Lors d’un récent appel téléphonique avec le président ukrainien Zelensky 1, le président américain Donald Trump a émis l’idée que les États-Unis pourraient prendre le contrôle de la centrale nucléaire de Zaporijia en Ukraine (ZNPP).

Or cette dernière, située sur le fleuve Dniepr et dotée de six réacteurs de 1 000 MW — ce qui en fait la plus grande centrale d’Europe — est occupée par les troupes russes depuis leur invasion. Trump considère, semble-t-il, qu’une prise de contrôle américaine pourrait doter les États-Unis d’un levier énergétique important, tout en permettant le retour au fonctionnement stable de la centrale.

Cette remarque inattendue de Trump sur l’acquisition de la centrale nucléaire de Zaporijia ne tient manifestement aucun compte du fait que la Russie a précisément fait des installations nucléaires ukrainiennes des cibles privilégiées pour son artillerie, ses missiles et ses drones — et qu’elle n’a guère accepté de renoncer à la centrale de Zaporijia.

Au moment même de l’appel téléphonique pendant lequel Zelensky acceptait un cessez-le-feu de trente jours sur les infrastructures énergétiques à condition que la Russie fasse de même, la Russie le violait.

L’histoire du nucléaire en Ukraine est tragique et heurtée de frustrations.

Avec l’explosion de l’unité 4 de Tchernobyl en 1986, ayant propagé un nuage de radioactivité sur tout le pays et plus largement sur l’hémisphère nord, le pays a connu la plus grande catastrophe nucléaire au monde.

En réponse à cet événement, l’Ukraine a déclaré un moratoire sur la production d’énergie nucléaire et sur toute nouvelle construction de réacteur. Mais dans un contexte de crise économique prolongée après l’indépendance en 1991, le pays  s’est lancé dans la mise en œuvre d’un programme nucléaire à grande échelle. L’Ukraine a même maintenu en activité les trois réacteurs intacts restants de Tchernobyl — le dernier a été fermé en 2000. 

En 1994, dans le cadre du Mémorandum de Budapest, elle a accepté de céder à la Russie son arsenal nucléaire hérité de l’Union soviétique en échange de garanties sur ses frontières. En annexant la Crimée en 2014, puis à nouveau lors de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022, la Russie a largement violé les termes de ce Mémorandum.

Aujourd’hui, l’Ukraine possède quinze réacteurs, qui sont tous des réacteurs à eau pressurisée (REP) de conception soviétique. Ils produisent près de 14 GW d’électricité — soit plus de 50 % de la production nationale — en partie pour permettre à l’Ukraine d’acquérir son indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, dont elle dépendait pour le gaz naturel 2.

Depuis 2022, la Russie a attaqué la zone d’exclusion de Tchernobyl, la centrale nucléaire de Zaporijia et d’autres installations nucléaires, jouant avec le risque d’une catastrophe radioactive majeure.

Le président des États-Unis a non seulement cherché à s’approprier une centrale électrique ukrainienne en temps de guerre, tout en se rangeant du côté de la Russie dans les négociations, mais il est allé plus loin : comme on le sait, il a aussi cherché à prendre le contrôle des ressources minérales de l’Ukraine, en le présentant comme une sorte de garantie pour aider le pays à parvenir à la paix 3.

Le deal « réacteurs nucléaires contre paix » offert par Trump est d’une absurde complexité, et ce à différents niveaux. 

Premièrement, les troupes russes contrôlent la centrale nucléaire de Zaporijia, en violation du droit international — et la Russie a toujours refusé de restituer la centrale à l’Ukraine 4. Deuxièmement, elle continue d’attaquer d’autres installations nucléaires ukrainiennes, menaçant les populations et l’environnement du continent européen dans son ensemble. Enfin, Trump ne comprend sans doute pas les complexités du fonctionnement des centrales électriques en temps de paix, sans parler de la place cruciale de l’énergie nucléaire pour l’indépendance énergétique de l’Ukraine et l’avenir de la nation.

