Qui est « Le bon Denis » ? 

Ce mystérieux et fuyant personnage — éponyme — est au cœur du nouveau livre de Marie NDiaye publié aux éditions Mercure de France, dans la très belle collection « Traits et portraits » qui impose d’insérer des images pour accompagner le texte. 

Dans un roman aussi poétique que complexe, Marie NDiaye montre tous ses talents de pianiste du style en exécutant plusieurs variations autour d’un même thème : le départ brutal de son père après sa naissance. 

Différentes quêtes et histoires se mettent en place et s’entremêlent sans nécessairement trouver un point final. Le but est ailleurs. 

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Le Bon Denis est une sorte de recherche, une quête de la narratrice qui se déploie sur plusieurs dimensions et qui porte sur plusieurs objets : c’est la recherche a priori de son père, de ce « bon Denis » mais aussi de sa mère d’une certaine manière, ou d’un état passé de sa mère en bonne santé, de son mari aussi, de la jeunesse de son amour envers lui — et même d’un « je » qui se cherche lui-même. Que cherche vraiment la narratrice ? Tout cela à la fois ?   

La narratrice cherche et mène une sorte de quête pour essayer de trouver d’abord qui est ce bon Denis dont sa mère lui dit qu’il l’a élevée jusqu’à ses deux ans — et dont la narratrice n’a pas le moindre souvenir.

Il s’agit d’une quête aussi d’un père qu’elle a très peu connu puisqu’il a quitté la famille avant sa première année. 

À un moment, la quête ou l’enquête sur les deux hommes se mêle : le bon Denis a été un bon père selon les dires de la mère et, toujours selon les dires de la mère, le vrai père a été un mauvais père. Mais la mère, soit qu’elle ne le souhaite pas et se cache derrière des souvenirs de plus en plus nébuleux du fait de son grand âge, soit qu’elle ne s’en souvienne véritablement pas, est incapable — ou refuse — de lui décrire en quoi ce Denis était bon.

De même, sa mère se refuse à lui dire précisément en quoi le vrai père était un homme mauvais et cette narratrice, en effet, tente d’explorer ces deux pistes. 

Mais la piste du père est difficile à suivre parce qu’elle n’a que très peu d’éléments sur lui.

La piste du « bon Denis » ne se révèle-elle pas finalement tout aussi difficile à suivre ? 

La piste du bon Denis est même encore plus difficile à suivre parce qu’au fil du récit, Denis est moins un homme réel qu’une sorte de figure qui lie les quatre fragments du livre.

C’est une figure qui se métamorphose aussi selon les dires des uns et des autres. C’est plutôt une apparition qu’un vrai être humain. Mais le problème est que ceux qui ont approché cette apparition — plutôt celles d’ailleurs — sont incapables de préciser en quoi cette figure était bonne.

C’est un peu comme si la bonté proclamée de Denis avait été si intense que tout le monde autour s’en retrouve aveuglé. 

La bonté peut ne pas être absolument gentille ni bienveillante. Elle se situe ailleurs. 

Marie NDiaye

Est-il plus difficile de décrire la bonté de quelqu’un que sa méchanceté ? 

En tout cas, c’est le problème qu’ont ces personnages du livre. Ils sont absolument incapables de donner les détails de cette qualité qu’ils nomment bonté. 

Et oui, c’est sans doute plus difficile de parler de cette bonté que ce que je préférerais appeler la mauvaiseté ; je n’ai pas envie de dire méchanceté, parce que méchanceté serait peut-être au niveau d’une certaine façon de la gentillesse alors que la bonté, ce n’est pas de la gentillesse.

La gentillesse, on peut la décrire par des actes, des propos, etc., de même que la méchanceté. La bonté s’opposerait plutôt au mal.

C’est pour cela qu’elle est difficile à décrire, parce que la bonté peut ne pas être absolument gentille ni bienveillante. Elle se situe ailleurs. 

Et c’est cet ailleurs que la narratrice essaie de comprendre. 

Parallèlement, on peut aussi avoir l’impression que le livre s’écrit contre tout manichéisme : après ce présupposé initial du bon d’un côté et du mauvais de l’autre, au fil de la lecture les frontières entre les deux s’effacent — ou du moins, se brouillent. 

