Le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie sur le Haut-Karabagh était le plus ancien de l’histoire post-soviétique. Il a commencé dès 1988, alors que les deux États étaient encore des républiques de l’URSS. Au terme d’une guerre achevée en 1994, les forces armées azerbaïdjanaises échouent à prendre le contrôle de cette enclave peuplée majoritairement d’Arméniens et perdent même les territoires permettant de relier cette région à l’Arménie.
Cette guerre a alors longtemps été classée parmi les conflits gelés de l’espace post-soviétique.
S’il entrait bien dans cette catégorie, il présente des particularités fondamentales.
La première, c’est qu’il n’oppose pas un État — comme la Moldavie ou la Géorgie — à une province sécessionniste — soutenue par la Russie — mais deux États souverains.
La seconde, c’est qu’il n’était pas gelé puisque des combats sporadiques avaient régulièrement lieu.
Cette guerre a pris fin après la victoire militaire totale de l’Azerbaïdjan en septembre 2023 et le départ des populations arméniennes. Mais le différend entre les deux États n’est pas réglé pour autant et peut à tout moment dégénérer en conflit armé — cette fois-ci sur le territoire même de l’Arménie.
Cette étude se concentre sur l’action de l’Union européenne dans le conflit du Haut-Karabagh, tout en explorant les enjeux actuels autour des relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
L’implication de l’Union dans le conflit : du processus de Minsk au « processus de Bruxelles »
Le conflit au Haut-Karabagh se réveille brusquement le 27 septembre 2020, après plus de quinze ans de statu quo ponctué de combats sporadiques.
L’armée azerbaïdjanaise démontre alors une capacité militaire supérieure grâce à une modernisation réussie. Les forces arméniennes sur place sont rapidement submergées et doivent céder des positions stratégiques très importantes — notamment le corridor de Latchin, qui assurait un lien physique entre le Haut-Karabagh et le territoire arménien.
Au moment où l’offensive se déclenche, l’Union est absente sur cette question.
Chacun des protagonistes a son « parrain » : la Russie pour l’Arménie et la Turquie pour l’Azerbaïdjan. L’Arménie fait partie de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) qui garantit théoriquement la défense mutuelle des signataires contre une agression extérieure. Même si le Haut-Karabagh ne fait pas partie du territoire arménien, Erevan s’est alors clairement sentie lâchée par Moscou.
Cette attitude peut s’expliquer par le mécontentement russe d’avoir vu l’Arménie tenter d’internationaliser le conflit en faisant appel à des acteurs occidentaux comme les États-Unis, la France et l’Union européenne 1. C’est la médiation russe qui permettra de conclure un cessez-le-feu en novembre 2020. Le format du « Groupe de Minsk » — Russie, France, États-Unis — en charge de la médiation dans ce conflit depuis 1992, montre clairement ses limites.
L’Union est alors mandatée par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour reprendre cet effort, marquant le début de son implication active dans le conflit.
Le « processus de Bruxelles » se déploie de novembre 2021 à juillet 2023.
Il se matérialise par six rencontres trilatérales entre le président du Conseil européen Charles Michel, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le premier ministre arménien Nikol Pachinian.
Dès l’origine, la médiation européenne entend laisser une certaine autonomie aux acteurs, tranchant en cela avec l’attitude du médiateur russe jusqu’alors très dirigiste — pour ne pas dire paternaliste 2. L’atmosphère est décrite comme bonne et constructive même si, in fine, aucun accord ne sera conclu.
Dès l’origine, la médiation européenne entend laisser une certaine autonomie aux acteurs, tranchant en cela avec l’attitude du médiateur russe jusqu’alors très dirigiste — pour ne pas dire paternaliste.
Vincent Laborderie
La première réunion de la Communauté politique européenne (CPE) le 6 octobre 2022 est l’occasion d’un investissement supplémentaire de l’Union dans le conflit.
Le président français Emmanuel Macron parvient à faire accepter par les deux parties l’envoi d’observateurs européens sur le terrain. Ce sera la mission EUMCAP, transformée en février 2023 en mission de l’Union européenne en Arménie (EUMA).