Bombardements sur la centrale nucléaire de Zaporijia le 4 mars 2022. © SIPA

Poutine et la terreur russe sur les infrastructures nucléaires

Le 4 mars 2022, les Russes ont bombardé la centrale nucléaire de Zaporijia 5, rasé le centre éducatif et de formation de la centrale, frappé le bâtiment principal avec des obus de gros calibre et déclenché des incendies. Ils ont refusé de laisser entrer les pompiers. Les employés de la centrale venant de la ville-support d’Enerhodar — dont 11 000 habitants sur les 52 000 travaillent à la centrale — n’ont pas été autorisés à se présenter au travail, à l’exception d’une équipe réduite. Les habitants ont alors tenté de défendre sans armes les réacteurs : ils ont érigé un barrage routier à l’entrée de la ville, mais ont été repoussés par les troupes russes. Un responsable ukrainien anonyme témoignait ainsi : 

« Pour nous, c’est plus qu’une simple centrale nucléaire, car nous ne considérons pas la fin de l’occupation de la centrale sans prendre en compte sa ville satellite, Enerhodar, où vivent les travailleurs. Certains d’entre eux et de leurs proches ont été pratiquement faits prisonniers par les Russes. » 6

Les employés de la centrale nucléaire de Zaporijia ont été enlevés, torturés puis condamnés à de longues peines de prison pour « terrorisme » 7. D’autres ont été accusés de sabotage et détenus 8. Un travailleur s’est fait dire par des tortionnaires russes pendant les interrogatoires : « Pense à ce que tu peux faire pour rester en vie ». L’homme a perdu connaissance à plusieurs reprises à cause des nombreux coups, des strangulations et des chocs électriques. Des représentants de Rosatom — l’agence fédérale russe pour l’énergie atomique — se sont rendus complices des tortures selon plusieurs organisations 9 et Rosatom aurait installé des chambres de torture dans les sous-sols de la centrale.

Au-delà Zaporijia, la Russie a attaqué d’autres installations nucléaires en Ukraine. Lors des premiers jours de l’invasion en février 2022, les troupes russes ont occupé la zone d’exclusion de Tchernobyl. Soulevant de la poussière, leurs véhicules blindés ont provoqué des pics de radioactivité. Cette zone abrite l’unité 4, scellée sous un sarcophage de béton après sa destruction par l’explosion, ainsi que trois autres réacteurs à différents stades de déclassement — du combustible nucléaire usé et d’autres déchets de faible et de haute activité. À en juger par le saccage du site, il est peu probable que les envahisseurs nucléaires aient été conscients de l’héritage radioactif du site de Tchernobyl — ou alors, les stratèges militaires du Kremlin espéraient provoquer une catastrophe nucléaire. 

Les troupes russes ont également ciblé avec un missile une installation d’enfouissement de déchets radioactifs à Kiev et elles ont bombardé le célèbre Institut technique physique de Kharkiv 10. Le Groupe des régulateurs européens pour la sûreté nucléaire (ENSRG) a condamné l’agression militaire « non provoquée et injustifiée » de la Russie 11. Le gouvernement ukrainien n’a quant à lui pas hésité à qualifier les attaques russes de « terrorisme nucléaire » 12.

À en juger par le saccage du site, il est peu probable que les envahisseurs nucléaires aient été conscients de l’héritage radioactif du site de Tchernobyl — ou alors, les stratèges militaires du Kremlin espéraient provoquer une catastrophe nucléaire. 

Paul Josephson

Augmentant encore davantage les risques liés à la centrale nucléaire de Zaporijia, les troupes russes ont fait exploser, en juin 2023, le barrage de Kakhovka — un ouvrage long de trois kilomètres, situé sur le Dniepr — après avoir fait monter l’eau à un niveau record afin d’amplifier les inondations en aval. L’eau a inondé 80 villages et villes 13. Des produits pétrochimiques et des déchets urbains contenus dans l’eau ont été répandus en aval, créant des marécages toxiques et boueux, et jonchant les rives de cadavres, de bétail, d’animaux et de poissons.

La centrale nucléaire de Zaporijia dépend du Dniepr pour son eau de refroidissement et pour son canal de décharge. Par chance, le niveau de l’eau des bassins situés dans les environs de la centrale est demeuré à une hauteur normale. Mais les bassins de refroidissement restent menacés et les Russes ont truffé la région de mines 14.

