Points clefs
  • Si le premier ministre sortant est reconduit, il doit faire face à une configuration inédite : minoritaire, son principal opposant est désormais le parti d’extrême droite Chega, mené par le trumpiste André Ventura.
  • Grande perdante de cette soirée, la gauche divisée obtient moins d’un tiers des suffrages.
  • Passant habituellement pour résilient, le système bipartite portugais sort de ce scrutin en lambeaux — ne résistant pas à l’ascension de Chega : c’est la première fois que le centre gauche et le centre droit ne disposent plus de la majorité des deux tiers.
  • Les Portugais retourneront aux urnes à l’automne pour les municipales puis, en janvier 2026, pour l’élection présidentielle — la campagne a déjà commencé.

La campagne électorale des élections législatives portugaises qui se sont tenues fut terne et insipide. Répétitive, elle se résuma le plus souvent à des jeux florentins ou à des invectives, au point de susciter une désaffection reflétée par des audiences télévisuelles en baisse. Son issue, à la fois attendue et surprenante, provoque un séisme politique.

La victoire de l’Alliance démocratique (AD) constituée du PSD et du CDS, droite/centre-droit, était annoncée par tous les instituts de sondage : avec 32,7 % et 89 députés, le Premier ministre sortant Luís Montenegro s’est relégitimé, obtenant cette « majorité plus large » (« Maioria maior ») qu’il avait appelée de ses vœux, loin pourtant d’une majorité absolue jamais évoquée mais dans tous les esprits.

Dans un contexte de forte mobilisation — près de 65 % de participation comme en 2024 —, le Parti socialiste a réalisé le troisième pire score de son histoire (23,3 %), perdant en trois ans près de la moitié de ses députés et en voyant l’écart en sièges se creuser avec l’AD à l’Assemblée (31 députés de moins, contre 2 d’écart en 2024). Pire, talonné par l’extrême-droite avec près de 23 % et le même nombre de députés (58), le PS est en passe de perdre au parlement sa place de second parti et de leader de l’opposition, Chega, avec les résultats à venir des quatre députés de l’étranger, pouvant atteindre 60 sièges, soit 10 de plus qu’en 2024. Vers minuit, Pedro Nuno Santos a annoncé sa démission comme secrétaire général du PS, se refusant par avance à soutenir un exécutif dirigé par Luís Montenegro qui, a-t-il répété, « n’a pas l’aptitude requise pour le poste et les élections n’ont pas changé cette réalité. » Divisée, la gauche (PS, Parti communiste qui perd encore un siège, Bloc de Gauche qui perd 3 de ses 4 sièges) obtient moins d’un tiers des suffrages, seul Livre (Libre) gagnant deux sièges en consolidant son ancrage très urbain (6 députés).

Comment interpréter la victoire de Luís Montenegro  ?

L’issue du scrutin du 18 mai est claire : le premier ministre sortant est appelé à gouverner de nouveau, fort de l’onction d’un suffrage qui le renforce tout en jetant un voile pudique sur « l’affaire Spinumviva » — l’ayant contraint à démissionner en mars dernier et à disputer les troisièmes élections législatives anticipées en trois ans après celles de janvier 2022 et de mars 2024. Mais cette victoire l’oblige toutefois à se poser à nouveau frais la question de l’exercice du pouvoir : avec un gouvernement minoritaire, choisira-t-il une configuration à l’italienne ou l’allemande ? Ou bien décidera-t-il de négocier au coup par coup ?

Le parti d’André Ventura est peut-être le grand vainqueur, de ce scrutin.

Yves Léonard

Si le « non c’est non », cher à Luís Montenegro, semble devoir perdurer, une donnée fondamentale vient de changer : le parti d’extrême-droite Chega sera désormais leader de l’opposition.

Avec plus de 1,3 million de voix (contre 68 000 en 2019), et la victoire dans quatre districts au sud du Tage (Beja, Faro, Portalegre et Setúbal), le parti d’André Ventura est sorti renforcé, sinon le grand vainqueur, de ce scrutin. C’est un succès personnel pour le président de Chega, pourtant affaibli par deux malaises dans les derniers jours de campagne et en perte de vitesse cet l’hiver, suite à une succession de scandales dans son parti qui avaient sérieusement terni l’image de « chevalier blanc de la démocratie » qu’il cultive pour « nettoyer le Portugal » en incarnant l’incontournable « éléphant dans la pièce ».

« Un agent de Donald Trump contre le Portugal »

C’est en janvier dernier qu’André Ventura, par opportunisme et pour sortir de la séquence négative où l’avaient plongé plusieurs scandales impliquant des députés de son parti, a tenté de reprendre l’initiative en empruntant largement au discours trumpien — une référence de longue date —, profitant de cette « tornade Trump qui a changé le monde en deux semaines » selon Viktor Orban, un autre modèle de Ventura.