C’est aussi lors du sommet de la CPE à Prague que Nikol Pachinian reconnaît que le Haut-Karabagh fait partie de l’Azerbaïdjan.
Le conflit de 2023 et le « règlement » de la question du Haut-Karabagh
Mais la médiation européenne ne parvient aucunement à empêcher le conflit de se réveiller. C’est par la force que l’armée azerbaïdjanaise tranchera définitivement la question du Haut-Karabagh.
Longue de seulement trois semaines, l’offensive de septembre 2023 se conclut par une défaite totale des forces arméniennes, forcées d’évacuer le Haut-Karabagh. Celle-ci est suivie d’une véritable épuration ethnique, puisque l’on estime que la quasi-totalité des Arméniens qui peuplaient cette zone — soit plus de 100 000 personnes — ont fui vers l’Arménie dans les jours qui ont suivi la prise du contrôle du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan 3.
Face à un tel résultat, l’inefficacité de l’implication européenne interroge.
Si elle a pu souffrir du déclenchement parallèle de la guerre en Ukraine, certaines faiblesses intrinsèques ont aussi constitué des points de blocage.
Bouleversement géopolitique majeur en Europe, l’attaque russe contre l’Ukraine suivie de l’intervention des États membres de l’Union européenne aux côtés de Kiev ne pouvait manquer d’avoir un effet sur la situation dans le Caucase. Cette guerre a provoqué un basculement du rapport de force diplomatique entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, au profit de ce dernier.
Alors que les deux puissances extérieures bien disposées à l’égard de l’Arménie étaient la Russie et l’Union européenne, la guerre en Ukraine a eu un double effet : mettre en opposition ces deux puissances, et les voir prioriser le théâtre ukrainien, au détriment de n’importe quel autre enjeu.
La guerre en Ukraine a provoqué un basculement du rapport de force diplomatique entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, au profit de ce dernier.
Vincent Laborderie
La Russie a perçu très négativement le fait que l’Union européenne prenne sa place comme médiateur dans le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Le mécontentement russe a atteint son paroxysme lorsque, lors du premier sommet de la CPE, l’Union européenne a réussi à faire accepter le déploiement d’observateurs et a convaincu l’Arménie de reconnaître l’appartenance du Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan — la CPE, qui rassemblait tous les États du continent européen à l’exception de la Russie et de la Biélorussie, avait alors vocation à affirmer une certaine unité européenne derrière Kiev.
Après la concession faite par l’Arménie sur la souveraineté de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabagh, Vladimir Poutine a pu considérer qu’il n’était pas en son devoir de défendre ce territoire, si les Arméniens eux-mêmes y renonçaient.
Les Occidentaux, focalisés sur l’Ukraine, n’étaient pas non plus à même d’assurer la défense du Haut-Karabagh.
Ainsi, l’Azerbaïdjan avait le « champ libre » pour régler la question militairement.
D’autre part, la guerre en Ukraine a eu des conséquences positives aussi bien pour l’Azerbaïdjan que pour son protecteur turc. Puisque l’Union cherchait à trouver des alternatives au gaz russe et à en limiter l’importation, Bakou est devenu un partenaire important — même si le gaz azerbaïdjanais représentait moins de 5 % de l’ensemble des importations de l’Union européenne.
En parallèle, la Turquie a cherché à acquérir une position de médiateur dans le conflit ukrainien — notamment lors des négociations de l’accord sur les céréales, en juillet 2022, et des négociations avortées de mars-avril 2022 pour une sortie du conflit. Dès lors, le sort du Haut-Karabagh pesait peu face au risque de froisser un acteur devenu essentiel dans le conflit ukrainien, et potentiel médiateur pour des négociations futures.
Ce déséquilibre diplomatique en faveur de l’Azerbaïdjan s’est ajouté au déséquilibre militaire, qui n’avait cessé de s’accentuer depuis 2020. C’est dans ce contexte qu’on peut comprendre que personne ne se soit opposé à l’action de l’Azerbaïdjan, et que les protestations soient restées si faibles — y compris lorsque l’épuration ethnique est devenue manifeste.