Oui, tout à fait. Par exemple, à la fin de la première partie, la narratrice craint de rencontrer le bon Denis, elle craint même pour sa vie — qu’elle soit physique ou psychique.

Elle redoute la présence de cet homme bon comme elle redouterait la présence du diable. 

Alors qu’elle le cherchait précédemment, à ce moment-là elle tente de le fuir. Elle craint plus que tout l’approche de ce feu, de cette incandescence que représente aussi le bon Denis.

Est-ce que vous diriez que la narratrice évolue dans une sorte d’environnement, du moins dans la première partie, assez hostile ? Une espèce de dualité semble s’installer dont découlerait une certaine solitude de la narratrice face aux silences de sa mère, de son mari, face à l’absence des autres — de son père, de ce « bon Denis » dont elle cherche la trace.  

C’est une solitude qui vient du fait que le mari de la narratrice, sa mère et certains protagonistes qu’elle rencontre à travers Internet se dérobent aux questions. 

Il ne s’agit pas d’une solitude de fait, c’est une solitude par rapport à ces interrogations. 

Dans les trois autres parties du livre, me semble-t-il, Denis reprend la figure d’un homme bon de manière plus simple, sans cette dualité, sans cette confusion terrifiante entre la bonté et le mal.

C’est un Denis instituteur qui encourage la jeune mère à poursuivre ses études. C’est un Denis qui, à la fin, se révèle être un demi-frère bon, de manière non-ambiguë. 

J’ai toujours aimé la littérature des reflets dans un œil d’or, des miroitements. 

Marie NDiaye

Pourrait-on dire que la dualité ou la conflictualité avec cet environnement, avec cet entourage est même un souci existentiel, dans le sens de vital ? Vous avez parlé de cette fin de la première partie où effectivement la narratrice semble vouloir vivre, à tout prix, « ardemment » même — même au prix de la vie des autres, de son mari notamment. Les autres doivent-ils s’annuler d’une certaine façon pour que la narratrice puisse — enfin — éclore ?

Oui, c’est vrai, je n’y avais pas réfléchi ainsi. 

L’effacement du mari comme celui de la mère est, en effet, une possibilité pour la narratrice de se libérer d’une vie contrainte, d’une ancienne vie qui n’est pas malheureuse — mais réduite. 

Et elle craint plus que tout finalement l’étreinte de ce bon Denis, l’étreinte de cette bonté terrible qui peut-être serait plus nuisible que bénéfique. 

Dans la deuxième et très belle partie du livre — avec ces bouts de phrases sans points finaux qui s’entremêlent — souhaitiez-vous représenter des sortes de branches qui elles aussi s’entremêlent avec cette idée peut-être de jouer sur l’arbre généalogique ? On sent dans cette partie une volonté justement d’aller à la racine, aux origines de votre famille, de vos parents.  

Pour la première partie, je réponds en disant la narratrice. 

Pour la deuxième et la troisième parties, je peux tout à fait dire « je » parce que la dimension fictionnelle y est très mince.

Je me suis rendu compte que les enfances respectives de mon père et de ma mère, bien que très différentes d’apparence, puisque l’une se déroule en Beauce et l’autre au Sénégal dans les années 1930, avaient des points communs. Le plus important d’entre eux a été, je crois, leur rage de l’étude, leur volonté opiniâtre d’apprendre alors que rien autour d’eux ne les y encourageait. On pourrait même dire : alors que tout les empêchait. 

Ils avaient tous deux cette volonté acharnée d’apprendre, d’être enseignés, qui leur venait d’eux-mêmes — et aussi d’instituteurs providentiels, mais principalement d’eux-mêmes. Au fond, il s’agissait d’une volonté assez miraculeuse de s’extraire d’un milieu qui les aurait réduits à une existence difficile.

Je me suis rendu compte que c’était cela qui faisait de leurs enfances quelque chose de semblable. Et c’est cela qui les a amenés à faire des études supérieures auxquelles — c’est le moins qu’on puisse dire — ils n’étaient absolument pas destinés. 

