Le vice-président intégraliste

En janvier 2025, J. D. Vance, a été élu Vice-Président des États-Unis à l’issue d’un parcours météorique.

Né en 1984, élevé entre l’Ohio et les Appalaches du Kentucky, soldat dans les Marines en 2003, licencié en sciences politiques en 2009, diplômé en droit en 2011, il a été très peu de temps assistant d’un sénateur texan puis d’un juge de district. Il a été guère plus longtemps avocat puis investisseur en capital-risque pour Peter Thiel (Mithril Capital) puis Steve Case (AOL). Il s’est marié en 2014 et s’est converti au catholicisme en 2019. Il est entré en politique en 2021 comme républicain pour devenir sénateur de l’Ohio en 2022 après avoir été proche du sénateur de Floride.

À ce nouveau poste, vice-présidentiel, Vance peut remplacer Donald Trump à n’importe quel moment.

Ses premières semaines sur le marchepieds de la présidence ont été marquées, comme pendant la campagne de 2004, par des prises de paroles vindicatives qui avaient forcé le pape François, juste avant son hospitalisation, à envoyer une Lettre aux évêques américains (février 2025). Censée expliciter la signification exacte de l’ordo amoris, que J. D. Vance avait invoqué sur X pour justifier les politiques anti-immigration, cette missive rappelait de manière explicite que les fondements de la religion catholique ne pouvaient être utilisés par le politique pour justifier des actions contraires à l’éthique.

L’histoire catholique aux États-Unis a pu s’écrire grâce à la protection apportée par le premier amendement de la Constitution fédérale

Blandine Chelini-Pont

Vance a manifesté, diffusé en interne et exporté — surtout en Europe — d’autres aperçus de l’idéologie qu’il partage et qui s’autodéfinit comme intégraliste — un intégrisme politique comparable à l’islamisme pour la religion catholique.

Sa descente sur Rome n’est pas passée inaperçue.

Avec l’aplomb d’un Charlemagne prêt à réclamer l’adoubement impérial — comme l’a relevé Alberto Melloni dans les pages du Grand Continent — Vance a arraché une ultime rencontre au pape François, non pas tant comme un fidèle important reçu en audience privée, mais bien comme le Vice-Président qu’il est, rentrant dans le Vatican escorté d’une armada de 40 SUV blindés.

Comment un tel scénario a-t-il été possible  ? 

Comment ce pays, qui s’est fondé sur des bases aux antipodes du césaropapisme et qui s’est méfié de la tyrannie ecclésiale a-t-il pu faire émerger un deuxième personnage de l’État qui se prétend plus catholique que le pape ?

Pour mieux comprendre, un détour historique par les conditions d’implantation du catholicisme en terre américaine peut aider à expliquer cet oxymore : un potentiel Président des États-Unis intégraliste.

Les dilemmes de l’implantation catholique aux États-Unis

L’histoire catholique aux États-Unis a pu s’écrire grâce à la protection apportée par le premier amendement de la Constitution fédérale, dont l’effet libéral a ensuite contaminé toutes les constitutions locales.

Cet amendement, interprété favorablement par la justice fédérale américaine, a permis aux catholiques de défendre leurs droits devant les tribunaux quand ils se trouvaient discriminés ou empêchés d’une manière ou d’une autre. Grâce au système libéral, à l’absence de religion établie, à la liberté totale de culte public, à la reconnaissance de la liberté de conviction, la religion catholique avait pu sortir de l’interdit et des catacombes coloniales. 

Mais ses propagateurs avaient bien conscience qu’ils seraient longtemps ultra-minoritaires, non-dominants, détestés et relégués comme papistes — le comble de l’obscurantisme tyrannique. 

Le catholicisme fut la religion repoussoir du pouvoir politique, des communautés protestantes et de l’opinion publique, de l’Indépendance jusqu’au milieu du XXe siècle. Il s’est constitué dans l’agglomérat d’un ramassis hétérogène de populations déjà américaines mais extérieures à la constitution de la Nation et donc particulièrement déconsidérées — francophones et hispanophones, créoles et métis amérindiens — venues des périphéries dominées du Royaume-Uni — Irlandais, Écossais jacobites — puis de l’extérieur de l’espace anglophone et à donc tout autant méprisées. Leur unité dans la foi catholique se signalait plutôt par leur pauvreté commune et leur étrangeté linguistique ou raciale. 

Le catholicisme séparatiste est la face oubliée et méconnue de l’américanité catholique.