Ces dernières semaines, la Russie a recommencé à frapper des centrales nucléaires.

Le 14 février, un drone russe équipé d’une ogive à haute explosivité a frappé la structure de la nouvelle enceinte de confinement de Tchernobyl, endommageant l’enveloppe extérieure et provoquant un incendie 15. Les niveaux de rayonnement sont heureusement restés stables, sans provoquer de rupture dans l’unité de confinement interne. Il s’agissait, comme l’a déclaré le président Zelensky, d’une nouvelle « menace terroriste russe pour le monde entier ».

Le ministre ukrainien de l’Énergie, Herman Haluchtchenko, a rappelé à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) que « la sûreté et la sécurité des centrales nucléaires en activité, et des autres installations nucléaires, sont une priorité absolue pour l’Ukraine. On ne peut pas en dire autant de la Fédération de Russie » 16. Il a dénoncé les « actions criminelles » de la Russie pour avoir conduit une nouvelle attaque terroriste contre la centrale nucléaire endommagée de Tchernobyl.

Entièrement sous le contrôle du Kremlin, Rosatom sert les ambitions de politique étrangère de la Russie à travers la vente de combustible nucléaire et de réacteurs dans le monde entier, ainsi que la production d’armes nucléaires pour la sécurité nationale.

Paul Josephson

Énergie nucléaire, indépendance énergétique et guerre en Ukraine

Les attaques russes contre les installations nucléaires ukrainiennes reflètent le mécontentement de la Russie face à la décision de l’Ukraine de quitter son orbite économique et politique. Dans le domaine de l’énergie, cette prise de distance vis-à-vis de la Russie avait été difficile en raison de la dépendance ukrainienne à l’égard du pétrole, du gaz et de la technologie nucléaire russes, qui remontent à l’époque soviétique.

Pour sortir de sa dépendance à Rosatom, l’Ukraine a travaillé avec des entreprises occidentales. Elle s’est d’abord tournée vers Westinghouse pour alimenter ses réacteurs 17 et éviter d’avoir à acheter du combustible à TVEL, une filiale de Rosatom. La Russie s’est opposée à ce changement en le présentant comme dangereux — en vain. En 2021, l’Ukraine a décidé de construire au moins cinq réacteurs dans les centrales existantes en utilisant la technologie de Westinghouse 18 — un nombre qui a ensuite été porté à neuf, dont quatre sont prévus sur de nouveaux sites encore à déterminer. L’Ukraine prévoit la création de 50 000 nouveaux emplois grâce à ces projets. 

Dans le cadre de l’expansion de la production d’énergie nucléaire dans la période d’après-guerre, l’Ukraine a accepté d’acheter des équipements de réacteur de fabrication russe à la Bulgarie pour achever les unités 3 et 4 de la centrale nucléaire de Khmelnitski (KhNPP) 19. L’équipement provient du projet abandonné de centrale nucléaire de Belene en Bulgarie, un projet datant de 1982 jusqu’à son annulation en 2023.

Bombardements sur la centrale nucléaire de Zaporijia le 4 mars 2022. © SIPA

L’Ukraine n’est pas la seule à être dans une situation de dépendance risquée vis-à-vis de Rosatom.

Entièrement sous le contrôle du Kremlin, Rosatom sert les ambitions de politique étrangère de la Russie à travers la vente de combustible nucléaire et de réacteurs dans le monde entier, ainsi que la production d’armes nucléaires pour la sécurité nationale. La présence démesurée de Rosatom sur les marchés nucléaires internationaux lui a permis d’éviter les sanctions imposées à d’autres industries et institutions financières russes 20. L’entreprise est en effet l’un des acteurs mondiaux de la vente de réacteurs. 

La Russie possède environ 44 % de la capacité mondiale d’enrichissement de l’uranium, et la majorité des 32 pays qui utilisent l’énergie nucléaire dépendent de la Russie pour une partie de leur chaîne d’approvisionnement en combustible nucléaire 21. Si Trump prenait le contrôle de la centrale nucléaire de Zaporijia, son administration devrait garantir un approvisionnement sûr en combustible.