Une médiation européenne insuffisante
Bien que les circonstances géopolitiques ne jouaient pas en faveur d’un règlement diplomatique, l’action menée par l’Union européenne était loin d’être exempte de défauts.
La médiation conduite par l’Union européenne n’était qu’une tentatives parmi d’autres : au même moment, la Russie et les États-Unis tentaient également d’aider au règlement du conflit 4. Mais aucune de ces médiations n’est parvenue à empêcher le règlement par la force de la question du Haut-Karabagh.
Le conflit autour du Haut-Karabagh, qui dure depuis plus de trente ans, soulève en effet des enjeux particulièrement difficiles à régler.
De cette longévité, il résulte une rancœur — voire une véritable haine de l’autre — parfois entretenue par les gouvernements à des fins de cohésion nationale. Plus encore, le conflit est justifié par des constructions théoriques contradictoires : alors que l’Arménie revendique le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, avançant que les habitants du Haut-Karabagh souhaitent rejoindre l’Arménie ou être indépendants, l’Azerbaïdjan s’appuie sur le principe de la souveraineté des États et la proscription de la sécession dans la pratique internationale.
La difficulté d’une médiation était donc extrême, et même s’il semble que les deux parties aient été à plusieurs reprises très proches d’une conciliation 5, aucun accord n’a jamais été atteint. Face au niveau d’antagonisme entre Arméniens et Azerbaïdjanais, l’existence même de plusieurs médiations parallèles vouaient peut-être toute négociation à l’échec — d’autant plus que les médiateurs s’opposaient frontalement en Ukraine.
Plusieurs faiblesses peuvent être pointées quant à l’action européenne en particulier.
La première consiste en une certaine naïveté sur la nature du régime azerbaïdjanais : les Européens ne semblent pas avoir mesuré que l’Azerbaïdjan n’aurait aucun complexe à profiter de sa supériorité militaire, non seulement pour mener une conquête territoriale, mais aussi pour opérer ouvertement une épuration ethnique.
Au contraire, ils auraient considéré qu’un maintien des Arméniens du Haut-Karabagh était possible en cas de souveraineté azerbaïdjanaise sur ce territoire, sans statut spécial leur garantissant une protection 6. Ce statut avait été discuté dans le cadre de la médiation européenne — incluant notamment une protection de la minorité arménienne et une garantie de préservation du patrimoine arménien 7 — mais aucune concession n’a été effectivement faite par l’Azerbaïdjan, alors que cela aurait dû logiquement être associé à l’acceptation par l’Arménie de la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le Haut-Karabagh. Quant aux observateurs envoyés par l’Union, ils n’avaient ni la capacité ni le mandat pour empêcher la reprise des hostilités 8.
Une autre faiblesse de la médiation européenne découle de la division des Européens, ou du moins de l’absence de coordination et de mobilisation des différents leviers dont l’Union disposait.
Alors que Charles Michel conduisait la médiation, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, signait avec le président Aliyev en juillet 2022 un partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie centré autour de la fourniture de gaz à l’Union européenne. Durant ces négociations, il semble qu’il ne fut pas question d’exiger de l’Azerbaïdjan un engagement à un règlement pacifique de la question du Haut-Karabagh, ni de renoncer à une épuration ethnique en cas de reprise de l’enclave 9.
Cette situation fait écho aux divisions entre États-membres, notamment entre la France, très impliquée dans le soutien à l’Arménie, et l’Allemagne, relativement volontaire, face à la Hongrie, la Bulgarie ou l’Italie, largement plus sensibles aux arguments de Bakou, sur fond de dépendance aux importations de gaz azerbaïdjanais.