Blandine Chelini-Pont

Les Américanistes

En tant que minorité religieuse dépareillée — et le plus souvent alloglotte — les catholiques américains ont été portés et se sont intégrés dans la nouvelle société par la stratégie de leurs évêques.

Ceux-ci décidèrent en conciles locaux de les américaniser, c’est-à-dire de les rendre anglophones en leur inculquant l’amour des institutions républicaines. Les partisans de l’américanisation, majoritairement d’origine irlandaise, furent qualifiés par leurs adversaires d’américanistes. Pour les évêques qui œuvraient à ce schéma, la démocratie, la liberté religieuse et le dynamisme social américain devaient être des alliés naturels de la foi catholique et non des menaces. Ils soutenaient cette affirmation à une époque où les catholiques et leurs Églises en Europe étaient massivement légitimistes.

On le sait, les idées américanistes et leurs soutiens furent dénoncés à Rome en 1895, par ceux des évêques et des laïcs américains qui refusaient l’immersion forcée dans le bain américain. L’affaire s’est terminée par la Lettre apostolique du pape Léon XIII Testem Benevolentiae Nostrae (1899) — un avertissement plus qu’une condamnation — rédigée en anglais et adressée au primat de l’Église américaine, l’archevêque de Baltimore.

Elle mettait les catholiques en garde contre cet américanisme qui les poussait à vouloir « changer l’Église » et à intervenir sur des questions intouchables comme la vie religieuse et les vœux monastiques, l’autorité indiscutable de l’institution ou la nécessité d’adapter le catholicisme au monde moderne… Depuis lors, ces questions et d’autres sont devenues des débats quotidiens chez les catholiques.

Les Séparatistes 

Dès le lendemain de la Lettre apostolique de Léon XIII sur l’américanisme, la partie des catholiques hostiles à l’américanisation s’est sentie confortée dans sa cause, qu’elle a identifiée à sa rectitude intransigeante.

Les anti-américanistes, principalement d’origine allemande et installés dans le Midwest, ont appliqué et transmis une démarche inverse à l’américanisme : un séparatisme continu censé éviter toute « contagion » avec la modernité américaine et ses nombreuses dénominations dans l’erreur

Ils cherchaient aussi à résister de cette manière à l’anticatholicisme courant de la société américaine, exprimé dans des mouvements « anti-immigrés » ou nativistes qui pesaient sur le jeu politique et voulaient empêcher l’octroi de la nationalité américaine aux nouveaux venus, comme le Ku Klux Klan. La stratégie des catholiques séparatistes, que l’on trouvait autant dans l’épiscopat non irlandais que dans les réseaux laïcs consistait à rester à distance des pratiques et des croyances majoritaires. Elle cherchait à défendre les traditions catholiques, tout à la fois rêvés et reconstruites.

Du séparatisme à la contre-culture politique

Le catholicisme séparatiste est la face oubliée et méconnue de l’américanité catholique.

Les séparatistes catholiques ont réagi à l’ostracisme social de leur religion en exagérant les défauts de la société américaine pour mieux s’en différencier, dans une logique identitaire. Au début du XXe siècle, cette société leur apparaissait déjà comme peu morale, violente, voire irrécupérable. Ils critiquent âprement l’individualisme, la cupidité, l’obsession capitaliste et sont choqués du peu de respect qu’ils perçoivent autour d’eux de l’unité familiale  : couples instables, concubinage toléré, divorce autorisé et facile, enfants abandonnés — un phénomène historiquement attestée — personnes âgées sans soutien…

À cette société sans pitié, ils opposaient leur mentalité de gardiens de la forteresse, garants d’une contre-société ordonnée.

Le mécontentement des séparatistes catholiques à l’égard de l’Amérique s’est perpétué dans le temps comme une contre-culture. Si leurs rancœurs ont pu changer au fil du temps, la connexion entre le moins-disant moral des Américains et le mantra incessant de leur « liberté » a toujours été une constate. Dans l’entre-deux-guerres, les séparatistes adhèrent ouvertement — comme ailleurs dans les milieux catholiques d’Europe et d’Amérique latine — à cette idée que le modèle républicain des États-Unis masquerait en fait une prise du pouvoir par les comploteurs « judéo-maçonniques », destinée à détruire les autorités politiques légitimes, ancrées dans le « sang et la terre » des nations. Ils comprennent la guerre d’Espagne comme le résultat de ce complot, dont l’antienne antisémite est partagée par le régime de Franco tout au long de son régime de fer.