Il serait aussi nécessaire d’aborder le problème inextricable des déchets radioactifs. Comme d’autres pays nucléaires, l’Ukraine a tardé à prendre en charge la gestion des déchets radioactifs et du combustible nucléaire usé de manière systématique. Jusqu’à récemment, l’Ukraine exportait la majeure partie de son combustible nucléaire usé vers la Russie, pour un coût de 200 millions de dollars par an. Un site de stockage à sec du combustible usé a été ouvert pour la centrale nucléaire de Zaporijia en 2001 — une installation désormais aux mains de la Russie — mais qui ne dessert que cette centrale. Après de longs retards dans les procédures d’autorisation et dans la construction, l’Ukraine a ouvert fin 2023 l’Installation centrale de stockage du combustible usé (CSFSF), construite avec l’aide de la société américaine Holtec International, dans la zone d’exclusion de Tchernobyl 22.

La Russie possède environ 44 % de la capacité mondiale d’enrichissement de l’uranium, et la majorité des 32 pays qui utilisent l’énergie nucléaire dépendent de la Russie pour une partie de leur chaîne d’approvisionnement en combustible nucléaire.

Paul Josephson

Une centrale nucléaire n’est ni un simple appareil à brancher, ni un bien immobilier sur lequel accrocher un nom ou construire un terrain de golf. Une centrale est composée d’un réacteur, d’une enceinte de confinement, de turbines, de canalisations, de pompes, de dizaines de bâtiments auxiliaires, de sous-stations, de lignes électriques, de routes et de combustible nucléaire usé — dont on trouve une partie dans des piscines de refroidissement, et l’autre dans des conteneurs de stockage à sec en béton et en acier. À Zaporijia, elle est jouxtée d’un barrage dynamité, Kakhovka, et d’une ville occupée, Enerhodar. 

Lorsque Trump a évoqué l’approvisionnement électrique et les centrales nucléaires de l’Ukraine, il a affirmé que les États-Unis pourraient être « très utiles » pour les faire fonctionner et a même déclaré que « la propriété américaine de ces centrales serait la meilleure protection pour ces infrastructures » 23

Prenons-le au sérieux. Qu’en est-il de l’occupation en temps de guerre et de la destruction des infrastructures ? Comment les États-Unis opéreraient-ils la gestion des déchets de combustible nucléaire, ou d’autres types de déchets liés à l’exploitation des centrales nucléaires ? Cette responsabilité incomberait-elle entièrement à l’Ukraine ? Et qu’en serait-il des intérêts de l’Ukraine dans le développement de son indépendance énergétique, y compris nucléaire ? Au-delà de ces questions, le principal obstacle à l’exploitation de la centrale nucléaire de Zaporijia par les États-Unis demeure peut-être le fait qu’on ne peut pas faire confiance à la Russie. 

Car l’invasion de l’Ukraine par la Russie repose sur divers récits, désormais repris par l’administration Trump, dont certains ont un impact direct sur la politique nucléaire. 

Premièrement, Poutine craignait le rapprochement politique et économique de l’Ukraine avec l’Europe, notamment à travers sa quête d’indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.

Deuxièmement, Poutine estime que l’Ukraine est une région rebelle de la Russie qui devrait être restituée au Kremlin par la force. N’ayant pas réussi à atteindre le véritable objectif de l’invasion de la Russie en février 2022 — provoquer la décapitation du pouvoir ukrainien et la chute de Kiev en l’espace de quelques jours — il a alors opté pour l’annexion de territoires riches en minéraux et autres richesses naturelles, ainsi que la destruction ou la capture d’infrastructures énergétiques.

L’administration Trump doit se méfier de toute promesse faite par la Russie de Poutine en faveur d’un cessez-le-feu ou d’un traité de paix — y compris dans le domaine nucléaire. Au moins cinquante fois depuis que Poutine a ordonné l’invasion de l’Ukraine en 2022, lui ou ses porte-paroles ont évoqué l’utilisation d’armes nucléaires dans le cas où l’Occident (les États-Unis, l’OTAN, le Royaume-Uni, l’Allemagne ou toute autre cible potentielle désignée) viendrait à franchir une certaine « ligne rouge » — qui est arbitraire et en constante évolution. La Russie a franchi cette ligne rouge en attaquant les installations nucléaires ukrainiennes.