Dans cette deuxième partie surgissent des points communs, mais aussi des différences dans l’histoire de vos parents avec une espèce de comparaison en faux miroir qui se met en place entre l’enfance de votre mère et celle de votre père.  Que cherchiez-vous par ce procédé qui met en avant une explication disons sociologique au départ brutal de votre père à votre naissance ? Un lien de causalité paraît être présenté par le récit de son enfance difficile : « Lui, il se glissait léger hors d’une maison où il ne trouvait ni nourriture ni pitié », puis « Il n’éprouverait jamais ni pitié ni compassion, et la tendresse lui serait un sentiment étranger » (cela est répété un plus loin puis encore à la toute fin de la deuxième partie), « enfant étrange, mal venu » et : « Car, lui, sa mère l’avait donné à une autre femme » (p. 57-62). Mais dans la troisième partie vous annulez aussitôt cette lecture en disant que cette enfance difficile ne pardonne rien — ne l’« acquitte » pas.

J’annule cette lecture mais pour mieux y revenir d’une certaine façon. Dans la troisième partie du livre, il y a cette tension autour d’un « j’ai toujours cru ». J’ai toujours cru que l’enfance difficile de mon père n’excusait pas ses manquements.

Mais « j’ai toujours cru », c’est du passé. À la fin, il y a cette compréhension justement — ou en tout cas cette manifestation soudain d’une clairvoyance. 

Le bon Denis, ça peut déjà être nous. Sauf que la bonté évidemment ne peut pas être dite par soi-même

Marie NDiaye

Ce que je veux dire c’est que les manquements divers d’une vie d’adulte par ailleurs miraculeusement réussie, s’explique aussi ou se justifie par une enfance dans laquelle il n’y avait jamais eu d’amour, de tendresse, d’attention. Au contraire même, l’enfance dont il est question était plutôt faite de coups, de maltraitances. 

Je comprends que mon père, qui a eu une vie incroyable — c’est-à-dire la misère la plus grande et puis après, la réussite la plus miraculeuse — n’avait pas les ressources humaines pour être, en plus de cela, un homme, un bon père, un bon mari, un homme bon. Toutes ces ressources vitales avaient dû être employées à ne plus être un misérable.

Vous avez employé les termes de compréhension, de clairvoyance. Dans la troisième partie, qui est un peu le cœur du livre, quelque chose se passe au niveau de la forme, le style s’adoucit, devient plus fluide et rond — moins nerveux et entrecoupé. Peut-on comprendre cela comme le résultat de la révélation, la fin de la quête justement : la narratrice s’est arrêtée de courir et respire enfin ?  

Oui, absolument. La narratrice ne court plus après cette quête ; le « je » s’est libéré de cette contrainte. 

Elle respire enfin parce que la compréhension tue toute forme de rancœur.

La question qu’on a envie de vous poser finalement est : qui est ou qui sont les bons Denis dans le livre ? 

Il y a le Denis de la troisième partie : l’instituteur de la mère-enfant qui se prénomme Denis. D’ailleurs, il se trouve que le collège où, enfin, la mère réussit à entrer en contact avec le « bon Denis » porte le nom de Denis Poisson ! 

Et puis si nous parlons du « bon Denis » de la première partie, ce n’est pas que ce ne serait pas lui le vrai, c’est une forme de « bon Denis », mais terrifiante — alors que les autres sont des « bons Denis » plus humains.

Est-ce qu’au fond, tout le monde connaît la recherche à un moment ou un autre d’un « bon Denis » comme présence, comme apparition imaginaire ou comme quête ? 

Tout le monde, je ne sais pas. Mais à la fin de la troisième partie, lorsque le « je » comprend enfin ce père particulier, est-ce que je ne deviens pas à ce moment-là bonne d’une certaine manière ?

Le bon Denis, ça peut déjà être nous. Sauf que la bonté évidemment ne peut pas être dite par soi-même ; ce sont les autres qui la ressentent. Ce n’est pas soi-même, évidemment, qui peut ressentir sa propre bonté. Cela n’existe pas.

Mais je ne sais pas si on est tous en quête d’un bon Denis. Pas forcément… 

Pourrait-on dire que le reflet de la mère que la narratrice découvre au début du récit dans la fenêtre de la chambre — et le fait que la mère se rende compte de ce reflet pour jouer avec, symbolise ou synthétise d’une certaine manière ce livre ? Peut-être même toute votre œuvre qui exploite dans toutes ses dimensions l’ambiguïté, un réel qu’on croit distinguer mais qui ne cesse de s’échapper ?