Cette préférence d’avant-guerre pour des formes politiques étrangères, des formes antérieures à leur temps ou présentes dans des pays à majorité catholique, non libéraux ni démocratiques, plutôt que pour leur propre républicanisme, ne disparaît pas après la Seconde guerre mondiale.

Le mécontentement des séparatistes catholiques à l’égard de l’Amérique s’est perpétué dans le temps comme une contre-culture.

Blandine Chelini-Pont

L’Espagne franquiste y reste un contre-modèle positif, tout comme la Hongrie est aujourd’hui le modèle « parfait » des intégralistes américains, encensé par un de leurs mentors, le Missourien et Osage Gladden Pappin, devenu Président de l’Institut Hongrois des Affaires Internationales, et, depuis peu, citoyen naturalisé

Au début des années 1960, à la faveur du tournant conservateur animé par des intellectuels catholiques comme William F. Buckley, un groupe d’ultras derrière la revue Triumph et son fondateur Brent Bozell — rédacteur de la profession de foi du candidat républicain Barry Goldwater en 1964 — recommence à conspuer l’Amérique pour sa dégénérescence morale, cette fois-ci favorisée par les interprétations de la Cour Suprême qu’ils considèrent comme abusives. Ils donnent naissance à la théorie constitutionnelle dite originaliste, défendue jusqu’à aujourd’hui par les juristes catholiques de la Federalist Society  : les interprétations libérales de la cour sont pour eux une usurpation d’autorité, la Constitution n’ayant pas été pensée pour lui donner un tel pouvoir d’orienter l’esprit des lois. Il s’agissait à l’époque d’attaquer l’autorisation judiciaire de la contraception chimique et l’interprétation « à la française » de la Séparation américaine en neutralité. 

La veine ultra n’a ainsi jamais pactisé avec les « compromis » des conservateurs. Elle s’est écartée avec indignation des catholiques démocrates alors très majoritaires et dont l’un des représentants politiques a fini par devenir Président des États-Unis. 

Elle a préféré une coalition œcuménique radicale avec les évangéliques et les fondamentalistes protestants contre la libération sexuelle, la dépénalisation constitutionnelle de l’avortement, le féminisme et la naissance des droits des homosexuels. 

Elle a contribué à la constitution de la droite chrétienne dans les années 1980-1990, à la colonisation chrétienne du conservatisme dans les années 2000 et à la fabrication du national-populisme chrétien dans les années 2010. 

Elle se distingue désormais par l’invention de cette nouvelle nébuleuse politique dite post-libérale, qui a émergé entre les deux livres de son inventeur, le professeur de sciences politiques Patrick Deneen, Why Liberalism Failed en 2018 et Regime Change  : Toward a Postliberal Future en 2023.

[Ce week-end, un entretien avec Patrick Deneen paraîtra dans ces pages. Abonnez-vous pour le recevoir dès sa parution et pour avoir accès à toutes nos publications]

La contamination intégraliste

Les intégralistes américains sont la sous-catégorie la plus remuante de ces nouveaux post-libéraux.

Ils ont des théoriciens académiques — comme Adrian Vermeule —, des théologiens — comme Chad Pecknold et Edmund Waldstein —, des essayistes à succès — comme Rod Dreher ou Sohrab Ahmari —, des sites et des journaux en ligne (Postliberal Order), des think tanks (Heritage Foundation), des bloggeurs et influenceurs — comme Mgr Robert Barron — ou encore des milliardaires de la Tech qui les financent, comme Peter Thiel. 

Leur champion est incontestablement le météore politique et médiatique et auteur-éditeur au succès fulgurant devenu vice-président des États-Unis, J. D. Vance.

À la thèse historiciste de Patrick Deneen sur la fin prévisible et nécessaire de l’âge libéral, qui aurait transformé la société américaine en dépotoir moral, les intégralistes ajoutent l’étage supplémentaire du futur régime dont ils se rêvent promoteurs et qui devrait s’imposer aux États-Unis — mais aussi ailleurs, dans les autres régimes démocratiques libéraux. Les intégralistes militent pour le retour à une démocratie « symphonique », où foi et pouvoir marchent de concert.

L’avènement d’un régime intégral signifierait que la démocratie cesse de respecter et de promouvoir les droits et libertés, hors ceux de « droit naturel ».

Blandine Chelini-Pont

Ils puisent dans la première grande tradition politique du catholicisme, celle de l’alliance impériale.