Invité à l’investiture du président américain, il a multiplié les déclarations, se disant favorable par exemple à la déportation massive d’immigrants irréguliers annoncée par le président américain, qui pourrait inclure l’expulsion de milliers de citoyens portugais.

À Washington, André Ventura a soutenu que « les pays sûrs ont des frontières solides », avant d’ajouter que « la droite est cohérente sur ce point : il y a des règles au Portugal et partout dans le monde. Quiconque ne respecte pas les règles doit être renvoyé dans son pays d’origine. Et notez que ce n’est pas seulement le président de Chega ou le président de Vox qui le disent. C’est maintenant le président des États-Unis qui le dit, un pays qui est une référence en matière de liberté et de droits de l’Homme. »

Donnant le ton de la future campagne, Ventura n’a cessé de stigmatiser l’immigration venue d’Inde et du Pakistan, faisant mine d’ignorer l’importance vitale de celle-ci pour la croissance de l’économie portugaise face au déficit démographique. Ses coups ont été principalement portés sur un PS jugé laxiste  : « Un parti qui a laissé un demi-million d’immigrés illégaux au Portugal en vient à porter un jugement moral sur les immigrés qui se trouvent dans d’autres parties du monde. Ce que le PS devrait faire, c’est s’excuser d’avoir conduit le pays dans le chaos de l’immigration. Le PS et Pedro Nuno Santos n’ont aucune autorité morale pour parler d’immigration. »

À Madrid, le 8 février 2025, lors de la réunion des « Patriotes pour l’Europe », André Ventura posait un nouveau jalon dans cette « reconquête de l’Europe chrétienne » qu’il appelle de ses vœux, après avoir souligné en mode trumpien « qu’il n’existe que deux genres  : homme et femme »  : « Nous devons dire que nous avons assez de l’idéologie du genre dans les écoles et les universités, dans les médias. Assez des immigrants qui viennent sur notre territoire non pas pour travailler mais pour nous dire comment vivre. Assez d’une classe politique de parasites qui s’enrichissent et nous rendent plus pauvres, avec moins d’argent pour payer l’électricité, le gaz, le pétrole et le logement. » Le décor ainsi planté, la campagne des législatives a repris l’antienne du « Limpar Portugal » (« Nettoyer le Portugal », slogan de 2024) en le transformant en « Salvar Portugal » (« Sauver le Portugal ») d’essence aussi trumpienne que salazariste. Avec au passage un discours s’inspirant du « Vivre dans un monde nouveau/Avec l’esprit des anciens » de la protest song paléoconservatrice du trumpiste Anthony Oliver, pour mieux s’ériger en porte-parole d’un « Portugal d’en bas » où le sud du Tage et l’ouvrier déçu de la grande périphérie de Lisbonne incarneraient une Rust Belt portugaise fantasmée.

Lors d’un débat télévisé le 21 avril, la figure de proue du Bloc de Gauche, Mariana Mortágua, a ainsi qualifié son adversaire « d’agent de Donald Trump contre le Portugal », soulignant plusieurs incohérences dans le discours d’André Ventura jamais en reste pour relayer la doxa trumpienne sur « une économie qui doit savoir se protéger et ne pas se laisser envahir par les produits chinois, indiens et pakistanais. » Pour Ventura, ce que Trump fait pour les États-Unis devrait être fait au Portugal. Il est toujours prompt à mobiliser les réseaux sociaux et à les alimenter en fake news malgré la mise en place d’un système de réponse rapide pour surveiller et signaler les affirmations mensongères liées aux élections, notamment celles martelées sur le lien supposé entre insécurité et immigration 1. En toile de fond, il se fait aussi l’écho d’un techno-césarisme néo-réactionnaire destiné à saper de l’intérieur les fondements des démocraties libérales en éliminant les anciennes élites modérées, sociales-démocrates et libérales par le truchement des réseaux sociaux 2. Ses deux malaises physiques dans les derniers jours de la campagne n’ont pas échappé aux rumeurs relayées par cette « machine à chaos », nourrissant au passage des doutes sur la réalité de ces malaises liés à « un spasme de l’œsophage causé par des problèmes de reflux gastrique, associé à un pic de tension artérielle », selon le communiqué de l’hôpital de Faro où le leader de Chega, âgé de 42 ans, a passé une nuit en observation le 13 mai. Rétabli pour la fin de la campagne, André Ventura a pu ainsi célébrer son succès, après avoir assisté à la messe dimanche en fin d’après-midi comme il en a l’habitude, en saluant « un jour historique ».