Pourtant, Trump croit — à tort — qu’il est le seul à comprendre les dangers d’une guerre nucléaire. Il a ainsi déclaré : 

« Des sommes énormes sont dépensées pour le nucléaire, et la capacité de destruction est un sujet qu’on n’aborde même pas aujourd’hui, parce que personne ne veut en entendre parler. C’est tellement déprimant. Je pense qu’il est tout à fait possible de dénucléariser. Je peux vous dire que le président Poutine voulait le faire. Lui et moi, on voulait le faire. Nous avons également eu une bonne discussion avec la Chine. Ils auraient été impliqués, et ç’aurait été quelque chose d’incroyable pour la planète. » 24

Ces petites phrases font évidemment fi de soixante-dix ans d’efforts et de cinq accords majeurs sur les armes nucléaires entre les principales puissances nucléaires, tout en minimisant les coûts énormes de la course aux armements, que ses politiques présidentielles alimentent à travers le développement de nouvelles armes nucléaires et de leurs vecteurs.

L’administration Trump et l’atome

En fin de compte, on ne voit pas clairement en quoi l’acquisition d’une centrale nucléaire ukrainienne située au cœur d’une zone de guerre — en l’occurrence, directement sur la ligne de front — contribuerait à la stabilité régionale ou à la politique énergétique des États-Unis. À en juger par l’appel de Trump à acquérir la bande de Gaza après l’expulsion des Palestiniens, ou à ce que le Canada et le Groenland abandonnent leurs ressources pour devenir des territoires américains, on constate que le président américain n’a pas véritablement réfléchi à ce que cela signifierait d’accrocher une pancarte « Trump » sur la centrale nucléaire de Zaporijia.

Tout d’abord, Trump adhère à des cadres théoriques issus du XIXe siècle en matière d’énergie et de puissance. Il estime que les combustibles fossiles restent essentiels à « une Amérique plus grande et dominante ». Il considère qu’il est nécessaire d’augmenter la production des centrales nucléaires, ayant été informé par des milliardaires de l’industrie des communications que leurs ordinateurs et serveurs ont besoin de plus d’électricité.

Il existe actuellement aux États-Unis 93 réacteurs, contre 113 auparavant, qui produisent 20 % de l’électricité américaine. Qu’apporterait la propriété des réacteurs ukrainiens, sachant qu’aucun réseau électrique ne relie les États-Unis et l’Europe, et encore moins l’Ukraine ? 

Paul Josephson

Dans le but d’accroître la production d’énergie, Trump a déclaré à travers plusieurs décrets présidentiels au début de l’année 2025 une « urgence énergétique nationale » 25, ainsi que la création d’un Conseil national de la domination énergétique [National Energy Dominance Council26 pour atteindre ces objectifs. Ces déclarations impliquaient des démarches pour développer l’exploration et la production de combustibles fossiles, augmenter l’extraction de minéraux précieux, mettre fin aux énergies renouvelables et à l’atténuation du changement climatique, et affaiblir les réglementations « intrusives » de l’Agence de protection de l’environnement (EPA). En 2017, Trump avait affirmé de la même manière que sa politique énergétique inaugurerait « une nouvelle politique énergétique pour les États-Unis, qui créerait des millions d’emplois et ferait gagner des milliards de dollars » 27.

En ce qui concerne l’énergie atomique, le décret du 7 février 2025 de Trump, intitulé « Unleash American Energy », ordonnait au département de l’Énergie de prendre des mesures pour « débrider l’énergie nucléaire commerciale aux États-Unis » et « alléger les autorisations » 28. Il s’agit de l’une des six initiatives de ce type menées au cours des dernières décennies pour reconstruire l’industrie de l’énergie nucléaire aux États-Unis. L’initiative la plus récente est la loi de juin 2024 sur l’Accélération du déploiement de l’énergie nucléaire polyvalente et avancée pour une énergie propre (ADVANCE) 29 visant à garantir « une énergie propre et sans émissions pour les 60 à 80 prochaines années ». Il s’agit d’un projet de loi ordonnant à la Commission de réglementation nucléaire des États-Unis (NRC) d’accélérer l’octroi de licences aux centrales nucléaires et de faciliter l’exportation de la technologie nucléaire américaine, afin de regagner un avantage sur les marchés mondiaux, en partie grâce à d’énormes subventions gouvernementales.