Dans une image saisissante, empruntée à Thomas Hobbes par Fintan O’Toole au début d’un récent essai de la New York Review of Books intitulé « Can the Church Evolve  ? », l’Église catholique est décrite comme un Dominion ecclésial à la tête duquel trône la papauté (papacy), couronnée et sise en chaire, non pas sur le tombeau de Pierre, mais sur la tombe de l’Empire romain, comme son spectre vespéral (« ghost of the deceased Romane Empire, sitting crowned upon the grave thereof »).

Pour cruel qu’il soit, ce portrait nous dit quelque chose de cette particularité du passé catholique  : l’Église envisageait son autorité dans le sillage de l’autorité impériale et sous la même forme souveraine. L’autorité impériale devait régir le peuple selon les vérités de la foi, rappelée en permanence par l’autorité ecclésiale. Pour les intégralistes américains d’aujourd’hui, un régime politique devrait moins reposer sur la représentativité ou les libertés garanties aux citoyens que sur la reconnaissance par le pouvoir en place qu’il existe principes au-dessus de lui qui lui sont rappelées par l’autorité religieuse et qu’il gouverne pour le « bien commun », dans une relation formelle et d’appui mutuel entre l’Église et l’État. C’est ce qu’écrit par exemple Adrian Vermeule, professeur de droit constitutionnel à Harvard et grand théoricien de l’intégralisme, dans Common Good Constitutionalism (2023)  : la recherche du « bien commun » est l’objectif explicite de l’ordre constitutionnel et le pouvoir exécutif devrait être largement renforcé pour mener à bien sa réalisation.   

Concrètement, l’avènement d’un régime intégral signifierait que la démocratie cesse de respecter et de promouvoir les droits et libertés, hors ceux de « droit naturel ».  

Les droits et libertés seraient des dévoiements favorisant la licence sexuelle et la perte de repères existentiels. Ils exprimeraient la passion américaine pour la lutte contre les discriminations favoriseraient les délires identitaires et « la tyrannie sociale des LGBTQ », qui auraient imposé leur théorie des genres en persécutant les chrétiens. Les intégralistes entendent commencer par le changement de « régime mental » de l’ordre politique américain. Le maître mot n’est plus la self freedom, mais le bien commun de la Nation, dont la poursuite commence par la réorientation des politiques publiques avec la fin immédiate des politiques inclusives. Le but est de réorienter les consciences dans les espaces où elles sont formées et informées — lieux d’éducation, médias, culture, arts, réseaux sociaux. Finalement c’est la réorientation du système institutionnel lui-même qui est visé, par la mise en place d’une démocratie autoritaire et charismatique, dont le chef doit se définir comme catholique et chrétien.

Vance s’est converti au catholicisme en 2019, accompagné par un Dominicain intégraliste de la province Est, Henry Stephan, qu’il a invité à la Maison Blanche après son élection. Quand il a brigué le poste de Sénateur dans l’Ohio en 2022, il a été la grande vedette de la Conférence annuelle des Franciscains de Steubenville, le rassemblement incontournable des intégralistes américains. Ces derniers sont comme lui : jeunes et souvent convertis. C’est cette jeunesse qui repeuple les monastères, qui investit les universités de la Ivy League mais aussi les bastions universitaires catholiques et les nouveaux campus Rad-Trads qui essaiment à travers le pays.

Ils sont encartés avec enthousiasme chez les Républicains et en forment la génération montante.

Les intégralistes entendent commencer par le changement de « régime mental » de l’ordre politique américain.

Blandine Chelini-Pont

L’antidote léonin  ?

Né de la polarisation politique et de ses élucubrations toujours plus extrêmes pour penser l’illégitimité de l’autre camp, l’intégralisme américain ressemble au maurrassisme de l’entre-deux-guerres.

Cette idéologie siphonne aujourd’hui l’identité catholique au service d’un projet réactionnaire  : le maurrassisme était monarchique et antirépublicain, l’intégralisme américain est populiste et anti-libéral. Il réinvente un gallicanisme national par une contorsion masquée, faisant du Souverain Peuple le fantôme du Prince, les deux définis au préalable comme très chrétiens et évincés de leur droit à gouverner que se seraient octroyé des usurpateurs sournois, affranchis des impératifs catégoriques de la vérité.  

Le moment se précise  : peut-il arriver à l’intégralisme ce qui s’est produit pour le maurrassisme français ? 

Avec l’élection inattendue à la tête de l’Église d’un Américain plutôt marqué par l’héritage conciliant du catholicisme américain — accueillant aux immigrés et aux personnes en souffrance, compassionnel, social, généreux, attentif aux diversités, protecteur des sous-cultures, interracial, populaire et peu politisé — l’on peut se demander si l’intégralisme n’a pas trouvé un adversaire de taille.