La mère est très mécontente et malheureuse d’avoir été placée dans un Ehpad où elle ne souhaitait pas être. Quand la fille est dans la chambre avec elle, la mère parfois se détourne vers la fenêtre et fait exprimer à son visage toute la haine qu’elle ressent pour l’endroit — et la fille, éventuellement. Puis elle se retourne et reprend un visage sinon avenant, en tout cas normal.

J’aime bien votre image parce qu’en effet, j’ai toujours aimé la littérature des reflets dans un œil d’or, des miroitements.

Finalement, on ne sait pas précisément lesquels reflètent ce que serait la réalité, lesquels reflètent les songes — mais la distinction entre les deux n’est pas nécessaire à établir.

Il est intéressant de noter que la première photographie qui ouvre le livre — une sorte d’incipit avant l’incipit — montre la mère qui, tournant le dos à l’objectif, est face à une grande fenêtre lumineuse mais qui ne montre rien de l’extérieur et dans laquelle il n’y a même pas de reflet, aucun horizon.

Une vieille femme regarde effectivement à travers la fenêtre de sa prison-Ehpad. Malgré cette fenêtre lumineuse — ou du moins on devine la lumière derrière la fenêtre — on ne voit pas à travers la vitre.

On a bien cette idée de prison parce que la mère, bien qu’elle soit, bien sûr, libre de ses mouvements, considère sa présence dans cet Ehpad comme celle d’une prisonnière, d’une détenue. Et même quand elle regarde à travers la fenêtre, elle voit moins la vitre que les barreaux qu’elle se représente. 

L’enquête efface la quête — et en supprime par là même le besoin.

Marie NDiaye

Comment avez-vous travaillé avec les très belles photographies qui encadrent ou accompagnent le texte ?

La collection « Traits et portraits » des éditions Mercure de France implique — impose même — qu’il y ait des images.

Je dois avouer que je ne suis pas très à l’aise avec cela. 

Les images dans un livre en général ne me disent pas grand-chose. Mais ce que j’aime dans cette collection, ce que je trouve très beau, c’est que comme sa directrice Colette Fellous le dit, ce ne sont pas des images qui doivent illustrer du tout le texte, mais qui doivent être plutôt un compagnonnage du texte. 

Je n’ai donc pas du tout travaillé à cette question ; j’en aurais été bien incapable.

Je me suis pliée de très bonne grâce à cette nécessité, mais ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse au sens où je suis inapte à l’être d’une certaine manière. 

En tout cas, les images accompagnent effectivement bien le texte. La première photographie semble faire écho à la dernière qui clôt le récit est qui est cette fois-ci de nuit — ce qui montre une évolution par rapport à la première où il fait jour — mais elle est aussi floue. Pourrait-on presque dire qu’eu égard à ces deux indications temporelles, une certaine unité de temps est respectée entre le début et la fin du livre qui se déroulerait sur une journée, bien que plus longue — une journée qui ne dure pas nécessairement 24 heures ?  

Oui, c’est vrai. 

Entre le début du livre et la fin, on peut imaginer que la quête du début et la quête de la fin se résolvent toutes deux soudain en une prise totale de liberté.

Un autre élément qui encadre le récit est le terme de « lucidité ». Quel est le rapport de la narratrice à la lucidité : est-ce une quête ou plutôt une fuite ? À la fin, la narratrice a-t-elle retrouvé cette lucidité qui échappait notamment à sa mère ou à l’inverse, s’en libère-t-elle — et c’est dans ce sens qu’il faudrait interpréter la jouissance finale de la liberté : libres de cette lucidité ?

Cette narratrice finale comprend, elle aussi comme la première narratrice, que finalement la liberté lui vient de la quête non résolue ; c’est-à-dire, le but de la quête est moins dans le fait d’atteindre ce vers quoi on court que dans la quête elle-même en quelque sorte. 

Le fait de ne pas trouver le bon Denis, ni le vrai père, non seulement n’a pas d’importance, mais est peut-être la meilleure des choses qui puisse arriver. 

Elle finit par comprendre que la quête avait son sens en soi-même, et qu’il est peut-être préférable qu’on ne touche pas au résultat, au but.

Qu’est-ce qui permet que la quête puisse se suffire à elle-même et pallier ainsi l’absence de résultat final ?