Après la reprise du Haut-Karabagh et l’épuration ethnique qui a suivie, les interpellations de plusieurs députés européens n’ont pas empêché que des sanctions contre l’Azerbaïdjan soit exclues, tant de la part de la Commission que des États-membres 10. Alors que l’épuration ethnique fut suivie d’une destruction du patrimoine arménien présent au Haut-Karabagh, cette passivité revendiquée contraste avec les réactions européennes quant aux opérations israéliennes à Gaza ou les crimes de guerre russes en Ukraine.
In fine, les divisions entre Européens ont empêché de faire le lien entre les avancées diplomatiques, réalisées par le Président du Conseil, et les moyens de pression de l’Union, dans les mains de la Commission et des États membres. En d’autres termes, le soft power européen n’a pas su se transformer en un smart power, impliquant l’usage judicieux de toutes les dimensions de la puissance.
Le rapprochement entre l’Union européenne et l’Arménie — et ses limites
Après la guerre de 2023, la position de l’Union dans le conflit devient beaucoup plus claire.
L’Azerbaïdjan n’est plus un partenaire de confiance et Bakou rejette clairement la présence de l’Union européenne dans la région, notamment à travers les observateurs européens.
D’autre part, l’Arménie ne peut plus uniquement compter sur la protection de la Russie, restée passive lors des attaques du Haut-Karabagh en 2020 puis en 2023, mais aussi lorsque l’Azerbaïdjan a attaqué le territoire souverain de l’Arménie en septembre 2022. Une telle offensive aurait pourtant dû entraîner une intervention russe, selon les obligations de défense collective inhérentes au traité de l’OTSC. Alors que la Russie, focalisée sur la guerre en Ukraine, n’a pas pu — ou n’a pas voulu — soutenir l’Arménie, cette dernière se doit de trouver d’autres protecteurs.
Dès 2017, l’Union européenne et l’Arménie ont signé un accord de partenariat global et renforcé, qui est entré pleinement en vigueur en mars 2021. Outre une aide économique — y compris par le biais de la Banque européenne d’investissement — cet accord s’est traduit par l’ouverture d’un dialogue en vue de supprimer l’obligation de visa pour l’entrée dans l’Union pour les Arméniens.
C’est au niveau sécuritaire que le rapprochement entre l’Union et l’Arménie est le plus visible.
À la demande de la France, l’Arménie a pu bénéficier de la Facilité européenne pour la paix afin de moderniser ses forces armées. Erevan a opéré un revirement spectaculaire, passant de 96 % d’armes achetées à la Russie à seulement 10 %, dès 2020. Ses principaux fournisseurs sont aujourd’hui la France et l’Inde.
Par ailleurs, le gouvernement arménien a réaffirmé à plusieurs reprises sa volonté de se rapprocher de l’Union, et en janvier 2025, un projet de loi déclarant l’engagement dans un processus d’adhésion à l’Union a été déposé au parlement.
Mais malgré ces rapprochements mutuels, il demeure très difficile pour l’Arménie de rompre avec Moscou.
Tout d’abord, sa dépendance économique à la Russie n’a pas fondamentalement évolué. Les échanges de l’Arménie avec la Russie, import et export confondus, représentent 45 % de l’ensemble de son commerce — contre 6 % avec les pays de l’Union européenne. Le commerce entre l’Arménie et la Russie a même augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine, dopé par le contournement des sanctions occidentales envers Moscou.
Les échanges de l’Arménie avec la Russie, import et export confondus, représentent 45 % de l’ensemble de son commerce — contre 6 % avec les pays de l’Union européenne.
Vincent Laborderie
L’Arménie fait toujours partie de l’Union économique eurasiatique — zone de libre-échange incluant notamment la Russie et la Biélorussie — ce qui n’est pas compatible avec l’adhésion à l’Union européenne, ni même avec la conclusion d’accords de libre-échange avec l’Union.
Par ailleurs, Gazprom est dans une situation de quasi-monopole de la distribution du gaz en Arménie et applique un tarif « politique », bien en dessous du prix du marché.
Les moyens de pression classiques de Moscou sur les anciennes républiques soviétiques restent donc à l’œuvre aujourd’hui.
À cette dépendance économique s’ajoute une dépendance sécuritaire.
