Afin de clarifier les développements récents des propositions de cessez-le-feu mises sur la table ces derniers jours par les États-Unis, l’Ukraine et la Russie, il faut distinguer les deux cibles et théâtres qui font supposément l’objet d’une trêve temporaire, qui a débuté le 25 mars.
Cessez-le-feu sur les infrastructures énergétiques
L’idée d’un cessez-le-feu limité aux infrastructures énergétiques (raffineries, oléoducs, gazoducs, centrales électriques, barrages hydroélectriques, transformateurs, lignes haute tension…) a été acceptée par Vladimir Poutine lors de son appel avec Donald Trump du 18 mars. La Russie a ainsi de facto refusé la mise en place d’un cessez-le-feu total de 30 jours accepté une semaine plus tôt, le 11 mars, par l’Ukraine.
Hier, mardi 25 mars, l’Ukraine et la Russie ont accepté sa mise en œuvre, mais semblent avoir une conception différente de ses modalités d’application.
- La partie russe insiste sur le fait que le cessez-le-feu serait entré en vigueur le 18 mars pour une durée de 30 jours, et devrait ainsi arriver à expiration le 17 avril si les deux belligérants ne s’accordent pas pour le prolonger 1.
- L’Ukraine qualifie cette déclaration de « mensonge ». Zelensky a déclaré le 25 mars : « Moscou ment toujours. Et il dépend du monde — de tous ceux qui ont vraiment besoin de paix — de permettre à Moscou de mentir à nouveau » 2.
- De plus, si la partie russe a communiqué hier une liste — assez vague 3 — des infrastructures concernées par le cessez-le-feu, Volodymyr Zelensky a déclaré que « la partie américaine estime que [le cessez-le-feu] s’applique également à d’autres infrastructures civiles » 4.
- Malgré l’apparent accord entre l’Ukraine et la Russie, les deux belligérants semblent, à l’issue du deuxième cycle de négociations, avoir une vision différente des cibles qui doivent cesser de faire l’objet d’attaques. Ce point est central, car il permettra à Kiev et Moscou de s’accuser mutuellement d’avoir violé le cessez-le-feu et ainsi sortir unilatéralement de l’accord.
Enfin, les États-Unis n’ont pas précisé comment le respect du cessez-le-feu serait surveillé, ni quels acteurs seraient engagés. La formulation du communiqué américain laisse par ailleurs penser qu’aucun accord n’a été accepté dans les mêmes termes par les deux parties, et que les discussions devraient continuer au cours des prochains jours :
Les États-Unis et la Russie ont convenu d’élaborer des mesures pour mettre en œuvre l’accord du président Trump et du président Poutine visant à interdire les frappes contre les installations énergétiques de la Russie et de l’Ukraine. Les États-Unis et la Russie se félicitent des bons offices des pays tiers en vue de soutenir la mise en œuvre des accords énergétiques et maritimes 5.
Aujourd’hui, mercredi 26 mars dans la matinée, la Russie a d’ores et déjà accusé l’Ukraine d’avoir violé le cessez-le-feu en ayant lancé dans la nuit deux drones sur l’installation de stockage de gaz de Glebovskoye, en Crimée occupée (une région appartenant à l’Ukraine mais contrôlée et revendiquée par la Russie depuis 2014) 6. Les drones auraient été abattus, mais le ministère de la Défense russe accuse également Kiev d’avoir provoqué la fermeture d’un « certain nombre de sous-stations à la suite d’une attaque de drones contre une installation énergétique » dans l’oblast russe de Koursk 7.
Cessez-le-feu en mer Noire
Émanant principalement de la Russie, qui a fait savoir à la partie américaine qu’elle souhaitait traiter lors du deuxième cycle de négociations à Riyad la question de la circulation en mer Noire ainsi que du commerce de produits agricoles et de céréales, le cessez-le-feu portant sur « l’élimination du recours à la force et de l’utilisation de navires commerciaux à des fins militaires en mer Noire » est supposément entré en vigueur hier, mardi 25 mars pour une durée indéterminée.
Cependant, la Russie a unilatéralement déclaré qu’elle ne considérerait l’entrée en application du cessez-le-feu qu’à la suite de certaines concessions.
- Le communiqué russe précise que « les accords sur la mer Noire entreront en vigueur après la levée des sanctions contre la RSHB [la Banque agricole russe] et d’autres banques qui assurent le commerce dans le complexe agro-industriel ».
- La Russie demande également à ce que ces dernières soient reconnectées à SWIFT, le système de paiements internationaux dont les banques russes sont exclues depuis 2022.
- Or, les États-Unis ne peuvent pas unilatéralement décider de reconnecter des institutions bancaires au système de messagerie SWIFT, un service fourni par une entreprise basée en Belgique soumise aux lois européennes ainsi qu’aux sanctions mises en place par l’Union.
- Si Donald Trump a déclaré le 25 mars concernant la levée de certaines sanctions qu’il « réfléchissait à toutes ces conditions, il y en a cinq ou six, nous les examinons toutes », Washington n’a pas la main sur SWIFT.
- Il n’est pas clair à ce jour si Trump a discuté en amont de la levée de sanctions européennes sur des banques russes avec des responsables européens, ou bien si Moscou a attendu la fin des négociations à Riyad pour poser de nouvelles conditions.
Aucune violation du cessez-le-feu en mer Noire n’a pour l’heure été soulevée par l’Ukraine ou la Russie, mais les déclarations russes suggèrent que Moscou ne considère pas que celui-ci est entré en vigueur le 25 mars — contrairement à ce que le communiqué américain suggère.
Sources
- Основные итоги встречи экспертных групп России и США, Kremlin, 25 mars 2025.
- Те, як Росія буде поводитися найближчими днями, покаже багато чого, якщо не все – звернення Президента, Présidence d’Ukraine, 25 mars 2025.
- Согласованный между российской и американской сторонами перечень российских и украинских объектов, подпадающих под действие временного моратория на удары по энергосистеме, Kremlin, 25 mars 2025.
- « « Можна переходити до тиші ». Деталі угоди про перемир’я на Чорному морі та в енергетиці », BBC News Україна, 25 mars 2025
- Outcomes of the United States and Russia Expert Groups On the Black Sea, Maison-Blanche, 25 mars 2025.
- Publication sur Telegram de TACC, 26 mars 2025.
- Publication sur Telegram de TACC, 26 mars 2025.