Le secteur du nucléaire est en crise aux États-Unis depuis la fusion partielle du réacteur de Three Mile Island, en Pennsylvanie, en mars 1979. De 1979 à 1988, 67 projets de construction de réacteurs nucléaires ont été annulés 30. Il existe actuellement 93 réacteurs, contre 113 auparavant, qui produisent 20 % de l’électricité américaine. Qu’apporterait la propriété des réacteurs ukrainiens, sachant qu’aucun réseau électrique ne relie les États-Unis et l’Europe, et encore moins l’Ukraine ? Une hypothèse pourrait être que Trump voit apparemment les États-Unis comme concurrents des exportations nucléaires civiles de la Corée, de la Russie et de la Chine sur les marchés mondiaux.

Trump a une compréhension instinctive du monde nucléaire : il s’inquiète de la prolifération et de l’énorme arsenal mondial d’armes nucléaires. Mais ignorant de soixante-dix ans d’efforts dans le contrôle des armements, il pense être seul à partager ces inquiétudes. 

Bombardements sur la centrale nucléaire de Zaporijia le 4 mars 2022. © SIPA

Le contrôle américain de la centrale nucléaire de Zaporijia : un scénario hautement improbable

Pour toutes les raisons précédemment évoquées, le président Zelensky a insisté pour que l’Ukraine conserve la propriété de la centrale nucléaire de Zaporijia — la loi ukrainienne exigeant du reste que ces technologies stratégiques restent sous le contrôle de l’État. Mais il a accepté de discuter de la manière dont les États-Unis pourraient investir dans la centrale, la moderniser et y établir une présence officielle. Si une présence américaine pourrait dissuader de futures attaques russes, la manière dont l’exploitation, la politique du personnel, la formation, la gestion du combustible usé, et toutes les autres questions seraient traitées, reste totalement incertaine. 

Exploiter une centrale à eau pressurisée de conception soviétique dans une zone de guerre, tout en transférant l’exploitation, le cycle du combustible et la gestion du combustible usé des occupants russes vers les États-Unis nécessite plus qu’une suggestion de Trump disant que ce serait une bonne idée. 

Si Trump souhaite acquérir la centrale nucléaire de Zaporijia, les États-Unis devront reconstruire les lignes électriques et les sous-stations. Les coûts de l’aide américaine pour assurer la sûreté de la centrale seraient astronomiques — et ils seraient le résultat direct des attaques russes. 

En effet, pour causer le plus de tort possible à l’Ukraine, la Russie continue de bombarder les infrastructures énergétiques. Elle a frappé les lignes de transmission qui alimentent les systèmes de refroidissement de la centrale nucléaire de Zaporijia, nécessitant l’utilisation de générateurs de secours pour maintenir le système de refroidissement opérationnel. Alors même que les négociateurs américains et russes discutaient d’un plan de paix, les Russes ont renouvelé les bombardements sur la centrale nucléaire de Zaporijia en février 2025 31 et coupé l’une des deux lignes électriques de la centrale, celle-ci ne dépendant plus en conséquence que d’une seule ligne électrique de 750 kV 32.

Comme le sait bien le ministre ukrainien de l’Énergie, « seul le retour du contrôle de la centrale à l’Ukraine peut garantir le fonctionnement en toute sécurité de la plus grande centrale nucléaire d’Europe ».