La quête offre peut-être la possibilité de donner accès à une enquête. 

L’enquête apporte finalement des éléments de compréhension qui sont suffisants ensuite pour que la vie continue. Elle délivre de la quête. 

L’enquête efface la quête — et en supprime par là même le besoin.

Je ne saurais pas écrire un vrai roman d’enquête, un policier, parce que le genre implique une résolution que je serais bien incapable d’imaginer.

Marie NDiaye

Diriez-vous que c’est le fil conducteur qui lie toute votre œuvre et peut-être même la littérature : l’exploration des questions, des quêtes, sans y répondre nécessairement, avec un travail sur l’ambiguïté dans votre cas ?

C’est le genre de littérature qui me touche le plus, en effet.

Mais il y a des formes si diverses de littérature que je suis toujours un peu embarrassée de dire que ce serait une vérité générale. 

On trouve de grandes œuvres qui sont closes aussi, dans lesquelles les questions soulevées se trouvent résolues — et d’autres dans lesquelles toutes ne le sont pas. 

C’est vrai que je suis plus proche d’une littérature dans laquelle toutes les questions ne sont pas explicitées. Mais ce n’est pas une question de valeur. 

À quelles œuvres closes pensez-vous par exemple ? 

Ce sont des œuvres qu’on trouve peut-être plus au XIXe siècle. Je pense notamment aux romans de Tolstoï, je pense à Flaubert, aux sœurs Brontë — quoique dans Les Hauts de Hurlevent, ce soit moins sûr. 

Ces œuvres répondaient en tant que romans à un certain cahier des charges implicite : la fin devait être concluante. La modernité nous a délivré de cela. 

Mais ces œuvres finies de manière parfois un peu arbitraire n’en sont pas moins grandes. 

Est-ce volontaire de votre part de vouloir écrire en opposition disons à ces œuvres closes en préférant l’ouverture ?

Non, pas du tout, cela m’est naturel.

C’est pour cela que je ne saurais pas écrire un vrai roman d’enquête, un policier, parce que le genre implique une résolution que je serais bien incapable d’imaginer. 

D’ailleurs, j’ai lu un grand nombre de policiers et ce que je préfère, en général, c’est tout ce qui précède la fin.

Même si elle est remarquablement ficelée, toute fin est décevante par rapport à toutes les questions qui se posent avant. 

Par l’acte de la révélation, tout secret ne révèle qu’il n’est qu’un pauvre secret. Tandis que, tant qu’on ne les connaît pas, on peut s’imaginer qu’il est plus important, plus grand, plus beau.

Est-ce pour ne pas être vous-même déçue que la fin du Bon Denis laisse un certain nombre de questions en suspens ? 

Je n’ai pas cela en tête lorsque j’écris puisque ce n’est pas intentionnel. 

Je n’ai aucune intention. 

Mais c’est vrai que j’aime bien en général dans les livres, les fins qui sont non pas décevantes mais déceptives — et que cette déceptivité provoque du plaisir. 

C’est au fond le plaisir — du moins des personnages — qu’on retrouve dans les derniers mots du livre avec la « joie » qu’éprouve la fille et puis : « Libres, enfin libres ! répétait Denis en riant. »

Il se crée une sorte d’harmonie finale avec cette liberté, cette joie que vous avez citée qui se manifeste dans le rire qui est le dernier mot du livre — et qui concerne cette fois-ci l’autre personnage.

Par l’acte de la révélation, tout secret ne révèle qu’il n’est qu’un pauvre secret.

Marie NDiaye

On a donc bien cette union avec deux jeunes gens, frère et sœur, qui courent ensemble dans la même direction — « leurs pas unis ». 

Serait-il possible de fixer ce « bon Denis » dont les apparences, apparitions et figures changent au cours du récit ?

Non, je ne crois pas. Je dirais même : justement, il ne faut pas. 

On ne peut pas fixer une figure fantomatique, parce que le bon Denis, c’est tout cela à la fois. Le fixer serait contradictoire. 

Ne pourrait-on pas penser que cette fin le fige d’une certaine façon dans ce personnage de la scène finale, dans les derniers mots du livre ?

Je n’y avais pas songé… Oui, c’est possible.

Mais je préfère vous répondre : c’est possible, plutôt que c’est exact !