L’Arménie prendrait un grand risque en quittant l’OTSC : si la Russie n’a pas réagi lors des attaques de l’Azerbaïdjan contre le territoire arménien en septembre 2022, il pourrait en être autrement en cas d’attaque majeure, ou lorsque la fin du conflit ukrainien permettra aux forces armées russes de se redéployer. L’OTAN ou l’Union européenne ne représentent pas de véritables alternatives, dans la mesure où ces organisations ne sont pas prêtes à s’engager pour défendre l’Arménie.
Plutôt que de voir l’Arménie basculer de la Russie vers l’Union européenne, on doit donc s’attendre à la voir jouer de la relation entre ces deux puissances, en tentant de tirer le meilleur de chacun des partenaires 11.
Quelle place pour l’Union européenne aujourd’hui ?
Même si le conflit au Haut-Karabagh appartient au passé, le différend entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan est loin d’être réglé et peut toujours dégénérer en conflit armé. Côté arménien, il existe une crainte réelle de voir l’Azerbaïdjan utiliser sa supériorité militaire pour attaquer le territoire national à grande échelle.
Deux sujets cristallisent les tensions : la délimitation exacte de la frontière et le corridor entre le Nakhitchevan et le reste de l’Azerbaïdjan.
Le premier enjeu résulte de l’absence de frontières physiques clairement établies entre les républiques à l’époque soviétique. L’Arménie et l’Azerbaïdjan étant déjà en guerre avant la fin de l’URSS, cette délimitation n’a jamais été menée.
Le second sujet de discussion mérite davantage de développements, tant les enjeux qui s’y rattachent dépassent de loin les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan — et vont même au-delà de la région du Caucase.
Le Nakhitchevan est une exclave azerbaïdjanaise, séparée du reste de l’Azerbaïdjan par une bande de territoire de trente kilomètres appartenant à l’Arménie. L’Azerbaïdjan ayant récupéré le Haut-Karabagh, son prochain objectif pourrait logiquement être d’obtenir un corridor permettant de sécuriser le lien avec sa province. Baptisé « corridor de Zangezur », ce projet est depuis longtemps défendu par l’Azerbaïdjan, et faisait partie de la proposition d’échange de territoire avancée dès 2002.
Mais utiliser le terme de « corridor » est trompeur : au-delà d’une prise de contrôle d’un territoire, ou même d’une route, par l’Azerbaïdjan, les discussions concernent davantage une sécurisation de l’accès pour les échanges entre ces deux parties du territoire azerbaïdjanais, ainsi que la construction d’infrastructures — chemin de fer, oléoduc, gazoduc — éventuellement contrôlés par la Russie ou d’une autre puissance 12.
La question des infrastructures, et la normalisation de la relation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan qui s’y rattache, représentent en réalité un enjeu mondial puisque le corridor de Zangezur permettrait, dans le cadre des Nouvelles routes de la soie, de relier la Chine à l’Europe en contournant la Russie par le Sud 13.
Dans ce contexte, le Caucase, s’il apparaît parfois comme une région tout à fait périphérique vu d’Europe, constitue un lien à la fois Nord-Sud et Est-Ouest dans le continent eurasien. Son rôle est d’autant plus essentiel aujourd’hui que, si l’on veut éviter le passage par la Russie et l’Iran, deux puissances hostiles, il n’y a pas d’autre choix que de passer par le Caucase.
Le corridor de Zangezur pourrait comporter un gazoduc, et éventuellement un oléoduc, permettant d’exporter vers la Turquie des hydrocarbures en provenance de l’Azerbaïdjan, mais aussi du gaz du Turkménistan 14.
Le Caucase, s’il apparaît parfois comme une région tout à fait périphérique vu d’Europe, constitue un lien à la fois Nord-Sud et Est-Ouest dans le continent eurasien.