Sources
  1. Rostyslav Khotin, « Ukraine Weighs US Presence At Nuclear Plants », Radio Free Europe, 23 mars 2025.
  2. Ukraine, Agence d’information sur l’énergie (EIA), août 2021.
  3. « US seeks to reopen terms of Ukraine minerals deal, FT reports », Reuters, 21 mars 2025.
  4. « Zaporizhzhia nuclear plant to stay in Russian control, Moscow says », Reuters, 25 mars 2025.
  5. Nuclear Terror, How Russia took the nuclear plant and the people of Enerhodar hostage », Zaporizhzhia Center of Investigation et Texty.org.ua, 1er mars 2023.
  6. Veronika Melkozerova et Christian Oliver, « Minerals deal will only succeed if Trump offers security guarantees, Zelenskyy says », Politico, 26 février 2025.
  7. Halya Coynash, « Russia sentences abducted and tortured Zaporizhzhia nuclear power plant engineer to 18 years on grotesque charges », Human Rights in Ukraine, 28 mars 2025.
  8. Halya Coynash, « Fake Russian ‘court’ sentences abducted Zaporizhzhia Nuclear Power Plant employee to 15 years on ‘sabotage’ charges », Human Rights in Ukraine, 7 mars 2025.
  9. Oksana Ivanitskaya, « ‘Screams are like they tear them to pieces alive.’ What the workers of ZNPP have been and are going through », Hromadske, 30 septembre 2023.
  10. Andrew Grant, « Prominent Ukrainian physics institute imperiled by Russian attacks », Physics Today, 7 mars 2022.
  11. « Statement on the safety of nuclear installations in Ukraine following the military aggression by Russia », European Nuclear Safety Regulators Group, 27 février 2022.
  12. « Ukraine calls Chernobyl seizure by Russian troops a nuclear terrorism and asks IAEA to immediately appeal to NATO », ministère ukrainien de l’Énergie, 3 mars 2022.
  13. « Kakhovka HPP was one of the « great constructions of communism ». It is completely destroyed. », Meduza, 9 juin 2023.
  14. « Flooding of cities, death of animals, floating « minefields » – the consequences of the Kakhovskaya HPP undermining », Persha, 8 juin 2023.
  15. Veronica Neifakh, « Nuclear Threats and Political Games : Russia’s Strike on Chernobyl Sparks Global Concerns », The Media Line, 27 février 2025.
  16. « Ukraine Сalls on the International Community to Take Urgent Measures to Prevent Further Nuclear Escalation by Russia », ministère ukrainien de l’Énergie, 7 mars 2025.
  17. « Westinghouse Congratulates Energoatom on Start of AP1000® Work at Khmelnytskyi NPP », Westinghouse Electric Company, 15 avril 2024.
  18. Construction of new NPP Units, Energoatom, 31 juillet 2022.
  19. David Dalton, « Ukraine’s Parliament Backs Purchase Of Russian Nuclear Reactor Equipment From Bulgaria », Nucnet, 12 février 2025.
  20. Paul Josephson, « Russia’s global grip on nuclear energy », Engelsberg Ideas, 3 février 2025.
  21. Tony Wesolowsky, « The Rosatom Exemption : How Russia’s State-Run Nuclear Giant Has Escaped Sanctions », Radio Free Europe, 15 juin 2022.
  22. « Ukraine’s centralised fuel storage facility fully operational », World Nuclear News, 20 décembre 2023.
  23. James Vasina, « Trump offers to take control of Ukraine’s nuclear plants in call with Zelensky », France24, 20 mars 2025.
  24. Remarks By President Trump at the World Economic Forum, Maison-Blanche, 23 janvier 2025.
  25. Declaring a national energy emergency, Maison-Blanche, 20 janvier 2025.
  26. Establishing the National Energy Dominance Council, Executive Orders, Maison-Blanche, 14 février 2025.
  27. Remarks by President Trump at the Unleashing American Energy Event, Archives de la Maison-Blanche, 29 juin 2017.
  28. « Secretary Wright Acts to ‘Unleash Golden Era of American Energy Dominance’ », U.S. Department of Energy, 5 février 2025.
  29. « US Senate passes legislation to speed nuclear deployment », World Nuclear News, 20 juin 2024.
  30. « Most U.S. nuclear power plants were built between 1970 and 1990 », Agence d’information sur l’énergie (EIA), 27 avril 2017.
  31. « Ministry of Energy : due to Russian shelling, ZNPP is again on the verge of blackout », Radio Free Europe, 11 février 2025.
  32. Ukraine : Current status of nuclear power installations, Nuclear Energy Agency (NEA).