Ventura cherche à s’ériger en porte-parole d’un « Portugal d’en bas » où le sud du Tage et l’ouvrier déçu de la grande périphérie de Lisbonne incarneraient une Rust Belt portugaise fantasmée.

Yves Léonard

« Une altération structurelle du système »

De fait, le système bipartite tant honni par Chega et longtemps qualifié de résilient, sort très affaibli, sinon en lambeaux, de cette nouvelle séquence électorale.

Pour la première fois, ses deux formations phare (PSD-CDS et PS) ne disposent plus à elles seules de la majorité nécessaire des deux tiers pour réviser la Constitution.

L’Alliance démocratique (AD) a certes gagné et progressé par rapport à mars 2024 mais sans obtenir, ni même approcher, la majorité absolue des sièges à l’Assemblée (116 sur 230). Non sans avoir repris à son compte un discours anti-immigration en annonçant début mai l’expulsion de 18 000 migrants en situation jugée irrégulière, dont plus de 4 500 notifiés dans un délai de 20 jours. Destinée à marquer l’opinion en montrant la détermination du gouvernement sortant en faveur d’une immigration contrôlée, cette mesure choc visait aussi à damer le pion au discours maximaliste de Chega.

Pour l’AD, les futurs possibles sont loin d’être tous désirables.

Une alliance à l’italienne avec Chega semble exclue — à en croire la règle du « non c’est non » posée par Luís Montenegro en 2024. Quant à une alliance à l’allemande, entre le PSD et le PS, il y a loin de la coupe aux lèvres.

Si l’idée de constitution d’un « Bloc central » agit comme un serpent de mer au Portugal depuis l’expérience en demie teinte entre 1983 et 1985 avec Mário Soares comme Premier ministre, elle a, jusqu’à présent, rallié assez peu de suffrages au sein du PS, l’annonce de la démission de son secrétaire général Pedro Nuno Santos s’expliquant aussi par son opposition à ce type d’attelage. Mais une partie du PS n’y est pas hostile, avec l’idée d’une sorte de « cordon sanitaire » pour tenter d’endiguer la progression exponentielle de Chega. Cette hypothèse serait toutefois à double tranchant tant elle risque d’alimenter le discours anti-système de Chega sur la collusion entre les élites des deux grands partis. Quant à la formation d’un gouvernement minoritaire à ossature PSD-CDS, si celui-ci pourrait bénéficier d’une base plus solide qu’en 2024, il devrait composer au coup par coup, notamment avec les 9 députés d’Initiative libérale, le vote du budget 2026 apparaissant d’ores et déjà comme un défi à relever.

C’est la première fois que le centre gauche et le centre droit ne disposent plus de la majorité des deux tiers.

Yves Léonard

Si les mots de « séisme » et de « tremblement de terre » ont été largement utilisés et commentés lors de la soirée électorale du 18 mai, c’est qu’ils traduisent non seulement un usage fréquent au Portugal — où le Terramoto de la Toussaint 1755 est souvent invoqué — mais aussi une forme de sidération, sinon d’impuissance, face à une situation redoutée qui voit l’extrême-droite progresser élection après élection, au point de devenir la deuxième force politique en nombre de sièges au parlement

De façon plus sibylline et circonstanciée, António Vitorino — ancien ministre socialiste de la Défense dans le gouvernement d’António Guterres de 1995 à 1997, puis Commissaire européen à la Justice dans la Commission Prodi, avant d’exercer les fonctions de directeur général de l’Organisation internationale pour les migrations de 2018 à 2023 — a parlé d’une « altération structurelle du système » pour désigner la situation à la sortie des urnes ce 18 mai.

Si son nom circule parmi les possibles candidats à l’élection présidentielle de janvier prochain, la prise de parole de cette figure considérée comme un « sage » — naguère juge constitutionnel à l’âge de 32 ans — sonne comme une sérieuse alerte à l’approche des élections municipales de l’automne prochain, quelques jours seulement après le cinquantième anniversaire des premières élections démocratiques, libres et au suffrage universel, à l’Assemblée constituante, le 25 avril 1975.

Il est des anniversaires qu’il est bon de ne pas oublier. 

Comme l’écrivait Victor Hugo, des « grandes dates qu’il faut allumer comme on allume des flambeaux, quand la nuit essaye de revenir. » 

Sources
  1. James Thomas « La désinformation s’abat sur le Portugal à l’approche des élections anticipées », Euronews, 30 avril 2025.
  2. Giuliano da Empoli, « Introduction » in le Grand Continent, L’Empire de l’ombre. Guerre et terre au temps de l’IA, Paris, Gallimard, 2025, p. 12-13.