Vincent Laborderie
On constate que tous les acteurs ont intérêt à la création de cette nouvelle voie : la Turquie et l’Arménie deviendraient des pays de transit, tandis que l’Azerbaïdjan disposerait d’une route alternative à celle passant aujourd’hui par la Géorgie — et la Russie est aussi favorable à la création de ce corridor, à condition de le contrôler. Pour l’Arménie, l’enjeu est encore plus crucial puisqu’il s’agit de débloquer sa frontière avec la Turquie, fermée depuis 1993 — et donc de remédier partiellement à son enclavement.
Sur ces enjeux pourtant cruciaux, l’Union européenne semble largement absente.
D’une part, les discussions bilatérales entre Arméniens et Azerbaïdjanais sont aujourd’hui ce qui fonctionne le mieux 15.
D’autre part, l’action de l’Union européenne dans la région est rejetée par l’Azerbaïdjan, et dans une certaine mesure par la Turquie 16, qui ont conscience du rapprochement entre l’Union et l’Arménie. L’Azerbaïdjan peut d’ailleurs se montrer très ferme, puisqu’il se sait être en position de force face à une Union européenne, et en particulier certains États membres, qui ont désespérément besoin de son gaz.
Enfin, l’Union ne fait apparemment pas particulièrement pression sur la Turquie pour rouvrir sa frontière avec l’Arménie. Cela permettrait pourtant d’ouvrir la communication de l’Arménie vers l’Ouest, et ainsi de réduire sa dépendance envers la Russie.
Le 13 mars dernier, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont annoncé s’être entendus sur un traité visant à régler définitivement le différend entre les deux pays.
Les 17 articles de cet accord n’ont pas été rendus publics et une série de discussions seront certainement encore nécessaires tant pour préciser son contenu que pour le mettre en œuvre. Mais, parmi les points de l’accord rendu public, figure le retrait des forces de pays tiers le long de la frontière entre les deux États 17.
Une telle disposition signifierait la fin de la mission européenne EUMA présente du côté arménien de la frontière, soulignant encore la marginalisation de l’Union dans la gestion de cette crise.
Sources
- Entretien avec Tigrane Yegavian réalisé le 29 janvier 2025.
- Par exemple, le médiateur européen laissait Arméniens et Azerbaïdjanais discuter sans leur présence s’ils le souhaitaient (interview avec un diplomate européen).
- Joanna Placzek, Michal Jiráček, « Trois voisins du partenariat oriental dans le Caucase du Sud », Parlement européen, Avril 2024.
- Les États-Unis ont notamment organisé une réunion entre MM. Pachinian et Aliyev en février 2023 à Munich, puis un marathon de négociations de 4 jours entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays à Washington en mai 2023.
- Entretien avec un diplomate européen réalisé les 23 et 31 janvier 2025.
- Entretien avec Anita Khachaturova réalisé le 30 janvier 2025.
- Entretien avec un diplomate européen réalisé les 23 et 31 janvier 2025.
- Entretien avec Tigrane Yegavian réalisé le 29 janvier 2025.
- Entretien avec Anita Khachaturova réalisé le 30 janvier 2025.
- « Arménie : la hausse des importations de gaz d’Azerbaïdjan met l’Europe dans l’embarras », Le Monde, 7 octobre 2023.
- Mgdesian Archalouis, « Les perspectives de rapprochement de l’Arménie avec l’Union sont incertaines et risquées », Civilnet, 5 septembre 2024.
- Entretien avec un diplomate européen réalisé les 23 et 31 janvier 2025.
- Piotr Gawliczek, Khayal Iskandarov, « The Zangezur corridor as part of the global transport route (against the backdrop of power games in the South Caucasus region) », Security and Defence quarterly, 31 mars 2023.
- Robert M. Cutler, « The Trans-Caspian Gas Pipeline for Peace-building in the South Caucasus », Horizon Insights, pp. 1-10, Vol. 4, No 1, Janvier-mars 2021.
- Entretien avec un diplomate européen réalisé les 23 et 31 janvier 2025.
- Entretien avec Anita Khachaturova réalisé le 30 janvier 2025.
- « L’Arménie et l’Azerbaïdjan concluent un accord de paix », Conflits, 14 mars 2023.