[Notre portrait de Léon XIV]

Le maurrassisme avait été condamné en 1927 par le pape transigeant et internationaliste Achille Ratti (Pie XI) pour son « nationalisme immodéré » qui ne respectait pas les exigences « de la justice et du droit ».

L’intégralisme catholique sera-t-il finalement dénoncé comme non catholique par Léon XIV, dans un geste d’autorité possible qui libérerait l’Église américaine de son hypothèque  ?

Une telle condamnation pourrait être stratégique, au-delà d’une pure opposition avec le pouvoir actuel aux États-Unis. Elle aurait aussi un effet sur les autres catholiques d’Europe et d’Amérique latine, pris aujourd’hui dans un conflit de loyauté avec les arguments revanchards que proposent les partis xénophobes et nationalistes de leur pays en les excipant de leur identité chrétienne.

Dirigé aujourd’hui par un Secrétaire d’État devenu intégraliste et qui apparaît à la télévision avec sa croix de cendre sur le front signalant sa grande piété en début de Carême, le Département d’État — autrefois un phare du soft power américain — a publié récemment une note d’orientation par le biais de son Bureau pour la démocratie. Elle appelle, au moment de la CPAC de Budapest, les nations chrétiennes d’Europe à se regrouper avec les nouveaux États-Unis pour mettre fin à l’assaut agressif contre la grande civilisation occidentale commune, en reprenant les arguments de J. D. Vance à la Conférence de Munich.  

Robert Francis Prevost, quatorzième pape Léon, pourrait choisir d’affronter directement cette idéologie intégraliste qui se veut catholique, par un biais ou par un autre, pour les dégâts géopolitiques qu’elle risque de produire.

Après que le conclave l’a élu comme 266e évêque de Rome, il a recentré, Urbi et Orbi, en quelques prises de paroles, la vocation de l’Eglise institutionnelle à être au service pastoral et sacramentel du Peuple des baptisés. 

Il a dit vouloir reprendre le chantier de l’Église synodale lancé par François, une Église déconcentrée dont les niveaux intermédiaires seraient susceptibles d’aménagements régionaux, selon le principe de subsidiarité. 

Il a rappelé la mission médiatrice et diplomatique de l’Église et son souci prioritaire de la paix, quels que soient les truchements que cette mission emprunterait dans un monde au bord de l’implosion par la faute des impérialismes nationaux. 

Il n’a rien dit, pour l’instant, des mésusages de la politique chrétienne.

Le maurrassisme était monarchique et antirépublicain, l’intégralisme américain est populiste et anti-libéral.

Blandine Chelini-Pont

Quelques signes permettent cependant de croire à une opposition frontale de Léon aux propos et actions que J. D. Vance et d’autres membres de l’administration Trump justifient par leur caractère « chrétien ». 

Quand le Vice-Président est descendu à Rome pour les obsèques de François, accompagné d’une délégation gouvernementale comprenant Marco Rubio, Léon XIV l’a reçu en audience privée dès le lendemain.

Il n’a pas échappé alors aux commentateurs que Vance avait rencontré la veille ce Président ukrainien qu’il avait tant maltraité devant toutes les caméras du monde ni que ce Président ukrainien avait également rencontré le pape.  On peut imaginer que la réception de la délégation américaine au Vatican n’aurait pas eu lieu sans ces échanges préalables, qui montrent au monde combien le pape attend des États-Unis qu’ils pèsent de tout leur poids pour aboutir à une paix « juste et durable » envers « l’Ukraine martyrisée ».

Diaboliser les immigrés, appeler à interdire l’immigration des étrangers a fortiori quand ils sont musulmans, accuser les pays d’Europe de persécuter les chrétiens et de bâillonner l’expression politique « divergente », appeler à détruire l’Union européenne et à voter pour des partis xénophobes par solidarité religieuse, ne pas appeler à arrêter le projet vengeur et belliqueux du gouvernement de Benjamin Netanyahou au nom de la « civilisation judéo-chrétienne », être complaisant envers le nationalisme paranoïaque et l’impérialisme russe au nom de mêmes « valeurs spirituelles » et de la lutte convergente contre la décadence de l’Occident… — pour le nouveau pape, tous ces points, nourris d’idéologie ne devraient pas être négociables. D’autant moins qu’ils sont avancés par des gens qui pensent aussi que l’Église devrait changer dans leur sens pour revenir à sa chaire de fantôme gardant le tombeau de l’Empire — la seule manière, pour eux, d’être véritablement catholiques.