel est notre objectif — et nous y travaillons.
Je vous remercie.